Photos : Quentin Mayerat

Les Glénans, cette célèbre école de voile française, fête en 2017 ses 70 ans. Depuis sa création, elle a accueilli près d’un demi-million de stagiaires et compte aujourd’hui plus de mille moniteurs dont 80 % sont des bénévoles.

Fidèle à l’esprit de la « voile pour tous », l’association Les Glénans est une plate-forme très prisée des Suisses qui souhaitent passer des lacs au grand bain. Elle propose un plan de formation complet qui permet une progression continue, de l’état de novice jusqu’aux diplômes professionnels. Cela méritait bien une immersion avec mention « dur au mal », lors d’un stage d’hiver, à partir de leur base de Paimpol.

Formation accélérée

Skippers62_FR_web-1240« La barre c’est pas ta soeur, vas-y franchement ! », lance Moritz, le moniteur des Glénans, à un stagiaire un tantinet timide dans ses virements de bord. Voilà qui annonce la couleur. Premier jour de mer. Nous quittons l’anse de Paimpol et faisons route en direction de Saint-Quay-Portrieux. Nous sommes six à bord d’un Salona 34. Nous avons fait connaissance la veille et nous apprêtons à vivre une semaine d’intense navigation. Il ne faut pas longtemps au froid pour traverser nos cirés. Il ne s’agit pas d’une croisière farniente, ni d’une navigation pépère. Il faut que tout l’équipage s’amarine vite. La zone de navigation est exigeante, surtout en cette période de l’année : dédales d’îles, de rochers, de hauts-fonds, marnages pouvant atteindre douze mètres par gros coefficients. Ce n’est plus la Méditerranée, encore moins le Léman. Moritz le sait… Vaudois d’origine mais quasiment Breton d’adoption, il connaît bien l’océan et s’efforce de préparer l’équipage – avec son style bien à lui, rugueux mais efficace. Le deuxième jour lui a donné raison. Dès la sortie du port, un force 7 bien établi – vent contre courant – entre la pointe et les roches de Saint-Quay met hors service une (bonne) partie des apprentis marins, dont le coeur n’est pas encore rompu à ce genre d’exercice. Qu’importe ! La solidarité fait aussi partie du voyage, c’est l’esprit Glénans : on souffre ensemble, on se relaie, on s’encourage, on s’entraide.

Sécurité… sécurité…

Et si parfois les conditions peuvent sembler difficiles, une consigne prévaut sur toutes les autres : « la sécurité, la sécurité, la sécurité », répétée inlassablement lors de chaque briefing. Thibault Lecomte, chef de la base de Paimpol, explique : « Aux Glénans l’aspect sécurité est enseigné de manière transversale. Dans la gestion de la vie à bord, l’utilisation du matériel, l’environnement, l’anticipation des phénomènes météo, et la réalisation des manoeuvres ». Un postulat respecté scrupuleusement car un bon marin sera toujours un marin vivant ! Chaque minute du stage est d’ailleurs mise au profit de l’apprentissage, qu’il s’agisse de la préparation du bateau, de la navigation, ou encore du b.a.-ba de l’avitaillement.

Aux pays des ouvreurs de coques

Skippers62_FR_web-1242 Les prévisions nous permettent de délimiter un périmètre de navigation compris entre Tréguier, dans l’embouchure du Jaudy, Paimpol et Saint- Quay-Portrieux. Moritz nous apprend que dans la région sévit l’Association des Plaisanciers Ouvreurs de Coques. Elle décerne chaque année le célébrissime trophée du Talon d’or à l’auteur du plus bel échouage. Pourquoi pas nous ? De quoi pimenter la navigation à la carte, sur laquelle insiste l’école de voile. Un relèvement erroné, une inattention, une mauvaise lecture de la signalisation – omniprésente ici – nous enverrait embrasser les rochers. La complexité des lieux est remarquable et l’optimisation du parcours doit s’effectuer minutieusement : marée, estime, amers indiquant l’entrée de chenaux… il est préférable de bien anticiper plutôt que d’improviser dans l’urgence.

Skippers62_FR_web-1241A priori hostile, la nature de ce coin là n’en est pas moins émouvante. Posés sur des centaines d’îlots, des phares centenaires érigés au gré des marées. Difficile pour la jeune génération de navigateurs de réaliser, qu’il y a encore une poignée d’années, seuls ces puissants phares indiquaient aux marins le chemin du port. Et puis, il y a le temps breton, dont certains disent à tort (et à raison) qu’il serait gris et pluvieux. La météo est en fait très changeante et dévoile avec elle une palette de couleurs et de lumières qui vous font presque oublier les bassins turquoise des mers tropicales. Ajoutez à cela la surprise d’un ballet de dauphins farceurs comme ceux que nous avons rencontrés et vous serez définitivement séduit par la Bretagne, été comme hiver. Et de retour au port, rendez-vous pour trinquer au bistrot bien-sûr : Yec’hed mat ! Autrement dit « santé ! » en bon françois.


« L’esprit Glénans »

Peut-on invoquer l’esprit Glénans ? Entre l’ambiance à la base, la camaraderie, les stagiaires qui reviennent chaque année, difficile de circonscrire cette expérience à la simple pratique de la voile. Les Glénans ont été fondés en 1947, à l’issue de la Seconde guerre mondiale. L’objectif initial était d’accompagner le retour à la vie civile d’anciens résistants et déportés. La voile qui n’était au départ qu’une activité parmi d’autres est très vite devenue le coeur de l’association. 70 ans plus tard, Les Glénans sont devenus la première école de voile d’Europe, ont formé plusieurs centaines de milliers de stagiaires et brassent pas moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. Malgré sa croissance effrénée, la structure reste fidèle à son esprit d’origine : une école de voile et de la mer à gestion associative et à vocation sociale, où, au-delà de la navigation, on apprend à partager et à vivre au sein d’un collectif. « 80 % de nos moniteurs sont des bénévoles, précise Thibault Lecomte chef de base à Paimpol, on rentre en général aux Glénans en tant que stagiaire, on devient ensuite bénévole, on vient donner un peu de son temps sur les bases, on continue à passer des niveaux. Enfin, certains vont jusqu’au monitorat ou audelà ». Lui-même est bien placé pour en parler, puisqu’il a, à l’époque, abandonné son cursus en biologie pour se consacrer aux Glénans. Il y a trouvé une formation, un diplôme, aujourd’hui un métier en lien avec la mer et qui le comble.