Quel bilan tirer de cette 7e saison du Challenge Julius Baer ?
Le D35 Okalys-Corum m’accueille effectivement à bord depuis la toute première saison en 2004, nous l’avons remporté en 2005 et 2006 et étions jusqu’en 2009 toujours sur le podium, mais 2010 nous a moins souri. Les explications sont d’ailleurs très logiques: le niveau s’est élevé toutes ces années, les équipages pros se sont renforcés et se sont beaucoup entraînés, alors notre équipage est resté 100% amateur et n’a pas intensifié le rythme de ses entraînements; d’ailleurs je n’ai pas pu participer à toutes les étapes, sans parler de nos voiles qui ont déjà deux ans, etc…

D’après moi, nous étions un peu en-dessous de nos capacités, mais les meilleurs ont fini devant, et cette année ce n’était pas nous. Nous avons un peu évoqué 2011 et Nico souhaite garder son équipage et l’ambiance sympa à bord qui l’accompagne, jecomprends très bien qu’il n’ait pas envie de franchir le pas du professionnalisme et qu’il privilégie le plaisir de naviguer et celui de reprendre la barre. Peut-être ^reverrons-nous nos objectifs, par exemple rester le meilleur équipage amateur, mais mon engagement va surtout dépendre de ma disponibilité et de mes autres projets.

Comment voyez-vous l’évolution du Challenge ?
Je pense que le niveau va rester intéressant, et la volonté des propriétaires et organisateurs d’internationaliser le circuit en fin de saison ouvre des perspectives séduisantes. Le fait que la Coupe se coure en multi va peut-être attirer des nouveaux équipiers ou équipages, mais il n’est pas exclu d’un autre côté que la série s’essouffle un peu, ce qui arrive dans chaque série. D’après moi, il conviendrait de rapprocher le spectacle sur l’eau du public, qui ne voit pas grand-chose et a tendance à s’éclaircir ces derniers temps. Il y a sans doute un compromis à trouver entre le format du Trophée Clairefontaine ou des Extreme 40 et celui des D35.

Vous verra-t-on régater en alternance sur l’Extreme 40 d’Oman et le D35 Okalys
Corum la prochaine saison ?

Je ne sais pas encore, je n’exclue rien. En tous cas je ne pourrai pas régater sur la première étape des Extreme 40, car je ne serai pas encore revenu de mon tour du monde avec Jean-Pierre Dick dans le cadre de la Barcelona World Race. Avec mon projet d’America’s Cup, je n’aurai sans doute pas beaucoup de disponibilité.

En quoi consiste votre projet d’America’s Cup ?
J’ai la chance de tout faire depuis toujours, donc je me vois aussi bien dans un design team que skipper; tout m’intéresse. Cela fait trente ans que je pratique le multi sous toutes ses formes, nous sommes quelques-uns sur le marché à avoir ces valeurs, et beaucoup de portes sont ouvertes. On entend depuis toujours et à juste titre que la Coupe de l’America est une affaire de spécialistes… cela tombe bien! Du Formule 18 à la Route du Rhum en passant par le Trophée Jules Verne, les Français sont les spécialistes du multicoque, alors allons-y… ensemble. Je me suis rapproché de mon frère Bruno Peyron et nous nous donnons trois mois pour tenter de réunir l’ensemble des équipes et ressources, sportives, technologiques et économiques nécessaires à cette ambition. Nous discutons également avec Jochen Schümann et Stéphane Kandler d’All4One dans la perspective d’unir nos efforts. Pendant la Barcelona, avec Jean-Pierre, j’utiliserai sans doute une partie de mon temps libre pour travailler sur les parties design et conception des futurs engins de la Coupe, c’est l’avantage de la course en double !

