America’s Cup

Pour ceux qui n’ont plus suivi depuis l’été passé le feuilleton politico-judiciaire entre Alinghi et Oracle, la cour de justice de New York a donné tort à Oracle en 2e instance (en 1ère instance Oracle avait obtenu de la cour qu’elle déclare le Club Náutico Español de Vela invalide en tant que Challenge of Record), qui a décidé de faire appel. Fatigués des effets d’annonce d’Oracle prétendant œuvrer dans l’intérêt général, la quasi-totalité des challengers s’est petit à petit ralliée à Alinghi, qui a mis sur pied en automne des rencontres régulières à la Société Nautique de Genève avec tous les acteurs du milieu. En date du 15 décembre – l’échéance pour déclarer vouloir participer à la 33e America’s Cup – 19 challengers étaient inscrits (dont Team New Zealand) et demandaient unanimement à Oracle de renoncer à son procès en appel, bloquant de facto l’univers de la Coupe. Le 30 janvier, la nouvelle jauge AC33 était lancée (voir page suivante), issue d’un consensus entre la vingtaine de participants. A nouveau réunis à Valence début mars, les concurrents nommaient l’Américain David Pedrick, Directeur technique de la 33e America’s Cup, ainsi que deux nouveaux membres au Conseil d’arbitrage: l’Australien David Kellett, Vice-Président de l’ISAF, et le Britannique Peter Leaver, avocat au Royaume-Uni depuis 1967 et Président du Tribunal Arbitral du Sport. Qui a dit qu’Alinghi voulait contrôler les arbitres?
Poisson d’avril faisandé
Au lendemain du 1er avril, le ciel tombait sur la tête d’Alinghi : tout le travail effectué avec les 19 challengers inscrits tombait à l’eau et Oracle reprenait le flambeau, les juges de 3e instance lui donnant raison. La même faille technique du dossier espagnol dans laquelle s’étaient engouffrés les Américains refaisait surface : la fameuse régate en mer indispensable à tout challenger qui se respecte. L’extrait du jugement établit un petit rappel des conditions que le CNEV aurait dû réunir pour être déclaré valable : « Afin de respecter les obligations présentées dans l´Acte, un challenger devrait 1) être un club de voile organisé, 2) être étranger (basé dans un autre pays que le club qui défend son titre), (3) respecter les lois du pays concerné et disposer d´un statut officiel, (4) avoir une régate annuelle en mer ou sur un bras de mer ou les deux (…). C´est cette dernière obligation qui est le sujet de contention au tribunal, étant donné que le CNEV n´avait pas organisé une régate annuelle avant de déposer son challenge ». Est-ce avant tout un sentiment de patriotisme américain qui motive cette interprétation ? Alinghi ferait-il les frais d’un rejet helvétique en cette période de crise financière ? Toujours est-il que les tribunaux américains imposent leur vue : « En utilisant le terme annuel, cela suppose que la régate avait déjà été organisée une fois par le passé et sera organisée dans l´avenir». Les juges ont clairement pris partie pour Oracle, puisqu’il est loin d’être évident qu’annuelle implique une notion de passé. Or ils ont déclaré : « En conclusion, nous estimons qu´il existe aucune ambiguïté sur cette clause ». Et pour enfoncer le clou, ils ont également ordonné à la SNG de payer des dommages au GGYC pour les frais juridiques occasionnés. Faisant preuve de toujours autant de clairvoyance, les juges soulignent que « Ce sera désormais à la SNG et au GGYC de travailler ensemble pour que cette noble tradition d´une Coupe permanente perdure comme épreuve amicale entre des nations étrangères ».
Quelque soit l’issue du duel, Valence devrait sortir gagnante puisque les deux antagonistes annonçaient vouloir organiser une America’s Cup conventionnelle dans la ville hôte de la 32e Edition. Preuve encore qu’Alinghi et ACM n’avaient pas tout faux. Plus étonnant, dans le cas où Oracle venait à remporter le duel en multicoque contre Alinghi, son porte-parole Bernard Schopfer déclare qu’Oracle organiserait alors la Coupe à Valence. « Si New York nous donne raison, nous tenterons de négocier avec Alinghi la tenue d’une Coupe ouverte à tous, et si nous n’y parvenons pas, elle s’effectuera entre nous deux sur des multicoques. En cas de victoire, Russell Coutts souhaite que Valence accueille la 34e America’s Cup ». Le jour même de la décision, Ernesto Bertarelli prenait l’initiative d’appeler Larry Ellison pour tenter d’enterrer la hache de guerre.
10 mois et 3 coques ?
A moins d’un retournement de situation extraordinaire qui verrait Ernesto Bertarelli se mettre d’accord avec Larry Ellison et Russell Coutts sur un projet commun d’America’s Cup conventionnelle, il revient à Alinghi de définir le lieu du duel en multicoque dans un délai qui reste à fixer, mais la durée de 10 mois communément évoquée et la règle de l’hémisphère nord a priori acceptée par les deux parties devraient repousser le duel au printemps ou été 2010. Alinghi va également demander à Oracle le « custom house registry », qui permet d’authentifier le bateau avec lequel Oracle régatera. Si les Américains ont en effet construit un trimaran géant (voir Skippers n°30), ils ont toujours refusé de transmettre ce registre permettant de le définir comme celui qu’ils utiliseront contre Alinghi. L’hiver passé, le multicoque d’Alinghi, « une vraie bête de course » selon les termes d’Ernesto Bertarelli, était prêt à 80%, le patron d’Alinghi espérant ne pas avoir à le finaliser dans un futur proche. Après SUI64 et SUI100, le chantier suisse Décision va dorénavant mettre les bouchées doubles pour créer un troisième bateau vainqueur de l’America’s Cup. A deux ou trois coques ? De son côté, les marins d’Alinghi vont s’entraîner deux fois plus en catamaran, qu’il s’agisse du F41 et des Xtreme40 de Valence ou des D35 du Challenge Julius Baer sur le Léman, Alinghi envisageant de reprendre l’ancien Cadence pour créer un 2e équipage. Sur l’eau, le palmarès d’Alinghi contre Oracle est jusqu’à présent sans appel. Qu’il en reste ainsi.

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