Le TeamWork Evolution de David Raison est un des bateaux les plus extrêmes de la flotte des Mini 6.50, notamment en raison de choix radicaux, comme son étrave très volumineuse. © Loris von Siebenthal

Lors de sa création en 1977, la Mini-Transat avait surtout été imaginée pour répondre à l’accroissement constant des tailles des bateaux engagés dans les courses transatlantiques traditionnelles. Un retour, en quelque sorte, à une époque où franchir l’Atlantique était une aventure de tous les instants, brute et sauvage. Tel était en tout cas l’intention de son initiateur, le Britannique Bob Salmon. Mais avait-il déjà perçu que la classe Mini allait être le creuset de la plupart des révolutions technologiques qui irrigueraient, année après année et jusqu’à nos jours, toute la voile de compétition hauturière ? Sans doute, même si la première édition a eu lieu sur un bateau on ne peut plus familial, le Muscadet !

Le navigateur suisse Etienne David choisit la polyvalence et la fiabilité à bord d’un Mini 6.50 de 2007 qui a déjà fait ses preuves. © Bruno Bouvry

Très vite, pourtant, le démon de la bidouille a saisi marins et architectes navals. « On a d’abord imaginé couper un Surprise pour lui donner la bonne taille, commente Sam Manuard, un des architectes navals français les plus impliqués dans les minis. Puis les choses ont brusquement évolué avec l’apparition, dès l’édition de 1979, d’un ofni : l’American Express, un proto dessiné par l’Américain Tom Wylie. Pour la première fois, un bateau aussi petit était équipé de ballasts latéraux et d’une quille à bulbe. Très allégé et large, il préfigurait l’émergence des coques planantes ». L’expérience fut d’autant plus convaincante que le skipper d’American Express, Norton Smith, gagna la course et qu’il est toujours le seul Américain à figurer dans le palmarès de la Mini-Transat.

 

Toutes les audaces

« La classe mini autorise toutes les audaces, souligne Sam Manuard. En premier lieu, parce que les bateaux ne sont pas trop chers. Ils permettent ainsi de tester de nombreuses configurations que ce soit sur les appendices, les coques ou les mâts. En second lieu, parce que la jauge offre davantage de latitude que dans d’autres classes : le gréement est, par exemple, complètement libre. C’est pourquoi les mâts basculent dans tous les sens. »

D’autres percées technologiques viendront année après année bousculer les certitudes. C’est ainsi que les Transat 6.50 adopteront les premiers, dès 1989, la quille pendulaire, le bout dehors orientable, le double safran, les dérives latérales permettant de faire un meilleur près ou encore les bouchains évolutifs, dès la fin des années 90. Depuis peu, les dérives jouent aussi le rôle de foils.

Pour Sam Manuard, le maître-mot est désormais celui de l’optimisation. Les architectes navals ont à leur disposition une palette de technologies complexes et la clé de la réussite réside dans leur assemblage le plus judicieux. « Je ne crois pas aux révolutions en matière de construction navale, explique Sam Manuard. En revanche, des avancées sont encore possibles sur les gréements. Et je porte aujourd’hui toute mon attention sur la façon dont évoluent les kitesurfs et les véliplanchistes… »

 

sam manuard yacht design proto 650 2007-2009, sitting bull & racing bull, 5 novembre 2009
Pointu et polyvalent

Cette débauche d’innovations n’a évidemment qu’un seul but : aller vite bien sûr, mais surtout pouvoir maintenir une bonne vitesse moyenne dans toutes les conditions propres à une transat. Et c’est là que les choses se corsent, car les options extrêmes ne sont pas forcément les meilleures. « Pour avoir participé trois fois à la Mini-Transat (2001, 2003 et 2007), j’ai constaté qu’il était essentiel de gérer au mieux les zones de transition, dans le petit temps, car c’est souvent à ces moments-là que la course se gagne ou se perd. »

C’est le pari du navigateur suisse Etienne David qui est engagé dans la Transat 6.50 avec TeamWork, un plan Manuard de 2007. « J’ai choisi un bateau qui a déjà fait ses preuves. Seule modification : l’installation d’outriggers. Très puissant, raide à la toile, il est particulièrement performant au reaching et au portant dans la brise. Un peu moins par petit temps, car il traîne un peu d’eau. Le principal problème est le risque d’enfournement et il convient d’être attentif aux réglages du mât sur l’arrière et très pointilleux sur le matossage. La forme de la carène aide également le bateau à se cabrer, un facteur important pour éviter l’enfournement. » A la veille de la Mini-Fasnet, en juillet, le skipper suisse se disait de plus en plus confiant, même s’il admettait que comme débutant dans la classe Mini, c’est le comportement du « bonhomme » qui requérait encore sa plus grande attention.

 

Pari gagnant pour David Raison

Toute autre approche chez David Raison qui navigue à bord d’un mini fait maison, TeamWork Evolution. L’ingénieur en construction navale n’a pas fait dans la demi-mesure. Son bateau est en tout point extrême et probablement un des plus puissants et des plus raides à la toile de toute la flotte. Au premier regard, la forme de son étrave, très volumineuse et arrondie, surprend. « Elle fait penser à une péniche, dit-il en souriant. Mais, croyez-moi, cette option extrême a été validée en amont. Et le fait que le brion ne soit pas immergé n’est pas une nouveauté puisque cela a été mis en œuvre sur des bateaux aussi différents que les Class America, les Optimist ou les Fireball. Pour le reste, j’ai beaucoup travaillé sur la carène, sur la quille pendulaire télescopique et sur le plan de pont. Je suis ainsi le seul de la flotte à avoir équipé le bateau d’un poste de veille sous le capot de la descente. Il me permet de me reposer tout en ayant les manœuvres à portée de main. »

Sam Manuard est à la fois admiratif et dubitatif. S’il apprécie, en connaisseur, les options extrêmes, il considère qu’elles peuvent nuire à l’indispensable polyvalence d’un bateau lancé sur l’Atlantique. Mais le monde des mini 6.50 est fait de paris un peu fous et le choix risqué de David Raison a fait très forte impression dans la Transgascogne 2011, en reportant le classement général.

Toute cette technique fait toutefois oublier que sans un skipper capable de la maîtriser elle n’est rien. La Transat 6.50, c’est d’abord l’histoire d’un couple, celui formé par un marin et son bateau. S’il admet s’être peu soucié d’ergonomie dans ses premiers projets, Sam Manuard place aujourd’hui cet aspect en tête de sa liste des priorités. Il travaille actuellement dans trois directions : la qualité du repos, des assises dessinées avec soin et la facilité du matossage. A qualités égales, un skipper lucide est indéniablement un atout en matière de performance, surtout lorsque, comme dans la Transat, les marins passent plus de trois semaines d’affilée à bord.