Le réchauffement climatique touche aussi les Caraïbes. Mon ami Dieter et moi en avons fait la désagréable expérience. Pour notre voyage, notre choix s’était porté sur la saison sèche, mais c’était sans compter avec la météo qui nous a joué des tours. Sur place, il pleut beaucoup – trop pour la saison. Philosophes, les habitants de l’île gardent leur sang froid: «Il y a deux saisons, une humide et une plus humide», disent-ils en affichant un large sourire.

La meilleure solution pour échapper à cette «saison humide» est donc de partir en croisière. Généralement, les nuages s’amassent dans les zones montagneuses tandis que la côte et la mer restent ensoleillées. Une croisière permet aussi de découvrir les îles sous leur plus bel angle et d’éviter le stress des bouchons. Ainsi que la recherche d’un hôtel propre à toute arrivée en avion ou en ferry, chose qui a la fâcheuse tendance à mettre nos nerfs à rude épreuve dès le début du séjour. Les îles se révèlent alors sous une toute nouvelle lumière.

Pour la semaine à venir, un catamaran nous servira de maison. Le skipper, Manolo, nous présente l’équipage: Jacques, le cuisinier ainsi que les passagers, Martine, Michelle et Jean-Noël. Sur une longueur de 17,3 mètres pour 8,6 mètres de large se cache du luxe pur. En plus des quatre cabines doubles dotées chacune d’une salle de bain, un carré lumineux, un coin de navigation et une cuisine sont à notre disposition. Finalement, ces derniers ne sont utilisés qu’en cas d’extrême nécessité, nous préférons séjourner dans le cockpit, sur la «terrasse» équipée de sièges confortables ou sur le filet tendu entre les deux coques où il fait bon lire et rêver.

La Guadeloupe, «L’île papillon»

Notre odyssée nautique débute dans la marina de Bas du Fort, à quelques encablures seulement de Pointe-à-Pitre, la capitale de la Guadeloupe. La Guadeloupe, «L’île papillon» des Petites Antilles, conjugue l’art de vivre caribéen avec le style de vie français. Résultat: une île envoûtante au charme incontestable. Sa silhouette rappelle effectivement un papillon aux ailes radicalement différentes. L’aile orientale, Grande-Terre, est plate, sèche et relativement peuplée. Des plantations de canne à sucre, nécessaire à la distillation d’un rhum à haute teneur d’alcool, dominent le paysage. Côté mer des Antilles, non loin de la capitale, les complexes touristiques sur fond de plages de sable immaculé s’enchaînent. Sur la bande côtière atlantique, des falaises de calcaire tombent à pic dans la mer. Une chaîne de montagnes accidentées, protégées en grande partie par un parc national, forme l’aile gauche du papillon, dite Basse-Terre. Le point culminant de ce massif est la fameuse Soufrière, un volcan encore en activité qui offre une excursion des plus captivantes.

Marie-Galante, «L’île aux 100 moulins»

Nous larguons les amarres, direction le large. Le vent au nez, toujours vers le soleil, les nuages s’entassant une fois de plus aux flancs des montagnes de Basse-Terre. Notre premier objectif est Marie-Galante, située à 20 milles au sud de la Guadeloupe. Profitant d’un vent favorable, les voiles se gonflent rapidement, le bateau glisse à vive allure sur l’eau. La traversée jusqu’à Marie-Galante doit durer 2 à 3 heures, suffisamment pour admirer les couleurs et formes sans cesse changeantes de la mer, le jeu magique des nuages et de l’îlot disparaissant dans la brume. Tel un mirage, l’Îlet du Vieux Fort apparaît à l’horizon. Survolés par des centaines d’oiseaux, deux palmiers ornent cet îlot miniature, non loin de la côte de Marie-Galante: un sujet de photo issu directement d’un catalogue de vacances, à l’image de l’eau aux reflets turquoise dans l’anse Canot, notre prochain mouillage. Elle est abandonnée, si bien qu’on se prendrait presque pour Christophe Colomb. Il avait d’ailleurs baptisé Marie-Galante d’après le nom d’un de ses bateaux, lorsque le 3 novembre 1493, il a accosté sur l’île avant de découvrir également la Guadeloupe. La mer transparente est une invitation au snorkeling. Nul besoin d’enfiler la combinaison de plongée. Sans gêne, des poissons-clown, des poissons-trompette et des calamars passent à quelques centimètres seulement du masque. Les coraux balancent doucement leurs éventails. Nous sommes sous le charme, d’autant plus que Marie-Galante est plate et donc dépourvue de montagnes permettant aux nuages de s’accumuler.

