Un dériveur construit de ses propres mains, un vélo et un sac de linge: c’est tout ce queRoland Begré charge dans le train, à Zoug, en quittant le lac de Bienne pour le lac deConstance, un beau jour de l’année 1964. Les années de voyage qui l’ont amené sur plusieurs lacs du Jura ainsi qu’au lac Léman ne suffisent pas pour étancher sa soif de découverte. «Je voulais découvrir la Suisse, explique le constructeur de bateaux. En plus, j’étais attiré par les chantiers navals du lac de Constance où j’espérais élargir mon savoir-faire.»

La fascination pour la construction de voiliers en bois et la navigation sur ces mêmes bateaux est née dès sa première sortie sur la chaloupe familiale. Depuis, cet ébéniste de formation et descendant d’une famille de vignerons a pratiquement toujours possédé son propre bateau en bois tout en travaillant, si possible, sur le modèle d’un client. Après plusieurs emplois dans différents chantiers navals et autres entreprises, il s’établit à Altnau au bord du lac de Constance. C’est ici qu’il rencontre sa future femme. Une rencontre qui le pousse à se poser, du moins au niveau géographique, le «sentiment de pouvoir chavirer» inhérent à la vie de baroudeur étant devenu une charge.

En ce qui concerne la construction des bateaux, Roland Begré continue inlassablement de viser la perfection. Le chantier d’Altnau qui l’emploie à l’époque travaille sur un Nordic Folkboat. C’est le coup de foudre: «En plus des heures de travail, j’ai passé tout mon temps libre sur ce bateau», se souvient cet artisan passionné et amoureux de réalisations en bois. Pendant des heures, j’ai planifié et cherché des améliorations en imaginant la sensation que le bateau procurerait sur l’eau. En 1970, j’ai finalement décidé de l’acheter.» Leur histoire d’amour est toutefois de courte durée. Peu après l’acquisition du bateau, il reçoit une offre qu’il ne peut refuser. Il n’en reste pas moins que la série scandinave avec laquelle Roland Begré partage d’ailleurs son année de naissance et qui forme toujours des flottes conséquentes dans le Nord de l’Europe, enAllemagne, Autriche, sur le lac de Constance et même à San Francisco, a fait naître en lui une passion qui perdure encore aujourd’hui.

Indépendant malgré lui

Le deuxième Folkboat construit par Roland Begré lui ouvre le chemin de l’indépendance, même si le destin lui force un peu la main. «Comme je n’avais pas beaucoup de temps libre, j’ai mandaté le chantier qui m’employait avec la construction de la coque, ce qui me permettait de travailler de manière permanente sur mon bateau. J’étais donc client et ouvrier en même temps», raconte-t-il. Imaginez le choc quand un beau matin et sans crier garde, un préposé aux faillites se présente et renvoie le personnel à la maison. Une situation difficile, dont se souvient Roland Begré, comme si c’était hier: «Il nous a expliqué que le site était fermé et que tout ce qui s’y trouvaitétait saisi.» 

Persévérant de nature, le Bernois met tout en œuvre pour sauver son bateau. Sa ténacité paie. Il réussit à louer le chantier jusqu’à la mise aux enchères à ses frais. Pas plus tard que le lendemain, il travaille de nouveau sur son Folkboat qui, après quelques sorties seulement, sera vendu à une femme «qui le voulait absolument». S’ensuit la construction de la prochaine unité et le déménagement dans la grange d’un paysan avant l’installation définitive dans la halle qu’il achète en 1976 et où il œuvre encore aujourd’hui. 

En dehors des réparations, hivernages et entretiens effectués sur les bateaux de ses clients, Roland Begré réalise chaque année de nouveaux Folkboats. A ce jour, 35 unités ont quitté son atelier. Les premiers en bois de mélèze et pont recouvert d’époxy, les plus récents en acajou avec, en option, un pont en teck. Environ la moitié navigue sur le lac de Constance et les autres lacs suisses, le reste à l’étranger.

La beauté pour passion

Roland Begré n’a jamais eu de difficulté à vendre ses réalisations haut de gamme. «Dans mes constructions, j’ai toujours essayé de donner le meilleur de moi-même tout en visant une esthétique parfaite; mes clients apprécient», dit-il avant d’ajouter: «La beauté, c’est un élément essentiel du Folkboat en bois. Ceux qui n’y accordent aucune importance peuvent tout aussi bien acheter un bateau en polyester.» Les Folkboats en bois sont sa grande passion et pouvoir en construire le remplit d’une immense satisfaction. «Voir le fruit de mon travail dans toute sa beauté sur le lac, c’est un sentiment incroyable», s’enthousiasme-t-il, particulièrement fier de les avoir toujours construits tout seul. Selon lui, il n’a jamais été question d’agrandir son entreprise. «On a peut-être parfois un peu trop de temps pour réfléchir quand on est si souvent seul, mais pour moi, ça a toujours été la manière idéale de travailler.»

Aujourd’hui, Roland Begré possède beaucoup d’expérience et un grand savoir-faire en matière de construction de bateaux et de navigation. Il y a quelques années encore, il participait activement aux régates, remportant une multitude de trophées au cours de sa carrière. «Tous mes bateaux sont des pièces uniques et chacun intègre les expériences faites avec ses prédécesseurs ainsi que mes attentes en tant que navigateur», précise celui qui peut se targuer d’être un des deux seul licenciés de la Nordic Folkboat International Association pour la construction d’unités en bois. Ses bateaux possèdent tous un certificat de jauge et peuvent être équipés soit avec un jeu de voiles de régate, soit avec des voiles plus grandes destinées aux plaisanciers et aux plans d’eau caractérisés par desvents faibles. 

Combien de temps Roland Begré, qui a atteint l’âge de la retraite il y a deux ans, sera-t-il encore capable de vivre sa passion? «Aujourd’hui, il me faut deux fois plus longtemps pour construire un bateau», constate-t-il, non sans une certaine nostalgie. Il compte y aller un peu plus doucement en se concentrant sur la construction proprement dite. Un successeur, il n’en a malheureusement pas pour l’instant. Qu’à cela ne tienne, les bateaux construits par Roland Begré exhiberont leur beauté encore longtemps, rappelant toute la passion qu’il a investie dans ses œuvres.