Le vent qui souffle à 20 nœuds blanchit tout juste les crêtes des vaguelettes qui peinent à se former, faute de fetch. Le ciel est bas et les rayons du soleil font quelques rares apparitions entre les nuages. Le temps froid et gris correspond à celui qu’on peut attendre en baie de Quiberon début octobre, la situation est assez normale. Race For Water file à 20 nœuds en direction de la ligne de départ. François Morvan égrène en hurlant les secondes restantes jusqu’au top pendant que les wincheurs Bernard Labro, Jacques Guichard, Yvan Ravussin et Pascal Bidégorry moulinent à perdre haleine sur les deux colonnes situées au centre du cockpit. La vitesse monte en même temps que la coque au vent. Grand voile et Solent sont bordés à plat. Les trois invités du bord sont agrippés au trampoline, tels des chats sur des rideaux, réalisant combien leur position est inconfortable.

© Yvan Zedda

Stève Ravussin, bien calé dans son siège baquet s’époumone sur l’équipage : « Bordez !!! » Les yeux injectés, son regard d’une rare agressivité dénote avec l’habituelle désinvolture du personnage. Veolia déboule au vent et aligne le bateau comité sur la même trajectoire, ce qui ne semble pas perturber le skipper vaudois. Les étraves de Gitana XI, le maxi-trimaran de Sébastien Josse, pointent à moins d’une longueur derrière les bras de liaisons du MOD70 numéro 1. Le Foncia de Michel
Desjoyeaux, légèrement en retrait, est sous le vent en milieu de ligne. Cinq, quatre, trois, deux, un ! C’est parti ! Veolia est passé trop tôt et se décale au vent pour laisser la place aux autres concurrents. La tension est à son comble, d’autant qu’un hélicoptère survole la scène à quinze mètres au-dessus de l’eau, à peine plus éloigné des bateaux qui évoluent à plus de 50 k/h. Le bruit des écoutes grinçant sur les winches et des vociférations du bord combiné avec celui de la turbine est assourdissant et contribue à faire monter le stress.

Au contact à 32 nœuds
© Yvan Zedda

La bouée du Dog-Leg est rejointe en quelques secondes et nous réalisons en la contournant que le plat de résistance est encore à venir. L’abatée est époustouflante, on se demande si tout va simplement exploser, ou si le bateau va se retourner. L’étrave sous le vent porte toute la tension de l’immense gréement, le gennaker vient d’être déroulé. L’accélération se poursuit pour se stabiliser vers 32 nœuds. Stève pilote son engin à la manière d’un avion de chasse, regardant à peine le flotteur de Gitana XI au-dessus de sa tête. À l’approche de la layline, le skipper somme les invités de rejoindre la casquette pour l’empannage imminent. Nous courrons nous mettre à l’abri pendant la manœuvre. Les moulineurs donnent tout ce qu’ils ont et on comprend pourquoi l’équipage s’adonnait à quelques mouvements d’échauffement avant la procédure de départ.

Michel desjoyeaux - Foncia © Yvan Zedda
Roland Jourdain - Veolia © Yvan Zedda
Sébastien Josse - Gitana XI © Yvan Zedda
Stève Ravussin - Race for Water © Yvan Zedda
Sidney Gavigney - Oman Sail © Mark Lloyd
Yann Guichard - Sprindrift Racing © Pierre Khim-Tit

L’expérience dure une trentaine de minutes. Race for Water qui a fait les deux tours du parcours en tête se fait dépasser par Gitana XI sur le dernier bord de travers. « Il est plus long et plus puissant. Je ne prends pas ça pour une défaite, c’est une régate spectacle, et Josse n’est pas encore à bord de son monotype », stipule Stève Ravussin, juste après le passage de la ligne d’arrivée.

 

 

Ce qu’aucun autre sport ne permet

Un rib dépose trois nouveaux invités, et récupère le groupe précédent pour le ramener à bord d’un bateau-mère d’une cinquantaine de places, posté dans la zone de départ. La banane accrochée au visage, nous regagnons le yacht comme des adolescents au retour du train de la mort dans une fête foraine, presque fiers d’avoir survécu à l’expérience. Toute la force du concept des MOD70 vient d’être exprimée. Journalistes, VIP et collaborateurs de Krys, le sponsor des transats prévues en 2012 et 2013, ont tous vécu des moments qu’aucun autre sport n’est à même de proposer. Le pari audacieux lancé par Marco Simeoni, Franck David et Stève Ravussin, il y a trois ans, est un succès, et cette rencontre marque un moment clé dans l’histoire du multicoque de course au large.

 

Un monde à parfaire

Tout n’est cependant pas complètement rose au pays des MOD, et les skippers discutent et négocient vivement lors du briefing matinal. Le format des courses qui est en phase de tests ne fait pas l’unanimité et doit être affiné. Il semble par ailleurs que les questions de jauges fassent débats, mais nous n’en apprendrons pas plus. Chaque participant cherche à trouver les limites de ce qui peut ou ne peut pas être fait, et les zones grises sont forcément encore nombreuses.

Parallèlement au projet sportif, Anne-Cécile Turner, responsable de la fondation Multi One Attitude, en a profité pour annoncer un nouveau partenariat avec l’UNESCO. Marco Simeoni a également informé les personnes présentes que le 7e bateau avait trouvé acquéreur. On apprendra quelques semaines plus tard que c’est le skipper français Jean-Pierre Dick qui se lance dans l’aventure MOD70 avec son fidèle sponsor Virbac-Paprec. Les Anglo-saxons restent donc toujours les grands absents de cette série, qui peine à sortir de l’univers franco-français du multicoque de compétition. Quoi qu’il en soit, il reste encore du temps pour trouver de nouveaux preneurs, la livraison du numéro 7 étant prévue en juin 2012.

Le Krys Match a bien comblé toutes les attentes, tant pour les concurrents que pour le partenaire. Tout le monde attend maintenant le programme du tour européen.

Skippers.tv propose des vidéos impressionnantes de ces pointes de vitesse. © Thierry Martinez