Le traditionnel rendez-vous des propriétaires de Bordeaux60 s’est tenu début juin dans le sud de la Corse, où croisiéristes et régatiers s’en sont donné à cœur joie. © Nicolas Claris

Tout a commencé par une fin au début des années 1980. Apprenant que le chantier auquel ils ont commandé leur bateau est sur le point de faire faillite, deux amis décident de présenter un plan de sauvetage aux banques afin de mener la construction du voilier à son terme. Elles acceptent, le voilier peut être livré, mais entre-temps Dieter Gust et Olivier Lafourcade ont vendu plusieurs autres unités. Il faut dès lors trouver un outil de production approprié. Dans leur prospection sur la façade atlantique, ils repèrent en 1987 le site des Chantiers de la Garonne, fermés depuis un an après avoir fusionné avec d’autres ateliers séculaires bordelais, d’où était par exemple sorti le plus grand voilier mixte du monde en 1911, le cinq mâts France II. Pas de doute, les immenses hangars signés Gustave Eiffel équipés de quais de mise à l’eau et de bassins à écluse ont fière allure, le réservoir de main d’œuvre qualifiée ne demande qu’à être réactivé, les deux amis ont trouvé l’écrin idéal pour CNB.

© Nicolas Claris

Coup de pouce du destin, l’introduction de la loi sur la défiscalisation dans les années 1990 entraîne une augmentation de la demande de voiliers. Afin de pouvoir y répondre, des investissements d’envergures s’avèrent nécessaires, incitant les deux amis à ouvrir le capital de CNB au groupe Bénéteau qui en fait rapidement sa Division Grande Plaisance et Construction Navale. Le site bordelais ne construit plus simplement les super yachts (plus de 75 à voile et à moteur depuis), mais également les catamarans Lagoon, activité à l’époque encore modeste, et les vedettes de surveillance maritime. Au fil des années, Lagoon est devenu le leader mondial des catamarans de croisières, CNB a lancé avec succès la famille CNB Yachts, avec le Bordeaux60, un voilier hautement personnalisable, et les deux amis sont toujours là : Olivier Lafourcade est en charge de CNB Superyachts, et Dieter Gust, toujours président directeur général de CNB, est également devenu le n°2 du navire amiral, le groupe Bénéteau. Comment s’étonner dès lors que CNB jouisse au sein du groupe de plus qu’un énorme capital sympathie ?

En famille, en couple, entre amis, avec ou sans pro à bord, les propriétaires de Bordeaux60 reflètent des personnalités et une façon de naviguer très différentes. © Nicolas Claris
Le sur-mesure industrialisé

Aujourd’hui CNB emploie 600 personnes dans 44’000 m2 de hangar sur un site de 150’000 m2, abritant notamment le plus gros bureau d’étude de France avec accès direct aux bateaux, soit une cinquantaine de personnes. Deuxième employeur de Bordeaux, CNB recrute encore. Pragmatisme et rationalisation de la production y sont les maîtres mots, afin de pouvoir offrir les prix les plus avantageux. Ainsi les Bordeaux60 ou les CNB de 76 à 117 pieds profitent des économies d’échelle de la plateforme Lagoon : achats de matériaux et accastillage, moulage, menuiserie, etc… Imaginez une vingtaine de catamarans de 40 à 62 pieds construits à la fois sur une même chaîne de montage, longée par un magasin géant (accastillage, etc…) au rez-de-chaussée et le mobilier à l’étage. Des équipes au sol préparent ainsi des bourriches avec des kits de montage pour chaque unité avec toutes les pièces parfaitement étiquetées, puis les mettent à disposition des équipes de montage sur la plateforme. Celles-ci les fixent dans les coques avant le pontage des bateaux.

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L’atelier de finition permet de poser le teck à l’abri de la poussière, lui-même installé dans un énorme hangar. A droite, les bâches blanches protègent l’un des ateliers dont l’intérieur figure à gauche. © Brice Lechevalier
Une fois infusée, la coque est emmenée par un robot télécommandé dans un autre hall de montage. © Brice Lechevalier
© Brice Lechevalier
L’aménagement intérieur y est effectué à 10 mètres du sol, avant de procéder au pontage (pont suspendu en haut de la photo). © Brice Lechevalier
© Brice Lechevalier

Dans un autre hangar, les coques des Bordeaux60 prennent vie. La trentième (depuis 2008) sort du moule. Le Bordeaux60 est moulé sous infusion avec une âme en balsa, utilisé en sandwich avec la fibre de verre. Ses avantages sont triples : légèreté, insonorisation, isolation thermique. Pour sa part, le moulage par infusion permet une répartition homogène de la résine. Les Bordeaux60 disposent de leur propre équipe de montage, également parfaitement outillée. La menuiserie est impressionnante, pas uniquement à cause de son robot à huit outils de découpe ultra-rapide et précis. Tout y fabriqué de A à Z. Ainsi 2’500 références de pièces de bois entrent en compte dans la construction du 60 pieds. A la demande de certains propriétaires, jusqu’à sept essences de bois différentes ont été utilisées, trois étant le nombre de base dans l’offre standard. Après l’atelier de découpe et l’atelier de vernissage, les pièces sont pré-assemblées dans des conformateurs, permettant la vérification de leur conformité aux plans et leur installation avec toute la plomberie et l’électroménager par bloc (cuisine, salle de bain, carré, etc…) dans la coque. Dans l’un des nombreux autres hangars, en l’occurrence destiné à la fabrication de transporteurs de passagers, le châssis en aluminium du Bordeaux60 voit le jour. Un peu plus loin, le numéro 28 se fait poser son pont en teck, à côté d’un gigantesque mât en carbone. Une fois finalisé, un robot télécommandé à six roues le soulèvera et l’apportera jusqu’au quai où il sera mâté. Les premiers bords s’effectueront dans le fleuve devant la place de la Bourse, puis les vrais tests se dérouleront à Port Médoc dans les conditions musclées de l’Atlantique. De la commande à la livraison, six à huit mois se seront écoulés, selon les options.

Jusqu’à présent, plus d’un cinquième des Bordeaux60 sortis du chantier a été vendu à des Suisses. Le jour de la visite d’ailleurs, Daniel Schroff et Claudia Böhm de North Sails Schweiz préparaient le bateau d’un de leurs clients, invité l’an passé au rendez-vous de propriétaires de Palma. Naviguant en couple, il craignait que la taille soit un obstacle aussi important que le prix d’un 60 pieds. Il n’en a rien été et l’entrepreneur zurichois a été immédiatement séduit. Toujours animé par la même passion, Olivier Lafourcade songe quant à lui à de nouveaux projets de développement pour CNB Yachts : nouvelles familles de yachts de plus grandes tailles pré-conceptualisées par des architectes de renom, yachts à moteur dessinés par des architectes de voile pour une meilleure ergonomie, catamarans Superyachts – voile et moteur – pour compléter l’offre de Lagoon. L’histoire d’amour entre l’Atlantique et l’Helvétie ne fait que commencer.