Devant le chantier naval, l’ambiance n’est pas vraiment accueillante. «Nous sommes en train de construire un nouveau dépôt», nous explique plus tard Christof Wilke. A vrai dire, le bâtiment principal n’en jette pas vraiment non plus. Certes, la construction brune en bois s’intègre à merveille dans l’ambiance rurale du petit village aux 1000 habitants dans l’Oberland bernois, mais il ne donne pas vraiment l’impression qu’on y construit des bateaux de haut niveau. C’est seulement une fois la petite porte d’entrée franchie que la véritable image du chantier Wilke s’offre à nous. Montrant ses collaborateurs occupés à enduire et polir le mannequin d’un 5,5 m JI, le patron des lieux nous explique: «Nous sommes en train de fabriquer les outils pour la construction des bateaux de la saison prochaine. Ce n’est pas très spectaculaire, mais c’est un travail qui doit être fait». D’un pas rapide, Wilke nous mène dans la partie arrière du hall où se trouve le département composite. C’est ici que sont fabriqués les mâts en carbone ainsi que toutes les commandes spéciales en fibres de carbone avant d’être cuits dans le four prévu à cet effet. Des produits impressionnants, même si la couche de poussière provoquée par la construction des moules ternit un peu leur éclat. Juste à côte de ce département se trouve le mannequin tout aussi poussiéreux pour la construction d’un nouveau Finn ainsi que le four actuellement inutilisé pour les coques (époxy).

Qualité et sur-mesure swiss made

Dans son bureau, Christof Wilke démarre son ordinateur, le seul outil qui ne donne pas l’impression de rusticité dans ce local tout en bois. Pendant
que le PC démarre, Wilke revient sur les 22 ans d’existence du chantier naval. Pendant huit ans, celui-ci avait ses locaux dans le village voisin de Faulensee. En 1993, il déménage à Leissigen. Le nom Wilke devient vite synonyme de construction navale de qualité. Rapidement, l’entreprise se fait un nom dans le monde exigeant des 5.5mJI. Encore aujourd’hui, la majeure partie de la flotte est construite chez Wilke. S’y ajoutent des commandes pour des écoles de voile locales, la scène régionale des Finns ainsi que des bateaux CR destinés aux régates de longue distance sur les lacs suisses. En tout, le chantier a livré 65 bateaux. Un chiffre étonnamment petit sur 22 ans d’existence. «Ce n’était jamais notre objectif de produire en série ou en grande quantité» se justifie Christof Wilke. Nous avons toujours privilégié et privilégions encore des solutions individuelles adaptées aux désirs de nos clients. Pour ce faire, nous sommes obligés de satisfaire la «mode» de chaque client, aussi spéciale soit-elle. C’est de toute façon le seul moyen de pouvoir survivre, surtout de nos jours. Nous sommes une entreprise suisse et voulons produire en Suisse. Mais une production en série rentable face à la concurrence à l’étranger, serait impensable». Ainsi, Wilke se concentre depuis de nombreuses années sur des projets pour lesquels le client est prêt à «mettre un peu plus d’argent pour la qualité, l’innovation et la personnalisation» comme le souligne Christof Wilke.

Un procédé de fabrication spécial

Entre-temps, l’ordinateur est prêt. D’une main de maître, Wilke feuillette en quelques clics les dessins d’anciennes réalisations pour illustrer son travail sur la planche à dessin, étape initiale de chaque nouveau projet. Une grande partie des tâches, le propriétaire du chantier les effectue lui-même. Pour la phase du design, il s’appuie pourtant sur le savoir-faire du Genevois Seb Schmidt. L’architecte naval le plus renommé de Suisse et le chantier naval Wilke lie un partenariat de longue date. En se servant du modèle d’un Star, Christof Wilke explique le procédé de fabrication utilisé dans son chantier: «Chez nous, la coque et le pont ne sont pas fabriqués en deux parties pour être collés ensuite, comme chez la plupart de nos concurrents. Nous travaillons avec deux mannequins de taille égale qui sont vissés ensemble au niveau de la ligne médiane droite du futur bateau. Ce procédé nous permet de construire des coques d’une seule pièce. Elles sont ainsi plus rigides et nous économisons le poids supplémentaire le long du raccord de pont». Un procédé assez compliqué dont l’efficacité a aussi convaincu Flavio Marazzi. Pour la campagne olympique du navigateur sur Star, Wilke a construit quatre unités personnalisées. A côté des quillards de petite taille, Christof Wilke se laisse aussi embarquer dans des «projets fous». Comme pour prouver ses dires, il sort du bâtiment pour aller ouvrir un hangar non loin du chantier. C’est ici qu’est entreposé le 49 pieds Wild Lady pendant l’hiver. Construit en hiver 06/07 par Wilke, il est la concrétisation d’un rêve. Cette réalisation unique est entièrement construite en carbone selon les désirs du client qui voulait un bateau pour les régates de longue distance. Pour sa fabrication, Wilke a dû faire installer un four plus grand. A peine sorti du chantier, le bateau de Wolfgang Palm a obtenu la 2e place à la Rund Um du lac de Constance. Cette année encore, le Wild Lady a fait fureur sur le lac de Constance et le lac de Garde. A la Rund Um 2008, même les «America’s Cupper» n’avaient pas l’ombre d’une chance.

En route vers les J.O.

La construction des mâts est un autre domaine dans lequel Wilke réalise des constructions spéciales adaptées aux demandes spécifique des clients. «Nous sommes en mesure de fabriquer des mâts jusqu’à 18 mètres de haut. Mais là, où nous sommes leader, c’est dans la construction des mâts pour les Finn» dit Christof Wilke avec fierté. En effet, environ 75% de la flotte olympique des Finn arborent actuellement des mâts Wilke, parmi eux le champion olympique de Qingdao Ben Ainslie (GBR) et le vice-champion Zack Railey (USA). Wilke fournit à chaque navigateur un profil adapté à son poids et ses besoins. «Aucun mât ne ressemble à un autre», précise Christof Wilke. Pour expliquer la domination de son chantier dans ce domaine, il nous raconte une anecdote: «Je navigue moi-même depuis un certain temps en Finn et nous avons déjà construit plusieurs bateaux pour des navigateurs suisses. Avant les J.O. de Sydney, quelques navigateurs ont commencé à utiliser des mâts en carbone. On a beaucoup expérimenté dans le monde entier, mais sans obtenir de résultats satisfaisants. Alors j’ai décidé de fabriquer mon propre mât. C’était le premier mât profilé. Il était vraiment bon. Ensuite, j’ai prêté un de mes mâts à un ami qui est devenu champion d’Europe… juste avant les J.O.! Il s’en est suivi un véritable hype. Depuis, nous sommes numéro 1».
Questionné sur des projets d’avenir, le propriétaire du chantier nous répond qu’il aimerait bien agrandir la clientèle dans la flotte des Star. Mais, selon lui, les livres de commandes pour la prochaine saison sont déjà presque pleins. A ce propos, qu’en est-il du mannequin de Finn posé à côté du four? Christof Wilke sourit: «C’est un des tous gros projets pour les années à venir. Nous avions déjà construit quelques Finn par le passé. Maintenant, nous passons tout naturellement à la prochaine étape. Aux J.O. de Londres, nous voulons aussi être présents avec nos bateaux, pas seulement avec nos mâts. Nous travaillons pour l’équipe nationale anglaise, pour qui nous allons construire plusieurs bateaux». De toute évidence, le succès et la pérennité de l’entreprise Wilke semblent assurés.