« James Cook a dû aborder une autre île ! » Cette pensée me traverse l’esprit tandis que je me remets du long voyage sur une des plages blanches de Nouméa, les pieds enfouis dans le sable chaud. Le soleil fait scintiller l’eau au-dessus du récif aux mille couleurs et ma peau d’hiver désespérément blanche montre rapidement les premiers signes d’un coup de soleil. Comparer ce coin avec la beauté sauvage de la côte écossaise comme l’a fait l’explorateur britannique James Cook lorsqu’il a découvert cette terre encore largement inconnue aujourd’hui pour la baptiser « New Caledonia » me semble absurde. Mais comme je le découvrirai plus tard, la Nouvelle-Calédonie possède de multiples visages et à l’endroit où Cook a atterri en 1774, les falaises sont véritablement aussi escarpées et abruptes qu’en Ecosse.

La Nouvelle-Calédonie n’est pas seulement une destination de rêve pour les navigateurs, elle cache aussi d’inestimables trésors sous l’eau. La mer regorge de poissons de toutes les couleurs et au large des côtes isolées, la pêche est autorisée sans contraintes particulières. © ZVg
© Raoul Rudin

Pendant que je laisse vagabonder mon esprit, le bruit de la capitale me parvient à peine et seulement par bribes. Chose étonnante, puisque Nouméa est une ville animée. 170’000 personnes peuplent la zone économique de la capitale administrative de cette collectivité française d’Outre-mer. Elle ressemble à s’y méprendre à une ville du sud de la France : les baies débordent de marinas pleines à craquer, la circulation est constamment à la limite du chaos total et, question architecture, les habitants n’ont même pas essayé de se distinguer de la Métropole. En y regardant de plus près, on distingue pourtant des différences : la diversité des populations, l‘influence des cultures mélanésienne,
polynésienne et asiatique ou encore l’accueil chaleureux et la gentillesse des habitants. Tout semble plus ordonné, plus propre et surtout plus joyeux que dans les homologues méditerranéennes de la ville.

A l’exception de la conurbation de Nouméa et de quelques petits villages, la Nouvelle-Calédonie est pourtant presque déserte. L’île principale, « Grande Terre », et ses îles avoisinantes comptent seulement 13 habitants par km2. La plus célèbre est sans doute l’île des Pins ou « île la plus proche du paradis » pour les intimes. C’est ici que m’attendent mon bateau et mon skipper.

Arrivée dans les mers du sud

Après avoir passé les détecteurs de métaux débranchés de l’aéroport domestique et un personnel de sécurité somnolant sur ses chaises, j’embarque dans un avion à hélice qui provoque en moi le sentiment oppressant de me trouver dans un bus citadin bondé, en route vers une fête populaire. Pourtant, ce coucou m’offre quelques instants plus tard une vue splendide sur la gigantesque barrière de corail. Elle encercle l’ensemble de Grande Terre, y compris l’île des Pins, et renferme en son sein le plus grand lagon du monde. En 2008, l‘incroyable biodiversité de cette deuxième plus grande barrière de corail au monde lui a valu l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. En tout, six sites ont ainsi été protégés.

Gadji Bay : Les petits îlots ressemblant à des champignons semblent signaler l’entrée du paradis. © DR

A peine ai-je remis le pied sur la terre ferme qu’il faut composer avec de nouvelles impressions. Fouler le sol de cette île revient à faire l’éloge de la lenteur. Ici, la nature n’a pas lésiné sur les moyens. Des forêts vierges composées d’arbres ressemblant à des pins et des palmiers de toutes sortes couvrent une grande partie de la terre. Bordées de cocotiers, les plages d’un blanc immaculé sont léchées par l’eau des lagons peu profonds. Je me demande ce que les prisonniers politiques déportés sur cette île après la répression de la Commune de Paris en 1871 ont dû ressentir – si loin de leur patrie et apparemment si près du paradis !

L’île des Pins abrite une population clairsemée. Ses habitants sont surtout des descendants des autochtones mélanésiens, les « canaques », comme ils se désignent eux-mêmes, ce qui signifie tout simplement « humain ». Ils vivent de la pêche ou arrondissent leurs fins de mois en cuisinant pour des touristes majoritairement asiatiques dans les rares hôtels discrètement nichés dans la forêt, les promenant sur leurs pirogues ou les transportant sur des îlots lointains avec leur speedboat. En marge de ces activités, ils semblent mener une existence simple et paisible qui leur donne entière satisfaction.

Après deux jours sur place, je suis attendu par Antonie, mon skipper pour les jours suivants. Il m’accueille sur un catamaran français de 40 pieds. Nous décidons de contourner l’île. Pendant notre cabotage le long des côtes déchiquetées, nous profitons de conditions idéales. Antonie ne tarit pas d’éloges sur les conditions de navigation en Nouvelle-Calédonie : des vents réguliers, des températures entre 20 et 30°C toute l’année et le spectacle naturel sur et sous la surface de l’eau ne sont que quelques-uns des avantages qu’il énumère avec son enthousiasme débordant. « Rien à voir avec une croisière sur la Méditerranée », assure-t-il, un sourire aux lèvres. Il sait de quoi il parle puisqu’Antonie est originaire de Nice. Ce moniteur de voile d’à peine 30 ans fait partie d’un nombre croissant de jeunes Français qui, à la recherche d’un travail et fuyant le manque de perspectives et l’entêtement bureaucratique, se sont installés à Nouméa. Pour couronner le tout, Antonie va me prouver de manière impressionnante que ses propos enthousiasmants ne sont nullement des paroles en l’air, mais la stricte vérité.

