Appareillage de Kythnos dans les feux de l’aurore.

Plouf ! Le fracas de la chaîne d’ancre qui plonge dans l’eau claire résonne sur les parois rocheuses de Pollès, une anse déserte au sud-est de Kéa, notre choix du jour pour un arrêt de quelques heures. Manœuvre terminée, le calme reprend ses droits sur cet ancrage désert. Seuls à l’ancre, nous savourons la quiétude absolue de la baie. Sur un éperon de roche qui surplombe la plage déserte, on aperçoit les vestiges d’un temple d’Athéna et de l’acropole de Karthéa, datée du VIe siècle avant JC. Avant de débarquer, nous commençons par un plongeon revigorant dans l’eau encore fraîche du printemps grec, suivi d’une collation dans le confortable cockpit de notre Moorings 50. Quelques coups de rames plus tard – évitons d’installer le 6 ch hors-bord pour une si brève distance, cela troublerait le silence ! – nous accostons sur le sable doré pour gagner les ruines antiques. Un étroit sentier escalade la rocaille, parmi mille fleurs parfumées que le soleil estival fera bientôt roussir. Pas de doute, le printemps est la belle saison pour découvrir les Cyclades ! À 100 m au-dessus de l’eau bleue, le temple d’Athéna impose sa majesté au site, et en grimpant encore plus haut à travers la garrigue, une petite chapelle réserve, de sa terrasse, un panorama à couper le souffle, avec les crêtes bleutées de Kythnos qui se découpent à l’horizon. Quelle beauté, quelle tranquillité ! Et quel contraste avec la frénésie parisienne, laissée dernière nous il y a tout juste deux jours ! C’est cela la croisière aux Cyclades : un dépaysement total parmi des îles grandioses où les villages cubistes scintillent de blancheur, où les chapelles et les monastères s’ancrent tantôt à flanc de colline, tantôt au sommet des caps, divines balises que les marins grecs n’oublient jamais de saluer par un signe de croix quand ils passent au large. Chaque île est différente et offre aux navires de multiples abris : criques secrètes, mouillages de pêcheurs et ports pittoresques où les voiliers de passage côtoient les caïques colorés.

Cap vers Sifnos
Calanque de Fikiadha, abri parfait pour un ancrage solitaire, au Sud-Ouest de Sifnos.

Avant Karthéa, commencez, comme nous, par une halte en baie d’Aghios Nikolas, de l’autre côté de l’île, à environ deux heures de voile de la base Moorings de Lavrion. Ce havre splendide se divise en deux anses qui abritent deux « scalas » : Korissia, où accostent les ferries, et Vourkari, vieux hameau de pêcheurs qui a la préférence des plaisanciers de passage, avec ses jolies tavernes au bord de l’eau. Dégustez les poissons du jour grillés et des entrées savoureuses chez Aristos, notre adresse préférée. Et si la pêche ne « donne » pas, optez pour les brochettes de porc grillées aux herbes ! En escale ici, ne manquez pour rien au monde la balade jusqu’à Ioulis, l’unique bourg de l’île, accroché à la montagne dans un écrin de verdure. Prenez le bus (moins d’un euro) ou un taxi (huit euros) pour les huit kilomètres d’une côte serpentine. Nulle voiture dans ce village qui escalade la montagne, tout en ruelles étroites, en passages voûtés, en petites places où les sabots des ânes résonnent sur le pavé, où le parfum du jasmin se mêle aux odeurs de foin et de crottin. Au sommet du village, continuez par un chemin verdoyant. L’eau y surgit de tous côtés (un cas unique dans les îles grecques !) et, en contrebas d’un cimetière bucolique, vous découvrirez le fameux Lion de Kéa, couché parmi les oliviers, étonnante sculpture qu’un artiste a fait jaillir de la roche il y a 2 600 ans.

L’arrivée en baie de Livadhi (île de Sérifos) offre le spectacle inoubliable de son village blanc ancré sur un pic rocheux.

