Ils étaient huit duos à s’élancer de Barcelone le 31 décembre dernier. Au menu 24 000 milles marins, soit plus de 44 000 kilomètres par les trois caps : Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn. Le duo Stamm/Le Cam a réalisé une course véritablement exceptionnelle. En tête depuis le 15 janvier, ils ont dû gérer une course difficile puisque sans repère véritable. Dès que la position de leader est établie, la question se pose de savoir si ce n’est pas un peu frustrant de n’avoir aucun contradicteur ? « Je pense que ça devait être plus frustrant pour les personnes qui suivaient la course. De notre côté, nous avons passé tout notre temps et notre énergie à essayer de creuser l’écart avec nos poursuivants. Nous avons régaté sur la moitié du tour du monde », explique Bernard au téléphone du bord.

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Jean Le Cam et Bernard Stamm au départ de la Barcelona World Race le 31 décembre dernier. © Jean-Guy Python

Mais revenons au 23 décembre 2013. Au large de la Bretagne, Bernard Stamm convoie son 60 pieds Cheminées Poujoulat, qui se casse en deux dans la tempête Dirk. Sauvé in extremis, le Vaudois met six mois pour retrouver sa forme physique. Sorti meurtri du naufrage, il explique ce qui s’est réellement passé lors de cette fortune de mer : « Une récupération au large, c’est toujours compliqué. Il y avait beaucoup de mer et quand j’ai voulu quitter le bateau, il a reculé avec une vague et je l’ai pris dans la cage thoracique. J’ai eu les côtes en allumettes et le sternum touché. »

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Après le retrait de la course d’Hugo Boss, Bernard Stamm et Jean Le Cam étaient en tête de la flotte depuis le 15 janvier. Le duo franco-suisse a régné en maître absolu sur la Barcelona World Race. © Gilles Martin-Raget

Vous dites souvent qu’avant d’aimer la course au large, vous aimez la mer. Après ce qui vous est arrivé, vous la portez encore dans votre cœur ?

Il n’y a pas de contre-indication malgré ce naufrage. J’ai toujours à l’esprit qu’en mer, on n’est pas dans notre environnement. Là où on va, on est toléré. Le grand large, c’est pour les baleines, pas pour les hommes. Rétrospectivement, il a fallu que je m’assure de ne pas avoir fait d’erreur de navigation ou de choix. Après réflexion, j’ai constaté que je n’avais rien fait faux et, du coup, il n’y avait aucune raison de ne pas y retourner.

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Faire marcher Cheminées Poujoulat au mieux et le placer au bon endroit, tel a été le souci de Bernard et Jean pendant trois mois. © Gilles Martin-Raget

Dans ce tour du monde, lorsqu’on régate en double, est-ce qu’on mène le bateau différemment ?

Qu’on soit seul ou à deux, on est à fond tout le temps. Les bateaux ont des vitesses cibles. Si on ne les atteint pas, on est derrière les autres. La course en double nous permet de faire les choses un peu différemment, notamment au niveau des manœuvres. A deux, elles se passent mieux. On agresse moins le bateau, parce qu’il y a quatre bras et surtout il y a deux têtes.

Au passage du cap Horn, Jean le Cam nous disait que ce qui l’avait surpris, c’était d’être à fond la caisse tout le temps. Apparemment, vous avez allumé tout le long. Etant donné l’avance que vous aviez, était-ce judicieux ?

Nous avons toujours été dans la prudence, en tous cas nous avons essayé. Ces bateaux sont très puissants et avec du vent, ils vont facilement très vite. Certaines fois, il est même nécessaire de freiner à cause de l’état de la mer, ce qui est arrivé quelques fois dans le sud, mais ce n’est pas un exercice facile. Nous avons aussi essayé d’exploiter au mieux le vent à disposition et comme nous avons eu un sud plus venté que les concurrents juste derrière nous, c’était parfois très tonique.

En termes de bateau, de partage avec Jean et de navigation, êtes-vous satisfait de ce tour du monde ?

Je m’attendais à rencontrer des soucis, vu le peu de temps que nous avons eu pour préparer le nouveau Cheminées Poujoulat (ex-Foncia de Desjoyeaux et ex-Mare de Riechers, NDLR) et ça n’a pas manqué. Nous avons rencontré pas mal de problèmes techniques. Nous avons pu les régler tous en mer. Des fois avec peine, mais nous y sommes arrivés, parce que Jean et moi sommes à l’aise avec toutes sortes de travaux liés au bateau. Ça aurait été, je pense, très différent avec quelqu’un de plus sportif et de moins technique. Autrement, nous y allions pour les mêmes raisons, à savoir régater et essayer de bien nous placer. Donc, depuis le début, nous voulions faire marcher le bateau au mieux et si possible au bon endroit. Nous avons bien réussi à nous relayer et chacun a trouvé sa place. L’ambiance a toujours été bonne.

Le grand large, c’est pour les baleines… nous disiez-vous, est-ce que vous en avez vues ?

Nous avons vu un souffle de baleine avant de sortir de Méditerranée, au début de la course. Ensuite, nous avons réveillé une famille de quatre cachalots lorsque nous sommes entrés dans les mers du sud. Ils nageaient tranquillement, côte à côte, quand ils nous ont entendu arriver, et ils ont plongé. Dans le sud, la houle est trop grosse et nous trop bas sur l’eau pour bien voir ce qui nous entoure. Les oiseaux, oui, ils nous ont suivis du début à la fin.