L’Audi Med Cup est le Disneyland des fans de voile. Sauf qu’à la place de Mickey, Minnie ou Donald, on peut rencontrer les légendaires Dean Barker, Jochen Schuemann, Paul Cayard ou autre Russell Coutts en toute décontraction. En mai dernier, à Alicante, la première des six régates des TP52 recevait 16 bateaux. Construits sur la base d’une «rule box», ils sont manœuvrés par 14 équipiers. La plupart est issue de l’America’s Cup. Invité par l’organisation, Skippers a testé le circuit lors de la régate préliminaire. Grand maître de cette première rencontre, Mean Machine de Peter de Ridder (Monaco) a mis tout le monde d’accord à la fin de la semaine, en remportant quatre manches sur les huit courues.

Absent de taille, parce que son bateau n’était pas prêt, le BMW Oracle Racing de Larry Ellison et Russell Coutts manquait à l’appel. Idem pour une demi-douzaine d’équipes qui devaient rallier la flotte à l’occasion de l’une ou l’autre des six dates de ce circuit estival.
Mais à l’heure de la régate d’entraînement, l’ambiance est électrique. Avec huit bateaux
neuf en 2008, dont trois viennent directement d’America’s Cup Team (Desafío Español, Team Germany et Oracle), la flotte améliore sa vitesse chaque année. A l’heure des premières régates, chacun brûle de connaître sa valeur. «L’idée principale, sur Platoon, est de conserver le noyau de notre équipage vivant». Jochen Schuemann, de feu Team Germany, résume ainsi les motivations de beaucoup de marins du circuit, évincés de la Cup par le Deed of Gift Match entre Alinghi et Oracle. Comme pour lui faire écho, l’organisation profite du marasme ambiant pour attirer les projecteurs sur sa manifestation. Un pari qui dispose d’un budget de communication colossal et d’un joli potentiel de réussite.
Paul Cayard, team leader du Desafío Español, est très content d’être là: «Nous avons eu très peu de temps pour construire et préparer notre bateau. Ce travail a été réalisé par des membres de l’équipe dans notre base de Valence. Rien que le fait d’être ici aujourd’hui est déjà une réussite », avoue le mythique barreur. Pour réussir la suite des événements, il a fait venir un régleur de choix: Christian Scherrer, le seul Suisse à naviguer dans la série. «Ce sont des super bateaux et il y a un très haut niveau de régate. C’est excellent pour rester dans le coup entre deux America’s Cup», confirme «Blumi».
La journée d’essai est l’occasion d’embarquer. A l’invitation du propriétaire Alberto W. H. Roemmers, 83 ans, le magazine Skippers se glisse dans les filières de Matador. Le voilier, barré par Guillermo Parada, bat pavillon argentin. Il a terminé huitième l’an dernier, malgré un cruel démâtage en milieu de saison. L’équipage se connaît bien et vise «le top 5» cette année.
A bord, il faut d’abord trouver sa place. Deux moulins à café et quatorze marins de 85 kilos occupent déjà le large cockpit. Je me réfugie à l’arrière, en compagnie d’Alberto qui m’initie aux finesses du bolide. En dépit de ses 15,85 mètres de long hors tout et d’un déplacement de 7,5 tonnes, l’assiette du voilier est très sensible au déplacement de l’équipage. S’il veut être courtois, le visiteur d’un jour déplacera ses propres kilos au gré des virements de bords, balancés, et des allures du voilier.
Au large, l’ancien Volvo 70 ABN Amro one. Le vainqueur de la Volvo Ocean Race, rebaptisé Telefonica, est venu dire bonjour aux copains régatiers. Après quelques réglages, trois procédures de départ sont lancées dans un petit thermique de 6 nœuds. On se dit que cette première prise de contact va se faire tranquillement. Pas du tout! Après un hiver au chantier, la meute a les crocs. Ça frotte de tous côtés. Matador trouve un trou de souris et se glisse en premier rideau. Trois mètres à droite, une grande silhouette barre Bribon de main de maître. Ça pourrait être Juan Carlos, roi d’Espagne, puisque c’est lui le capitaine. Mais sa majesté n’est pas encore là. Il s’agit pour l’instant du barreur néozélandais Dean Barker. «Notre bateau a déjà une saison derrière lui. Nous allons devoir naviguer très juste pour l’emporter», avouait-il avant de larguer les amarres. A gauche, Tau Andalucia profite de l’entraînement pour mordre un peu le départ. L’ancien Artemis, vainqueur en 2007, est propriété de Javier Banderas, le frère du bel Antonio. Manœuvré par de «vrais amateurs», il gagne les deux premières manches du lendemain.
Un parcours entier est posé. Après un excellent départ, le tacticien de Matador a choisi la droite du plan d’eau. Mal lui en prend. Une bascule de 10 degrés et c’est la catastrophe. Le TP 52 ne pardonne aucune erreur stratégique. Le voilier argentin passe neuvième à la bouée au vent. Comme en dériveur olympique, les bâbords plongent dans les interstices du train des tribords. C’est sans pitié et chaud bouillant! Les barreurs de l’Audi Med Cup n’ont pas froid aux yeux lors des passages de bouée. Au deuxième bord sous spis, deux gigantesques ailerons frôlent le tableau arrière. A sept milles de la côte, deux requins pèlerins sont venus tâter du plancton d’Alicante. C’est un signe! Matador prend le taureau par les cornes et remonte à la quatrième place de cette régate pour beurre. Sur la route du retour, Juan Kouyoumdjian se fait déposer sur le bateau. En reconnaissance pour le compte du défi anglais Team Origin, le célèbre architecte naval vient humer l’air des TP 52 dans l’idée de construire «un bateau pour l’an prochain». Il est ici dans les territoires de chasse de Rolf Vrolijk, l’architecte principal d’Alinghi, qui a signé 80% de la flotte avec son collègue Judel. «Les TP ne sont pas les 52 pieds les plus rapides que l’ont puisse imaginer mais ils ont une bonne vitesse au vent arrière». Et le fougueux architecte de lancer une petite pique dont il a le secret: «Le seul problème de la jauge, c’est qu’elle est trop protégée par les propriétaires. Elle est une adjonction de règle ajoutée à la box rule. Ça nuit à l’innovation. Et l’innovation, c’est ce que je préfère faire». A Alicante, en tout cas, la série n’avait pas l’air vieillot. Avec des écarts de vitesse minimes, des équipages super affûtés et la possibilité de se refaire au vent arrière, les régates sont bourrées de rebondissements. Une seule question subsiste pour les Suisses que nous sommes. Mais pourquoi Alinghi ne figure pas dans les équipes de ce circuit? Consulté à ce sujet, lors de l’inauguration du «Starting Vessel» de la Société Nautique de Genève, Brad Butterworth évoquait «un programme déjà chargé et le coût important d’un programme de TP 52». Mais le skipper d’Alinghi ne cachait pas son «grand intérêt» pour la série.