En quittant Kéa, une jolie brise portante nous incite à laisser sur tribord les îles de Kythnos et Sérifos pour faire route sur Sifnos, à 45 milles devant l’étrave, Au Ve siècle avant Jésus-Christ, Hérodote disait qu’elle était « la plus riche de toutes les îles » grâce à ses mines d’or, d’étain et d’argent. Plus question d’or aujourd’hui (plus personne ne sait où se trouvaient les mines !) mais l’île reste idyllique, avec ses villages si authentiques qu’ils sont tous classés. Nous l’abordons sous une belle nuit étoilée, en venant mouiller dans la baie de Vathy, dont l’unique feu signalant la passe suffit pour entrer en sécurité. C’est une baie ronde et spacieuse, frangée de sable et environnée de pentes couvertes d’oliviers cultivés en restanques. Quelques villas parsèment les alentours, et sur la rive nord, la coupole blanche d’une jolie église brille sur le quai d’un hameau de pêcheurs. On s’y amarre à deux pas d’un sympathique café-taverne, qui dispose ses tables sur la plage à l’ombre des tamaris. L’épicerie et la boulangerie du village nous permettent de compléter la cambuse avant de gagner, à deux milles de là, le mouillage de Fikiadha. Calanque déserte et paradisiaque, avec son eau limpide et sa petite chapelle éclatante de blancheur, seule construction visible aux alentours. Dans le maquis environnant, quelques chèvres donnent de la voix, comme pour saluer notre arrivée, ou protester contre cette intrusion, comment savoir ? Au programme de ce bout du monde : baignade, farniente sur le pont et randonnées sur les sentiers de chèvres, avec, en grimpant sur la colline derrière la plage, de larges panoramas sur la côte sud de l’île. Le lendemain, c’est un peu à regret que nous levons l’ancre pour mettre le cap sur Sérifos, à 16 milles au NNW, traversée que notre Moorings 50 avale à sept nœuds au bon plein, laissant à tribord les montagnes de Sifnos. Bientôt, Sérifos dévoile le spectacle de son Kastro en nid d’aigle, perché sur un pic rocailleux que le village blanc dévale comme une cascade en s’éparpillant sur la pente. Au pied de ce joyau, un des plus brillants des Cyclades, s’ouvre un vaste port naturel, parfaitement abrité, où l’on a le choix entre le mouillage sur ancre devant une longue plage, ou l’amarrage à quai au bourg de Livadhi, doté d’un môle qui s’avance jusqu’aux sondes de 5 m. Nous optons pour la seconde solution, pour profiter des cafés et des restaurants. La promenade jusqu’au Kastro, à une demi-heure de marche par le sentier muletier qui part du bord de mer puis à travers le labyrinthe de venelles et d’escaliers du village, offre une vue inoubliable, avec le port à vos pieds et, au loin, les silhouettes dentelées des Cyclades du Sud : Paros, Naxos, Siphnos, Folegandros… N’hésitez pas à louer ici une voiture ou un scooter (à 100 m du quai) pour explorer l’intérieur de cette belle île, avec en priorité le monastère fortifié des Taxiarques, formidable sentinelle dont les moines guettaient jadis la mer bleue, dans la crainte d’y voir surgir une voile barbaresque. Après le port de Sérifos, nous ferons une autre escale au sud-ouest de l’île, à Méga Livadhi, jolie baie bordée d’un paisible hameau le long de la plage. Non loin, les vestiges d’une ancienne mine de fer rappellent que ce métal faisait autrefois la richesse de l’île. Cette halte pleine de charme nous laissera en outre le souvenir d’un savoureux dîner à la taverne du Cyclope, tables plantées sur la plage, Mama aux fourneaux et Spiros, le fils, assurant un accueil chaleureux aux (rares) voyageurs de passage. On se verrait bien rester ici quelques jours, mais le temps passe trop vite et nous devons, déjà, remettre le cap au Nord vers la base Moorings.

Des charmes inépuisables
Parmi mille autres, une petite église blanchie à la chaux, impeccable emblème du paysage cycladique.

Appareillage donc, dès le lendemain matin vers Kythnos, la dernière île de notre périple. Nous y jetons l’ancre à Kolona, une surprenante baie double, de part et d’autre d’un isthme sablonneux en forme de plage, qui relie la terre ferme à une ancienne île. En grec, Kolona (colonne) évoque l’existence d’un site antique, dont il reste en effet quelques vestiges au sommet de l’île. On peut mouiller d’un côté ou de l’autre de la plage, les deux ancrages étant bien abrités. En ce début de saison, un calme absolu règne sur ce site enchanteur, où l’on aperçoit juste une chapelle au sommet de l’île, quelques cabanons blancs d’un discret hôtel au bord de l’eau, et une taverne qui n’ouvre que l’été, près de la plage. N’hésitez pas à débarquer pour monter jusqu’à la chapelle : vous découvrirez de magnifiques murs de pierres dressées et un beau panorama sur les deux ancrages. Et si vous vous sentez une âme d’archéologue, continuez vers l’ouest de l’île jusqu’aux ruines antiques perdues dans la garrigue. Kolona sera notre dernière escale aux Cyclades, nous faisant regretter la brièveté de ce périple dans un archipel aux charmes inépuisables. Une ultime traversée d’une trentaine de milles nous mènera jusqu’ à la base Moorings de Lavrion, sous un ciel orageux pas vraiment de saison, mai et juin bénéficiant habituellement d’un ciel d’azur et de vent légers. En route, nous ferons tout de même une dernière halte sous le cap Sounion, avec son majestueux temple de Poséidon, planté face au large au sommet d’une paroi de roches rouges. Vision qui renforcera notre désir de revenir vers ces îles de lumière, bénies par tous les dieux de l’Olympe. Vivement le prochain voyage aux Cyclades !