Quels sont d’après vous les avantages et les inconvénients que présente cette 34e America’s Cup ?
Je trouve évidemment très positif que le multi se soit imposé. La Coupe va y perdre un peu d’un côté mais va gagner beaucoup par ailleurs, cela va non seulement rajeunir cette vielle dame qui en avait besoin, mais également le creuset de partenaires commerciaux, et les marins aussi! Aujourd’hui, on observe un conservatisme incroyable, la plu-part des personnes et écuries engagées depuis 15 ans veulent rester en place même s’ils ont conscience de leurs lacunes dans le multicoque. Les Kiwis qui sont venus à Almeria découvrir les Extreme 40 ont pu constater que ce n’était pas si simple, c’est une spécifi cité et c’est donc une bonne nouvelle pour ceux qui la maîtrisent. Parallèlement, il y a une page blanche assez fabuleuse à remplir et y contribuer s’avèrerait excitant. Je ne suis pas du tout convaincu que les ailes soient une bonne solution par contre. J’ai déjà dit à Russell Coutts que le spectacle en pâtirait et que les problèmes de logistique seraient importants. Selon les challengers en place, tout ceci peut évoluer.

En quoi a consisté votre préparation à la Barcelona World Race avec Jean-Pierre Dick ?
Jean-Pierre et moi nous connaissons très bien, nous avons déjà gagné la Transat Jacques Vabre en double et savons l’un et l’autre naviguer en solitaire sur ce type de bateau. L’essentiel de notre préparation consistait à fiabiliser le bateau, même s’il avait déjà effectué un demi tour du monde en venant de Nouvelle Zélande l’été passé. Je l’ai rejoint à Panama et nous avons effectué 2500 milles jusqu’à Newport, puis quelques sorties en Bretagne jusqu’à mi-octobre. Ensuite le bateau est parti à Saint-Malo car Jean-Pierre participait aussi à la route du Rhum. On se retrouvera mi-décembre à Barcelone pour tester nos voiles et prendre le départ.

Qui sont les candidats les plus sérieux au podium d’après vous ?
Il y a un très beau casting ! On connaît des binômes efficaces, ensuite il y a des combinaisons intéressantes entre les binômes et leur bateau. Par ailleurs, les anciennes générations de bateau vont toujours aussi bien je trouve, et même si les plus récentes sont plus performantes, certains voiliers viennent tout juste d’être mis à l’eau et n’auront pas encore fait leurs preuves. Sincèrement je ne parviens pas du tout à extraire qui que ce soit pour un podium aujourd’hui, ce sera une bagarre assez impressionnante.

Entre-temps, vous interviendrez au World Yacht Racing Forum. Dans quel but ?
J’avais loupé la dernière édition car j’étais en entraînement à Ras-al-Kaimah avec Alinghi, et je trouve à la fois sympa et intéressant de partager nos expériences en-dehors de notre univers francophone. En général, ces forums sont toujours très anglophones et moi je représente une école assez frenchy, ce sont des valeurs très différentes. Nous sommes quelques-uns à sauter d’un support à l’autre, comme par exemple débarquer d’un Vendée Globe pour prendre la barre d’un voilier de l’America’s Cup, cela interpelle beaucoup de monde et il se trouve que je prends énormément de plaisir à en parler. Comme je dis souvent, ma grande spécialité c’est d’être généraliste. En plus, les rencontres effectuées sur ce forum devraient s’avérer captivantes et enrichissantes. La voile est un milieu incroyablement diversifi é, beaucoup de marins se cantonnent dans une spécialité, d’autres comme moi alternent les supports et cela nous oblige à nous pencher sur toutes ses facettes.

Vous êtes actionnaire du chantier qui construit les Alphena Yachts et en avez déjà vendu à des Suisses. En quoi ce monocoque se prête-t-il aux lacs suisses ? Tout d’abord il est élégant, et l’élégance est souvent efficace. Surtout, ce bateau est un rêve quand on habite au bord de l’eau. J’habite en Bretagne et la mer est un peu trop formée ici pour qu’il reste au mouillage devant la maison, mais sur le lac c’est parfait. Imaginez pouvoir rentrer du travail, prendre les enfants ou madame sur ce joli petit voilier, tourner la clé du moteur électrique pour les emmener sans un bruit en dehors du port, hisser les voiles et se faire plaisir. Les Alphena se prêtent à merveille aux lacs, et d’ailleurs nous en livrons deux en Suisse au printemps, mais le tout prochain part aux Antilles et certains sont basés en Méditerranée.