Bertrand Cardis

Douze Décision 35 régatent maintenant sur le Léman, est-ce que vous imaginiez cela lors des premières mises à l’eau en 2004?
En 2004, il nous semblait déjà que c’était un cadeau de se voir confi er la construction de huit bateaux à la fois, il s’agissait d’une belle marque de confi ance. Deux ont suivi en 2007 puis deux autres cette année, c’est un succès énorme et nous en sommes vraiment très heureux. D’autant plus que la volonté de one-design, très stricte du départ, a perduré tout en prouvant son effi cacité : tous les bateaux naviguent et tous sont capables de gagner. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont déjà remporté le Bol d’Or. Le succès de la classe passe naturellement par une organisation hors paire du Challenge Julius Baer et l’engagement important des propriétaires.

Que faudrait-il pour avoir une fl otte de D35 en Suisse alémanique?
Cela suppose avant tout qu’un groupe de propriétaires se mettent d’accord pour ce type de bateaux, mais la culture du multicoque n’y est pas aussi répandue qu’en Suisse romande. Ensuite, il leur faut de la place, et notamment que les autorités soient d’accord pour poser des bouées et les mettre au mouillage – nous avons eu beaucoup de chance avec Versoix. Pour fi nir, ils auront besoin certainement aussi de sponsors, de partenaires média qui s’y intéressent, idéalement d’un série master et d’un organisateur d’événements. Aujourd’hui, les Décision 35 ne sont plus qu’un élément parmi d’autres dans tout ce qui a été mis en place à travers le Challenge Julius Baer.

Quel est l’avenir des D35?
Depuis leur lancement il y a cinq ans, nous avons apporté peu de modifi cations : le mât la première année pour plus de fi abilité, les échelles à l’arrière pour plus de sécurité et de vitesse. Je pense qu’il faut continuer à le faire évoluer par touches successives. Ce sont des bateaux solides, construits en Suisse et très bien entretenus, et malgré leur utilisation intense chaque saison, ils peuvent tenir au moins quinze ans. Même si elle pourrait devenir plus performante par vents forts, la plateforme s’avère très adaptée aux conditions lémaniques qui règnent dans 90% des cas. A nouveau il s’agit de garder une monotypie consensuelle, pas de battre des records. On pourrait en revanche imaginer mettre des dérives avec un effet foil pour soulager un peu le bateau ou mettre des grands-voiles un peu plus carrées en haut pour améliorer encore sa vitesse par petit temps.

Comment voyez-vous la « concurrence » souvent évoquée avec les M2?
C’est une très bonne chose de voir les M2 se développer également ! Le principal obstacle à l’extension de la fl otte des D35 réside dans le nombre de navigateurs suffi samment expérimentés pour s’y intéresser. Du coup, la moitié des équipages vient des côtes françaises. Le circuit des M2 permet d’augmenter le niveau sur nos lacs et de créer un réservoir de régatiers doués pour le multicoque, potentiellement candidats pour les D35 le jour où ils choisissent de franchir un cap.

Quel a été le rôle de Décision SA dans la construction du nouveau multi géant d’Alinghi*?

Notre savoir-faire et la technologie que nous maîtrisons ont été mis à contribution pour construire des coques en carbone nid-d’abeilles sous vide, avec des attentes similaires à celles qui prévalaient avec les Class America en termes de qualité.

En quoi cette construction était différente
des précédentes?

Le cahier des charges était très précis mais moins restrictif qu’avec les SUI64, 75 ou 100 car il n’y avait pas de jauge défi nissant les épaisseurs ou coins de bordée impliquant de devoir arriver au gramme près. D’autre part, les pièces étaient beaucoup plus grandes à fabriquer ; nous avons dû rallonger les fours car nous étions encore dans nos anciens ateliers. Mais la principale différence était que nous n’avons pas construit le bateau dans son intégralité. C’est le team Alinghi qui a construit le bateau et a fait appel à nous pour les coques et les cloisons, et ceci pour deux raisons. D’une part, ils avaient dans leur staff beaucoup de compétences en matière de construction, et qu’il fallait bien les occuper, d’autre part la décision de bâtir le multi est arrivée tardivement à cause des incertitudes juridiques de l’America’s Cup, à un moment où nous étions complètement accaparés par l’énorme projet Solar Impulse. Nous n’avions plus assez de disponibilités pour Alinghi.

Voyez-vous une reconversion possible pour ce multi géant* après le dog match?
Non, aucune, à part dans un musée. C’est une machine infernale à naviguer, qui demande des compétences extrêmes. Ce n’est pas un voilier confi guré pour la haute mer, il est très très long et il lui faut un équipage particulièrement affûté pour de courtes durées. Les gens vont être très surpris lorsqu’il sera dévoilé au public.

En quoi consiste votre engagement dans Solar Impulse?
Tout d’abord, nous avons participé dès le premier jour à la conception du projet – au départ le choix était encore ouvert entre un ballon et un avion. Après cette étude de faisabilité, nous avons proposé des solutions constructives avec des idées de structures, de sandwich, le tout en partant d’une feuille blanche car nous n’avions jamais réalisé d’avion. De fi l en aiguille, nous sommes devenus le constructeur principal de toute la structure de l’avion : une aile de 60 mètres de long et son habillage, la cabine du pilote, le fuselage, l’aileron arrière et l’aileron vertical. Après, tout cela reste des matériaux à assembler, du carbone et des nids-d’abeilles ; simplement ils sont confi gurés de manières différentes car ils sont beaucoup plus légers. Nous avons suivi l’assemblage à Zurich, et nous travaillons déjà sur les pièces de rechange car les manipulations au sol seront extrêmement délicates du fait de sa légèreté. Cet avion est destiné à voler 36 heures. Si tous les tests en l’air s’effectuent de manière satisfaisante nous construirons l’an prochain un avion de 80m d’envergure avec une cabine pressurisée pour le tour du monde.

Quelles sont les autres activités du chantier?

Sans parler d’un projet encore en discussion d’un 60 pieds pour le prochain Vendée Globe, nous travaillons sur un concept de véhicule électrique pour les transports en commun. Le premier devrait être mis en service de démonstration à l’EPFL, il s’agit dans le jargon d’Automatic People Mover (APM) : une capsule guidée automatiquement pour une dizaine de personnes, qui connaît une très forte demande: citées, park & ride, etc. Bien sûr, nous effectuons toujours des réparations sur des bateaux, et nous sommes particulièrement sollicités pour les bateaux d’aviron. Comme ils sont tous en carbone très léger, notre savoirfaire dans ce domaine nous vaut de nombreuses commandes : l’équipe suisse est venue avant les mondiaux, les clubs alémaniques nous apportent leurs avirons, etc.

Vous êtes président du Club Nautique de Pully, vous voyez-vous un jour à la Fédération?
J’ai déjà donné ! J’étais responsable de la compétition, l’équivalent de SST aujourd’hui, à l’époque des J.O. de Barcelone et d’Atlanta, en tant que bénévole bien sûr. Si je parviens maintenant à me dégager un peu de temps libre, ce sera pour naviguer.

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