Animé par l’envie de rompre avec les frimas hivernaux, le voyageur occidental pourrait bien viser les plages balinaises ou thaïlandaises, légitimement réputées. Mais sait-on seulement que pour un temps de vol à peine prolongé, ce sont potentiellement 7 000 îles que les Philippines – encore mal connues – offrent à la découverte ? La dernière barrière terrestre avant l’ouverture sur le grand large de l’Océan Pacifique déploie un spectaculaire éventail de beautés naturelles propices à l’activité sportive ou au farniente.

A Bohol, 1268 collines coniques sur 50 km2. © Bernard Pichon

Si les montagnes du nord de Luzon appellent à la randonnée, les grottes de Samar à la spéléologie et les plages de Boracay à la planche à voile, de vastes horizons s’ouvrent généreusement aux navigateurs. Quant aux plongeurs, il y a belle lurette qu’ils ont cédé aux richesses du milieu sous-marin – notamment du côté de Palawan (pour les plus nantis), une île si idyllique que certains épisodes de Koh Lanta y furent tournés.

Brutal prélude à ces promesses paradisiaques: l’atterrissage au purgatoire, dans le bouillonnement d’une mégapole surdimensionnée, chahutée ou inondée par les phénomènes climatiques. Manille dont les vieux quartiers qui témoignent d’un passé glorieux ont déjà rendu l’âme, Manille qui s’autodétruit et laisse perplexes les urbanistes du monde entier. Une incroyable fourmilière de plus de 17 millions d’habitants. Vous avez bien lu: plus de 17 millions! Il faut donc admettre que la fascination peut aussi surgir du monstrueux. On ne revient pas de la capitale des Philippines la mémoire chargée de belles images, comme on le ferait de Rome ou Rio. On n’en ramène pas non plus des clichés de monuments emblématiques. On y transite, surtout, avant de poursuivre l’exploration plus avant, là où la nature dans tous ses états orchestre le grand show des cocotiers découpés sur sable blanc et récifs turquoise.

Palawan, joyau encore miraculeusement préservé. © Bernard Pichon

Voici Makati, orgueilleux quartier d’affaires narguant d’interminables étendues de taudis. D’un côté, des gratte-ciel et des palaces climatisés. De l’autre, des usines et des cabanes que la tôle ondulée transforme en fournaise. De jour, la ville étouffe dans une circulation dantesque. De nuit, elle se contemple dans les néons de ses bars à cocktails. Au milieu de ce chaos coule parfois une rivière, charriant son lot de détritus.

«Wanted!»

A passé 50 ans, Theresa ne voit plus l’aspect inhumain de cette anarchie; cette femme d’affaires en perçoit davantage l’incroyable énergie induite par la nécessité de survie. Elle s’arrange pour traverser la ville comme elle traverse son existence : accrochée à ses privilèges. Elle dit que ses domestiques lui coûtent chacune l’équivalent de 140 francs suisses par mois, qu’on en trouve pour trois fois moins, mais que celles-là posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

Mais à quoi s’accrochent les plus démunis ? «A leurs croyances, répond Theresa, à leur jovialité à toute épreuve et à leur étonnant sens de la dérision. Je vous en donne un exemple. Alors que nous roulons d’un quartier à l’autre, je remarque un peu partout un avis de recherche placardé comme dans la pure tradition du Far West (wanted). L’affiche promet plusieurs millions de pesos à qui permettra d’arrêter le malfrat photographié de face et de profil. Au chauffeur de taxi, je demande qui est donc ce redoutable gangster. Il répond qu’il n’en sait rien, avant d’ajouter, pince-sans-rire, qu’il s’agit probablement d’un nouveau président ! C’est qu’ici, les scandales politiques s’enchaînent au tempo des dernières danses à la mode. Alors, les gens disent bahalà-na (c’est la vie) ! »

Préférerez-vous le train vintage (à Bacalod)…le jeepney de Palawan…ou la pirogue traditionnelle ? © Bernard Pichon

Oui, les Philippins sont résignés. Selon un écrivain local, ce fatalisme atavique aurait des racines historiques : « Nous avons eu la malchance d’avoir été libérés quatre fois. On a eu droit aux Espagnols, puis aux Américains, aux Japonais, et de nouveau aux Américains… Après chaque libération, nous avons retrouvé notre pays occupé par de nouveaux bienfaiteurs étrangers ! »

Une petite heure de route en direction du nord suffit pour gagner Obando. Arrivant au village, la voiture croise une procession dédiée au saint patron local: fanfares, majorettes, grillades, vendeurs de pacotilles et de bougies. Trois siècles de colonisation espagnole n’ont pas fait que greffer le catholicisme sur l’arbre des croyances ancestrales, par ailleurs toujours vivaces ici et là ; ils ont aussi légué aux autochtones un riche héritage d’églises baroques, centres de la vie collective. Cinq décennies de protection américaine ont aussi laissé des traces: «Nous autres Philippins avons tendance à dépenser l’argent du mois avant d’en connaître la couleur», déplore encore un autochtone dans la langue des USA, couramment pratiquée sous ces latitudes.

Un Yacht Club prisé

La touffeur ambiante fait rêver à une baignade, sur le chemin du retour. Mais c’est au Sud qu’on trouve les belles plages. On aperçoit néanmoins, par une trouée dans la verdure, la silhouette de bateaux de plaisance naviguant dans la baie. « Je parie qu’il y a des Anglais », lance un badaud apparemment familiarisé avec le milieu nautique. Sans doute ne court-il pas trop de risques, sachant que les Britanniques sont surreprésentés sur tous les océans. Le premier yacht club anglais – l’un des plus anciens du monde – n’est-il pas le Royal Thames Yacht Club, fondé en 1772 ? On estime aujourd’hui à 600’000 le nombre de loups de mer issus du Royaume-Uni, la voile constituant désormais l’un des sports préférés des sujets de Sa Gracieuse Majesté. Après tout, cela ne devrait guère surprendre, au regard du passé historique du royaume et de ses côtes bien adaptées à la discipline.

« A cela s’ajoute le succès du team de Grande-Bretagne remporté in extremis aux derniers JO de 2012 », relève Kenneth Archer, un skipper rencontré à Subic Bay, spot très prisé de l’île de Luzon (100 km de la capitale philippine). Et le marin de relever la renommée du Yacht Club de Manille, inauguré en 1927 par cinq amoureux de la voile. Ce cercle pour happy fews est aujourd’hui considéré comme la Mecque sociale et sportive de l’archipel. Ses membres forment un team exclusif, fiers de fréquenter un hub aussi célèbre dans tout le Sud-est asiatique. On y croise aussi bien de vieux briscards que de jeunes débutants impatients de progresser.

« La saison court de septembre à mai, avec un point culminant lors de la Coupe du Président, une régate organisée juste après Pâques. La compétition a fêté cette année son 20e anniversaire et, comme d’habitude, attiré une foule de passionnés du monde entier, notamment de Chine et de Thaïlande ».

Alphaland Marina Club s’annonce déjà comme l’un des musts de 2014. Encore en chantier à Paranaque (15 minutes de Makati, le centre business de Manille), ce club ne sera accessible qu’à des membres triés sur le volet. Le chantier laisse déjà poindre un club house bâti sur pilotis, plutôt bien intégré à son environnement aquatique. On y viendra pour manger et se divertir, discuter affaires loin des pollutions de la mégapole surpeuplée. La marina comprendra 300 points d’amarrage pour des embarcations de toutes dimensions. Aux non-propriétaires, elle louera des bateaux à un tarif abordable, histoire d’encourager l’engouement pour un nautisme en plein essor.