© Philippe Schiller / Myimage

L’eau a coulé sous les ponts depuis la construction d’Armor-Lux à Lesconil. Quel regard portez-vous sur votre parcours, au moment du lancement de votre nouveau coursier ?

Ce que je vis actuellement est très similaire à ce que j’ai fait en 1998, avec bien sûr la différence de budget. Je n’avais pas de moyens et j’étais à la bourre par manque d’argent, mais ça ne m’a pas empêché de mener mon projet sans concessions. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait dans un objectif de performance. J’ai été contraint parfois de composer avec ce que je trouvais, à cause des finances, mais la philosophie globale était identique à celle d’aujourd’hui. C’est avec mon second bateau, le plan Farr racheté à Jean-Pierre Dick, que je me suis retrouvé éloigné de ma ligne de conduite. Courir avec un voilier, qui était le premier IMOCA optimisé en tant que tel, et qui avait déjà une campagne derrière lui n’a pas été une sinécure. Il y a eu beaucoup de travail à faire pour obtenir quelque chose qui se rapproche de mes attentes. Avec du recul, si mon dernier Vendée s’est terminé sur les rochers des Kerguelen, ce n’est pas vraiment un hasard.

Vous avez un peu plus d’un an et demi pour optimiser et fiabiliser votre bateau avant le départ du prochain Vendée Globe. Ce calendrier est-il confortable ? N’êtes-vous pas prêt trop tôt ?

Je pense que mon timing est idéal, d’autant plus que les délais semblent être tenus du côté du chantier. Il y aura bien sûr des unités qui vont sortir après mon voilier et qui profiteront de développements plus récents, mais leur temps de mise au point sera réduit d’autant. Ce qui est arrivé à Michel Desjoyeaux lors de la Barcelona World Race n’est pas vraiment étonnant quand on sait que le bateau a été construit en six mois. Ce n’est pas suffisant, en tout cas de mon point de vue. Pour cette campagne, j’ai des moyens, du temps et beaucoup d’expérience à exploiter, c’est une réelle opportunité. Cela dit, je ne serais pas reparti dans une autre situation, il n’était pas question pour moi de préparer un nouveau Vendée Globe sans vrais moyens. Une entreprise comme celle-ci engage trop de choses et de personnes pour être bâclée. Mon 60 pieds a été mis à l’eau au printemps, nous procéderons à des essais en Méditerranée, puis participerons au tour de l’Europe qui part d’Istanbul en juillet. Après ça, il y a encore le Fastnet, la Transat Jacques Vabre et le retour du Brésil. L’année 2012 va être consacrée à la préparation finale. Je ne compte pas venir sur la Transat anglaise (dont personne n’est sûr qu’elle aura lieu), car j’ai déjà raté un tour du monde à cause d’elle, je suis vacciné.

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On entend ça et là des gens qui relèvent votre choix d’architecte comme erroné, au vu du peu d’expérience que possède
Kouyoumdjian dans l’IMOCA. Que répondez-vous à ces critiques ?

Il y a toujours des gens qui tirent des conclusions sans réellement connaître le sujet. Il faut savoir que le premier 60 pieds dessiné par Juan Yacht Design, qui n’a jamais marché, n’a pas été conçu pour le solitaire, il ne représente donc pas un exemple du potentiel du bureau. En second lieu, un des critères de choix pour un architecte est sa disponibilité. Juan Kouyoumdjian s’est trouvé disponible pour s’occuper de mon projet, ce qui n’a pas été le cas d’autres bureaux. Finalement, je considère que partir avec un designer qui détient beaucoup d’expérience et de réussite dans cette jauge particulière n’est pas forcément un avantage. J’avais besoin de quelqu’un qui n’ait pas une vision polluée par d’autres réalisations. Si on évoque Verdier-VPLP, qui sont en tête dans les récentes réalisations IMOCA, je n’étais pas intéressé à ce qu’ils signent un énième plan pour moi. Ça n’a pas de sens. Je voulais reprendre la problématique depuis le début. Juan Yacht Design était en phase avec mes besoins et mes attentes, et nous avons lancé cette excellente collaboration, c’est aussi simple.

À ce propos, quelles sont les innovations les plus intéressantes de votre monture ?

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Le public et la presse verront ce qu’ils peuvent voir de mon voilier quand il sortira, je ne tiens pas à trop dévoiler nos idées à ce stade. Dans les grandes lignes, il est épuré et très ergonomique pour que je puisse en tirer le maximum, c’est un point fondamental quand on conçoit une machine de solitaire. Au-delà de ces aspects, nous avons apporté des petites améliorations à peu près partout où c’était possible. Le point le plus innovant que je peux évoquer est le système de veille des structures que nous avons développé. Le bateau est truffé de capteurs, mais est surtout équipé d’un logiciel capable d’analyser les données qu’ils vont fournir. Il s’agit là d’un outil particulièrement optimisé qui représente un véritable progrès pour la mise au point et la course. J’aurai la possibilité de connaître précisément les limites de ce que je peux faire à tout moment.

Que pensez-vous, finalement, de l’évolution incroyable du monde suisse de la voile de compétition ces 25 dernières années ?

Les Suisses ont cette particularité qu’ils s’appliquent à faire les choses bien, et ça se ressent clairement sur les projets véliques. Il y a en plus un paramètre qui motive probablement les gens à devenir de bons régatiers, plus qu’ailleurs, c’est l’exiguïté des plans d’eau. La croisière sur nos lacs peut rapidement être ennuyante, et presque tous les navigateurs participent à des compétitions, même occasionnellement. En Bretagne, il y a plein de gens qui ont des voiliers et à qui il ne viendrait pas l’idée de tourner entre des bouées. Ces aspects ont probablement favorisé la situation que nous observons actuellement, où des Suisses sont présents au meilleur niveau sur tous les supports et circuits.