Pour éviter les courants, notre skipper, Manolo, nous recommande de passer la nuit dans la baie voisine de Saint-Louis. Sur le quai, nous observons les gens flânant après la sortie du travail, bavardons avec les pêcheurs qui réparent leurs immenses filets. Nous contemplons les vagues déferlant sur le sable et le ciel se couvrant d’un dernier voile rose avant de disparaître à l’horizon. Une image paisible qu’on aimerait pouvoir figer…

Le lendemain matin, tôt, la première image que nous apercevons depuis notre catamaran est encore celle des pêcheurs s’affairant sur leurs filets. C’est grâce à eux que nous pouvons déguster les dorades succulentes, les mérous et les thons sortant tout juste de la mer. A côté de la pêche, l’autre source principale de revenus est l’agriculture, notamment la culture de la betterave sucrière. Nombre de moulins témoignent de cette activité. Marie-Galante leur doit son surnom «L’île aux 100 moulins». Si des méthodes de travail plus modernes ont pris le relais, ils sont un régal pour les yeux.

La Dominique, la plus authentique des îles antillaises

Nous mettons le cap sur la Dominique. Son nom indien, Waitukubuli, signifie «haut est son corps». Ignorant son nom précolombien,Christophe Colomb l’a nommée à son tour «Dominica» d’après le jour de sa découverte–un dimanche de novembre 1493. Nous longeons la côte nord-ouest aux flancs escarpés recouverts d’une végétation dense. Derrière, les plus hautes montagnes des Caraïbes s’élèvent, impressionnantes, arrachant aux nuages des averses intermittentes. Traversées par le soleil, elles créent une multitude d’arcs-en-ciel. «L’île des arcs-en-ciel» n’est définitivement pas comme les autres. A cause du relief escarpé, l’intérieur des terres n’est que très peu desservi. Les images de plages de sable blanc, nous les cherchons en vain. C’est certainement aussi une des raisons qui ont empêché le tourisme de masse de s’y établir. Ici, pas de complexes hôteliers mais des pensions familiales, pas d’autoroutes bétonnées mais d’étroits sentiers parsemés de nids de poule. Pas de nature domptée et stylisée, mais une authenticité sauvage. Bref, une aventure comme à l’époque où le tourisme vivait ses premières heures. Cette authenticité, qu’une grande partie des îles des Caraïbes a perdu, fait de la Dominique une terre si particulière. Son capital: un tourisme doux et le respect de la nature. Ce n’est pas pour rien qu’elle a choisi le nom «The nature island» pour vanter ses charmes. Dans les forêts humides très denses qui couvrent les deux tiers de l’île, on trouve des cascades paradisiaques, des piscines naturelles ainsi que des sources chaudes et des lacs, dont le deuxième plus grand lac de cratère bouillant du monde.

Malgré sa petite taille (46km de long pour 26km de large), l’île ne se visite pas en quelques heures. En fait, sur l’île de la Dominique, il faut du temps pour tout et c’est bien ainsi. Le calme et la sérénité des habitants devraient nous servir d’exemple. Si la langue officielle est l’anglais, la plupart des habitants parlent le patois créole. Tantôt colonie française, tantôt britannique, la Dominique est indépendante depuis 1956 et république autonome du Commonwealth depuis 1978. Le niveau des prix est sensiblement plus bas que sur les îles françaises voisines. On paie avec des Eastern Caribbean Dollars.

