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« Tu sais, le portable ce n’est pas trop mon truc », répond laconiquement Alan Roura, lorsque nous lui rappelons avoir tenté de le joindre à maintes reprises. Sa désinvolture face à son manque de connectivité donne le ton. Cette belle gueule au sourire ravageur ne s’embarrasse pas du superflu. Il se concentre sur l’essentiel, son plaisir de naviguer et sa volonté d’aller au bout des choses.

Tombé dedans

Élevé sur un voilier, Alan, qui est né en 1993, n’a jamais connu l’école et s’en porte plutôt bien. « C’est ma mère qui s’est chargée de m’apprendre à lire, à compter et à écrire. Le reste, je l’ai appris sur le tas », raconte le skipper, formé à l’école de la vie. Le jeune mousse, qui a grandi à bord du Long Vent Ludmila du côté des Antilles et de l’Amérique Latine, relève sur son blog : « Ma chambre est une cabine, mes toilettes un seau ». Une enfance atypique et appréciée qui l’a conduit là où il est aujourd’hui.

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Comme à son habitude, Alan Roura s’est chargé seul de la préparation de son Class 40 mis à l’eau à La Rochelle fin mai 2014. © Aurélie Mouraud

A l’âge de quinze ans, alors qu’il est à Grenade, il acquiert le Mini 6,50 n°62 et fait ses armes en solitaire. « J’ai emprunté trois mille cinq cent francs à mon père pour acheter ce bateau qui ressemblait à une épave. Je l’ai complètement retapé, et ai mis sept mois à le rembourser. » Gift reprend rapidement du service, et parcourt les Antilles de long en large. Avec un seul compas à main, sans pilote ni GPS, Alan poursuit durant deux ans son apprentissage de marin au gré des régates de l’arc antillais.

Du Pacifique à la Mini

En 2010, Ludmila prend la route du Pacifique mené par Alan et son père. « Mes frères et sœurs, plus âgés, étaient partis vivre leur vie, et ma mère n’était pas fan des longues traversées. Elle nous a rejoint pour les escales. » Le duo navigue alors vers les Galápagos, les Marquises, la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie. « C’est à ce moment que j’ai décidé de me lancer dans la Mini Transat. J’y pensais depuis longtemps, j’avais vu passer la course aux Canaries quelques années plus tôt. C’était le moment d’y aller. » Alan rentre en Europe avec dix mille francs sur son compte et part à la recherche d’un bateau. Un petit coup de pouce familial lui permet d’acheter Navman, le seul Mini en bois de la flotte, le numéro 284.

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Alan Roura risque bien d’être le seul Suisse à s’aligner au départ de la Route du Rhum en novembre prochain. Il va participer à bord de l’Exocet, un plan Elie Canivenc construit en 2010. © DR

Engagé sur le circuit de la classe en Méditerranée, il reconnaît avoir traversé des périodes de doute. « Je n’avais pas un sou, rien à manger et des dettes. Je vivais à bord. J’étais à deux doigts de laisser tomber. » À la même période, le CCS, qui avait eu vent de ses projets, lui verse une petite somme qui lui permet de rebondir. « La vie est étonnante. Un jour, tu es prêt à tout arrêter et le lendemain tu repars à fond car tout est arrangé. » Le récit de ses courses laisse pantois. Souvent sans pilote, avec du matériel obsolète et des moyens plus que restreints, Alan se qualifie dans la douleur, mais sans jamais se plaindre. Son incroyable détermination est payante, et il réussit à se présenter au départ de la Mini Transat à Douarnenez en octobre 2013.

Jour de chance

Une rencontre improbable mais déterminante se déroule alors sur les pontons. Stéphane Bise, associé de Trianon, une société spécialisée dans les ressources humaines et les caisses de pension passe par là. « Je n’étais pas spécialement venu pour voir le départ, je ne connais rien à la voile », confie l’entrepreneur qui se souvient avec exactitude de cette journée. « Nous allions à la pointe du Raz avec des amis, et avons décidé de nous arrêter à Douarnenez, presque par hasard. » Stéphane Bise fait la connaissance d’Alan et est immédiatement séduit par son projet. « Sa personnalité nous a touché. Nous avons passé une heure à parler avec lui. Il ne nous a rien demandé, mais raconté les conditions dans lesquelles il partait. Ce garçon a les pieds sur terre, il va au bout des choses et nous avons décidé de l’aider. Nous avons toujours soutenu les jeunes, dans d’autres disciplines. Ce projet était parfaitement cohérent avec nos autres actions. »

Le jeune Suisse prend alors le départ de la transat, avec un souci financier de moins. Sa course est exemplaire. À son image, il poursuit dans des conditions où la majorité des marins aurait renoncé. « Je pensais faire escale aux Canaries pour réparer de la casse. Mais j’ai appris que j’étais huitième en passant devant Lanzarote, je me devais de continuer. » Alan Roura recoud ses voiles en mer, monte au mât, stratifie, et continue la course qu’il termine en onzième position. Un résultat remarquable compte tenu de l’âge de son bateau, de son budget et de sa préparation, loin de celle des pros.

Du rêve à la réalité

De retour en Europe fin 2013, les choses se déroulent très vite. Il vend son bateau, fait le tour d’Europe dans sa camionnette avec sa copine et repart tête baissée dans son projet; participer au Vendée Globe en 2016. L’opportunité de louer un Class 40 à bon compte pour la Route du Rhum se présente. Sans un sou, Alan contacte Stéphane Bise pour évoquer ce projet. En moins de deux jours, le chef d’entreprise adhère et le soutien. « Je lui ai garanti ce dont il avait besoin », détaille son nouveau sponsor. « J’ai fait jouer mon réseau de relations pour lui obtenir un peu plus. Un budget très modeste, mais suffisant pour participer. »

Alan Roura n’en revient toujours pas. « J’ai une p….. de bonne étoile. C’est vraiment génial », jubile-t-il avec l’enthousiasme qui le caractérise. Conscient du chemin qui lui reste à parcourir, il reste humble quant à ses objectifs sportifs. « Je ne suis pas un véritable régatier, mais un marin. Je veux aller au bout des choses, finir la course. » Il ne cache d’ailleurs pas une certaine réserve sur son projet de Vendée Globe en 2016. « Je ne vends pas un projet gagnant, mais une participation. Si je peux être dans l’aventure, ça sera déjà énorme. »

Si son rêve se concrétise, Alan Roura pourrait bien devenir le plus jeune skipper à s’engager dans le Vendée Globe. Son parcours remarquable laisse clairement penser qu’il est sur la bonne voie, car la chance ne sourit qu’aux audacieux.

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