Se relaxer en toute quiétude

Nous affalons les voiles et mettons le cap sur notre mouillage de Gadji Bay. La vue est à couper le souffle ! Jusqu’au fond de la baie longiligne, le paysage brille et scintille sous la lumière du soleil. Les plages d’un blanc immaculé, les palmiers verdoyants et les coraux multicolores se reflètent plusieurs fois dans l’eau cristalline, tandis que les îlots ressemblant à des petits champignons signalent l’entrée du paradis. Apercevant l’effet que ce spectacle saisissant produit sur moi, Antonie me lance, un grand sourire aux lèvres, comme s’il voulait me remonter le moral : « Ne t’inquiète pas, tous les gens qui viennent pour la première fois ici vivent la même chose. »

Nous jetons l’ancre et je pars immédiatement explorer le monde sous-marin, équipé d’un masque et d’un tuba. Une fois de plus, je suis subjugué par la beauté du spectacle : l’eau regorge de poissons de toutes les couleurs qui gravitent autour de moi sans peur du contact et me donnent un aperçu de ce que le terme biodiversité signifie sous ces latitudes. J’ose à peine imaginer ce qu’offrent les nombreux spots de plongée de l’archipel, dont certains peuvent se targuer de figurer parmi les meilleurs du monde.

Entre-temps, Antonie s’est armé d’un harpon et lancé dans l’eau pour en ressortir peu après avec un poisson perroquet qui servira de base à notre délicieux souper. Si en Nouvelle-Calédonie, la pêche est autorisée sans contraintes particulières, elle est interdite dans les environs de Nouméa pour protéger les fonds marins de la surpêche.

Les jours suivants s’écoulent dans le calme et la régularité. Nous nous abandonnons au vent, faisons escale sur des îles désertes, pratiquons le snorkeling et la lecture, profitons du farniente et nous accordons des repas généreux tout en nous approchant du sud de Grande Terre. Ici, la terre est rouge et au large, on distingue clairement les contours d’une fabrique de nickel en construction. De toute évidence, la Nouvelle-Calédonie se distingue des autres atolls des mers du Sud dans beaucoup de domaines. L’archipel n’est pas d’origine volcanique, mais s’est détaché tout comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie du supercontinent originel Gondwana. Tel un gant retourné, les nombreux plissements ont poussé l’intérieur vers l’extérieur, raison pour laquelle les couches de roches riches en matières premières se trouvent aujourd’hui à la surface de l’île. Une des conséquences est la multitude de plantes primitives et endémiques qui poussent dans la région et les gisements de nickel qui s’offrent aux exploitants comme sur un plateau et qui représentent 10% des réserves mondiales. « Il n’y a pratiquement rien sur cette île qui n’a pas été fait à cause ou grâce au nickel », précisera plus tard le guide, David.

Grande Terre et sa prodigieuse diversité

Dans la ville animée de Nouméa, la plage offre un calme bienvenu, du moins en semaine. © ZVg

Arrivés sur l’île Amédée surmontée d’un phare, nous décidons de grimper jusqu’au sommet et de nous laisser imprégner par le panorama. Sur fond de ciel bleu se pointent les premiers nuages. Le prolongement de l’anticyclone se fait maintenant clairement sentir et après une nuit agitée, un avis de tempête nous contraint définitivement à rentrer à Nouméa plus tôt que prévu. C’est dommage mais loin d’être tragique puisque la capitale et surtout son arrière-pays offrent de multiples possibilités de découverte. Les excursions dans les villages et réserves naturelles au sud et au nord de Grande Terre font apparaître la diversité des paysages de la Nouvelle-Calédonie et donnent un aperçu du mode de vie des Canaques et des Caldoches. Ces descendants des premiers colons français vivent reculés comme paysans, éleveurs de chevaux et même comme « stockmen » à l’image des cowboys américains.

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Inauguré en 1989, le centre culturel Tjibaou, près de Nouméa, dédié à la culture mélanésienne vaut également le détour. Il a été baptisé en l’honneur du leader indépendantiste canaque Jean-Marie Tjibaou assassiné en 1989. Ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Nouvelle-Calédonie devraient absolument visiter les expositions du musée maritime qui a été rouvert récemment. A travers des vestiges culturels, il offre un résumé historique de la colonisation de l’île en 1500 avant notre ère : l’arrivée des pêcheurs de baleines et missionnaires autour de 1800, la

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construction d’une colonie pénitencière par les Français au milieu du XVIIIe siècle et la période de la deuxième guerre mondiale pendant laquelle Nouméa servait de quartier général des Alliés dans le Pacifique et que près d’un million de soldats américains ont été stationnés dans cette petite ville endormie, catapultant brusquement les habitants dans le XXe siècle.

Indépendamment de l’intérêt historique et culturel qu’on prête à ce coin de terre lointain, une croisière en Nouvelle-Calédonie mérite largement un voyage à l’autre bout du monde, même s’il est long, pénible et assez cher. On y est tout simplement trop près du paradis.