La vitesse du bateau sera optimum si la puissance développée par les voiles n’est pas amortie par la gîte, pas freinée par la carène ni par les appendices et si elle peut se transmettre directement sur la longueur de flottaison dynamique et ceciI, à faible vitesse déjà.
Pourquoi ce projet et pourquoi un 5.5 IC ?

Dessiner un 5.5 est un défi intéressant, car la jauge est assez permissive, mais en même temps elle fixe un cadre et oblige à faire des choix entre des éléments interdépendants. Les combinaisons sont infinies et je suis persuadé que toutes les solutions n’ont pas encore été explorées. C’est vrai, j’aurais pu choisir de concevoir un voilier libre de contraintes, mais je n’aurais jamais atteint ce niveau de réflexion.

On te connait plus en tant que maître-voilier que comme architecte, on ne s’improvise pas concepteur de bateau du jour au lendemain ?

A la base, je voulais être architecte naval, mais le hasard a voulu que je devienne maître-voilier ; j’ai donc appris le métier traditionnel puis la maîtrise des logiciels de dessin de voile. J’ai toujours gardé en tête l’envie de départ ; dès que j’en ai eu l’occasion, j’ai étudié l’architecture navale en autodidacte et une fois les logiciels de dessin de carène et d’hydrodynamique maîtrisés, j’ai démarré le projet, ce fut un énorme investissement en temps.

Tu n’avais jamais dessiné de bateau auparavant ?

En fait, j’ai participé à la conception de voiliers, notamment le Luthi 870. Mon métier de voilier et mes compétences de régatier au niveau international m’ont aussi permis de rencontrer des gens à la pointe dans le domaine de l’architecture grâce auxquels j’ai beaucoup appris.

Revenons sur ton projet, en quoi se distingue-t-il des 5.5 actuels ?

Je suis parti d’une idée que je voulais valider, j’ai commencé par disséquer la jauge puis j’ai choisi et comparé un peu plus de 25 bateaux et redessiné plusieurs d’entre eux sur CAO pour les analyser avec les outils actuels. J’ai axé mon travail sur 4 facteurs fondamentaux en termes de performance: le plan de voilure, la résistance à l’avancement, la longueur de flottaison en navigation, gîté et non gîté, puis le couple de redressement. J’ai opté pour la surface de voilure maximum autorisée par la jauge, soit 29m2. Deuxièmement, j’ai recherché le meilleur compromis entre le déplacement, les mesures de chaînes (contraintes avant et arrière), puis les élancements dans le but de tendre les lignes de la coque à tous les angles de gîte et d’obtenir une longue flottaison en marche même si celle-ci est courte à l’arrêt. Et dernier point, le rapport de lest sera au maximum de la jauge, soit 70 %.

Dessin CAO de comparaison entre le projet et un 5.5 existant : Le ratio d’allongement du statique en dynamique s’en est retrouvé amélioré. Le Block coefficient et la trainée due aux vagues ont du coup été réduits. Le rapport déplacement/surface de voile a lui aussi subi un gain d’environ 15 %.
Ce n’est pas déjà le cas sur les bateaux actuels ?

Non, les 5.5 Wilke/Schmidt ‘traînent’ près de 400 kilos de plomb dans le fond de la coque (soit environ 30 % du lest total) pour un effet de couple de seulement 15 %. Moi je pars sur un bulbe, pour augmenter le moment de redressement (puissance) par rapport aux bateaux actuels à équipage égal. D’après moi, le gain du bulbe primera sur la traînée et la surface mouillée.

Ça a déjà été essayé, c’est un retour en arrière, je pense en particulier au bulbe ?

Le bulbe a été essayé notamment par Howlett et Murray et cela n’a pas donné les résultats escomptés car ils ne sont pas allés au bout du raisonnement. A l’époque, il y a près de 20 ans, ils n’avaient pas les outils d’analyse d’aujourd’hui et l’ensemble n’était pas toujours cohérent pour exploiter pleinement ce choix d’où l’échec partiel. Aujourd’hui tous les voiliers de course modernes ont un bulbe.

On voit aussi que ton bateau a plus de franc-bord, alors que la tendance est à la limitation du fardage ?

J’ai voulu exploiter un aspect de la jauge en mettant plus de franc-bord pour avoir un tirant d’air plus haut et utiliser le gradient d’air croissant avec l’altitude. Je pense que l’augmentation minime du fardage sera amplement compensée par l’efficacité du gréement. D’autre part, l’étude de la position et des centres de gravité de l’équipage au rappel sur la coque montre que le couple de redressement sera légèrement meilleur avec un franc-bord plus élevé.

Parlons du mât, ça sera un Wilke ? (seul fournisseur de mât carbone pour le 5.5)

« Hésitations…, » Non pas tel qu’il est réalisé à ce jour, il sera ‘custom’. Tout ce que je dirais, c’est qu’un soin tout particulier a été apporté sur la traînée du gréement et qu’il possèdera des innovations pour son réglage…, il pourra bien sûr être basculé au portant! C’est un détail que je n’aimerais pas dévoiler pour l’instant.

Où en es-tu du projet ?

Le dessin de la coque est terminé, il se peut que j’allonge un peu la voûte arrière. Les devis de poids sont prêts, le gréement est déterminé, je dois encore finir les tests de traînée et de portance des appendices à l’aide de mes logiciels de CFD pour choisir les profils.

Oui, mais tu as un acheteur ?

Il est encore trop tôt pour le dire, le projet vient d’être dévoilé! J’en ai déjà parlé avec des propriétaires dans la série et j’ai eu beaucoup d’échos positifs, l’approche est nouvelle et a su capter leur attention, c’est encourageant! En cas de commande, je proposerai de suivre la construction et d’aider l’équipage à le prendre en main pour arriver rapidement au top.

Quoiqu’il advienne, mon objectif est de commencer la construction début 2012 ; plusieurs solutions existent, l’une d’elles pourrait être un consortium de propriétaires.

Toute ressemblance avec un architecte genevois reconnu n’est pas fortuite ?

En fait, c’est vrai, je me retrouve aujourd’hui exactement dans la même situation que Sébastien Schmidt et Philippe Meier quand ils ont conçu «Chlika-Chlika» en 1989. Les autres architectes de l’époque étaient conservateurs ou manquaient d’inspiration et chaque nouveau plan n’était souvent qu’une petite évolution du précédent. Seb et Philippe, très avant-gardistes, avaient apporté ce renouveau que j’espère aussi offrir aujourd’hui par ce projet, étayé par mon métier de régatier et de maître voilier.

Merci Alain pour tes explications et bonne chance !