© Loris von Siebenthal

Difficile d’affirmer que le sourire serein de Christian Bolinger respire uniquement la réussite. Une maman artiste, une adolescence en Indonésie, un zeste de flegme britannique puisé dans les études à Southampton l’ont probablement autant façonné. Le regard sûr laisse pourtant deviner un esprit rigoureux, auquel l’influence d’un père ingénieur en électricité devenu formateur en team building et une enfance dans la campagne bernoise ne sont sans doute pas étrangers.

© Acico

Sa rencontre avec Christian Scherrer remonte à un stage de voile hivernal à Sète au sein des Swiss Racing Sailors à la fin des années 1980, alors que « Blumi » Scherrer débarquait de son tour du monde avec Pierre Fehlmann. Sous le même toit à Southampton au début des années 1990, « Blumi » travaille pour North Sails alors que le futur patron de chantier prépare à l’université son Yacht and Powercraft Design Degree, à l’issue duquel il retourne en Suisse pour lancer à Lucerne sa société de design tout en restant en contact avec « Blumi ». Plusieurs projets les réunissent, à l’occasion desquels l’un s’occupe du design et l’autre de la coordination du gréement. De sa planche à dessin ne sortent pas que des voiliers et des bateaux à moteur de taille respectable, mais aussi le premier grand bateau électro-solaire du monde pour passagers (Mobicat, 33m), voire l’arteplage mobile d’Expo 02. Entre deux campagnes d’America’s Cup de « Blumi », ils se décident à travailler très étroitement ensemble en créant Bluboats au printemps 2006 et livrent leur premier blu30, un daysailer personnalisable. Le véritable décollage de la société s’effectue sur la rampe de lancement du St.-Moritz Match Race, qui choisit le blu26, un monotype de régate bien taillé pour les lacs. Près d’une cinquantaine d’unités plus tard, la demande ne faiblit pas et s’internationalise. « Blumi » gère la Suisse, Christian l’étranger, et notamment la Hollande où il a implanté une deuxième unité de production et s’est installé pour un challenge d’une toute autre envergure depuis 2010.

La collaboration avec le St Moritz Match Race a servi de vitrine et de plateforme de tests au plus haut niveau, permettant le véritable décollage de Bluboats. © Loris von Siebenthal

Passé précocement dans la cour des grands, Christian Bolinger est mandaté en 2009 par le propriétaire du super yacht Nassima, alors en phase de concept, pour le représenter auprès du chantier hollandais chargé de le construire. Etranglé par la crise, Dutch Yacht Builders demande au propriétaire de les racheter. Ce dernier passe à l’acte. Tous les actifs et le personnel sont repris en mai 2010, intégrés au sein de son groupe Acico Industries sous l’entité Acico Yachts, dont il décide de confier les rênes au designer entrepreneur helvétique, qui n’a alors pas 40 ans. Après deux années d’un labeur acharné pendant lesquelles il doit aussi apprendre le hollandais et veiller sur sa femme lucernoise et leurs deux enfants qui l’ont suivi aux Pays-Bas, il savoure en juillet dernier la mise à l’eau de Nassima, un bijou de 49 mètres exposé au Monaco Yacht Show ce mois de septembre. Le bateau vaut le détour. En effet, son propriétaire ne tenait pas seulement à une autonomie lui permettant d’effectuer 10 000 milles d’une traite (avec tout ce que cela implique en terme de générateurs, d’autonomie en eau et des systèmes),  il souhaitait également un large aquarium entre le salon et l’extérieur du pont principal, une salle de gym et un garage pour une Mini et deux motos Ducati, le tout dans un style intemporel auquel a contribué la designer d’intérieur Maja von Dewitz.

Entre-temps Christian Bolinger a présenté l’an passé au Boot de Düsseldorf le premier projet en propre d’Acico Yachts, l’AY74, le plus grand bateau du salon allemand en 2011 ! Depuis, il œuvre par ailleurs sur un super yacht de 60 mètres, ainsi que sur un voilier en aluminium de 115 pieds, pour ne citer que les projets non confidentiels. Ses clients proviennent d’Europe, de Russie et du Moyen-Orient.

Est-ce si différent de dessiner des voiliers de 26 pieds et de piloter un chantier pour super yachts ? Encore plus qu’il n’y paraît… Au-delà de la complexité du management d’une équipe de production avec bureau d’études intégré permettant de tout concevoir depuis le premier rendez-vous jusqu’à la livraison, la corrélation entre le niveau de qualité requis et les coûts de fabrication et de marketing doit s’avérer rigoureuse et précise, au risque de couler, dans tous les sens du terme. Ensuite, un yacht de 60 mètres comporte quelques options supplémentaires par rapport à un voilier de 26 pieds. Bien dessiner un quillard implique un briefing clair et une succession de design et de calculs (stabilité, structure, poids, accastillage) qui rentrent tous dans la même catégorie de tâches. A l’opposé, les règles et lois qui régissent la construction d’un super yacht à plusieurs étages relèvent d’une autre dimension. Production d’eau et d’énergie électrique, climatisation, plomberie et canalisations qui traversent parois et niveaux, système de propulsion sont autant de métiers nouveaux et différents qu’il convient de maîtriser et coordonner. Plus de 10 000 heures
d’études qui ne peuvent donc être réalisées que par une équipe de spécialistes compétents, et non plus par deux copains doués dans leur coin. C’est aussi ce qui intéresse Christian dans ce défi fou.

Vues de Nassima présenté au Monaco Yacht Show 2012. © DR
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Comme il y a un temps pour tout, son objectif pour 2013 consiste à pouvoir à nouveau régater un peu, tout en maintenant sa semaine annuelle de croisière en Méditerranée avec son fils de dix ans, et peut-être, pour la première fois, avec sa fille de sept ans.

Plus d’infos sur www.acico-yachts.com