Parmi les excursions à recommander, une escapade en bateau sur l’Indian River est sans doute la plus belle. La rivière doit sa célébrité au film «Pirates des Caraïbes». C’est ici, dans l’enchevêtrement des racines au bord de l’eau que fut construite la cabane où se déroule la scène hilarante avec Johnny Depp et la voyante Tia Dalma. En suivant le cours paisible de l’Indian River, on peut se faire une première idée de l’incroyable richesse de la nature de la Dominique. Les forêts avec leur étonnante diversité attirent surtout les naturalistes. A ce jour, on a répertorié 172 espèces d’oiseaux et plus de 1000 fleurs. Dans le Parc national du Morne Diablotin entourant le sommet le plus haut de l’île (1447m), on a créé un sentier botanique didactique: le Syndicate Trail. Traversant la forêt sous les arbres géants, il est doté de plusieurs postes d’observation d’où on peut apercevoir des perroquets endémiques Sisserou (Amazona imperialis) et Jaco (Amazona aurasica).

Roseau, la capitale, est un point de départ idéal pour de nombreux sites naturels du Parc national du Morne Trois Pitons (classé patrimoine mondial par l’Unesco), comme les chutes de Trafalgar ou de Middleham qui se jettent dans de magnifiques piscines naturelles. Dans les Sulphur Springs de Wotten Waven, on peut se prélasser dans des sources de soufre chaudes, à l’ombre des arbres tropicaux. Un peu plus physique est la balade jusqu’au «Boiling Lake». Mais quelle récompense de se trouver devant le lac bouillonnant, au milieu de nuages de fumée et d’apercevoir au loin, et par vent favorable, la Martinique! Titou Gorge propose une expérience toute particulière. A son point de départ se trouve un petit étang depuis lequel on peut traverser un étroit gouffre à la nage pour arriver à une cascade. Dans ce jacuzzi naturel, Johnny Depp et son équipage ont déjà bu la tasse, poursuivis par les indigènes en colère.

Les Saintes, les îles des pirates

Après une rapide traversée, l’archipel situé à 10 milles au sud de la Guadeloupe se révèle à nos yeux. Les Saintes ont la réputation de sortir tout droit d’un livre d’images. C’est vrai, mais seulement en partie. Depuis le bateau, l’île semble idyllique. Pourtant, le week-end, quand des hordes de touristes journaliers envahissent l’île principale, Terre-de-Haut, sur leurs motos puantes, cette beauté prend un sérieux coup. Pour le navigateur, le problème est vite résolu. Il se rabat sur l’îlet à Cabrits qui est inhabité pour y faire du snorkeling ou s’adonner au farniente. Ou il se rend sur Terre-de-Bas qui, bien qu’habitée, est restée beaucoup plus sauvage que sa sœur Terre-de-Haut. Nous y visitons la boutique d’artisanat de Bertheau Morvan qui vend encore le salako, le traditionnel chapeau plat en lamelles de bambou recouvertes de tissu. A ne pas rater: un déjeuner «Chez Eugénette» dans la Grande Anse pour y déguster ses délicieux «coffres». Ces poissons insolites dotés d’une carapace solide se laissent facilement décortiquer, libérant leur chair tendre. Repus, nous piquons un petit roupillon à la plage.

Dès que les visiteurs ont quitté l’île, Terre-de-Haut retrouve son charme. Sur le quai, les habitants jouent aux boules et se donnent rendez-vous dans le bar de la plage pour échanger les derniers potins. Dans le jardin du Fort Napoléon transformé en musée, même les iguanes ressortent de leur cachette. La baie de Pompierre, considérée comme une des plus belles plages du monde, invite à la baignade. Depuis le morne Morel, l’incroyable beauté de la crique protégée par les falaises se révèle dans toute sa splendeur. Selon la légende, c’est ici que des pirates ont caché leur butin. Mais le véritable trésor, c’est la nature. A cause de l’affluence massive des bateaux débarquant quotidiennement depuis la Guadeloupe, sa protection s’avère pourtant difficile.