© Gilles Martin-Raget

La 34e édition de l’America’s Cup a été au-delà de toutes les espérances. Spectaculaire à l’extrême, rapide comme jamais, et surtout disputée jusqu’à la dernière régate, et ce malgré une Louis Vuitton Cup presque soporifique. L’événement a vécu le come-back le plus remarquable de l’histoire du sport, avec un Team USA magistral, capable de rebondir des sept balles de match détenues par ETNZ. Du jamais vu !

Contrairement à tout ce qui avait pu être dit avant les premières manches, les AC 72 ont démontré qu’ils pouvaient de faire du match racing, se marquant et se chassant parfois à plus de 40 nœuds. Difficile de songer aujourd’hui à revenir en arrière, entendez en monocoque. Le simple fait de repenser aux interminables manches des Class America rend les paupières lourdes. Voler est devenu un impératif sur lequel personne ne fera plus de compromis. Le virage est désormais pris. L’âge du plomb et d’Archimède est bel et bien révolu. Place au carbone et aux foils.

© Abner Kingman
Goût amer pour les Kiwis

Tragique pour Grant Dalton, Dean Barker et ses hommes, qui se voyaient déjà descendre Queen Street sous les confettis, acclamés par les Néozélandais, cette rencontre n’est pas prête d’être oubliée par ETNZ. La pilule est aujourd’hui encore difficile à avaler, même s’il apparaît que les dés étaient pratiquement jetés dès le départ. « Ce n’est pas nous qui avons gagné les premières régates, mais les Américains qui les ont perdues », a confié Luc Dubois, membre du design team d’ETNZ, peu après la fin de la Coupe. Et de poursuivre: « Cette America’s Cup confirme une nouvelle fois que, pour l’emporter, il faut être le plus rapide, et nous avons cru le contraire pendant un moment. C’était une erreur. » Le co-inventeur du 3DL relève encore combien l’approche un peu trop sportive des Kiwis a fini par leur coûter la victoire. « Cette équipe est constituée de remarquables régatiers, et a énormément misé sur l’entrainement sur l’eau. La preuve est qu’on a été les premiers à virer et empanner en l’air. Mais le problème, c’est que l’America’s Cup est aussi une compétition technologique. Il faut donc mettre autant d’énergie dans le développement que dans l’entrainement sur l’eau. C’est peut-être là que nous n’avons pas appliqué le bon équilibre. Et que les Américains ont fait mieux. » Luc Dubois évoque encore la question budgétaire comme un des facteurs du résultat final. « Nous avions des moyens, mais devions gérer un budget qui n’était pas illimité, même assez serré. Cette situation nous a imposé à plusieurs reprises de faire des choix dans les pistes que nous allions explorer. Oracle avait beaucoup plus de marges, et pouvait se permettre plus de recherches. Certaines n’ont abouti sur rien, et d’autres leur ont permis de réaliser un gain sensible. »

Menant 6-0 le 14 septembre, les Kiwis sont passés près du désastre... © Balazs Gardi
Évoluer chaque jour

Si toutes ces raisons semblent cohérentes pour expliquer la défaite d’ETNZ, il faut par ailleurs relever l’extraordinaire capacité qu’a eu le Defender à réagir au jour le jour. Quand ETNZ a commencé les matchs presque au sommet de sa courbe de progression, Oracle avait encore une bonne marge. « C’est toujours la situation du Defender, qui a moins navigué quand il débute les courses », explique finalement Luc Dubois. « Quand ils sont arrivés au maximum de leur potentiel, ils étaient simplement plus rapides. » Les hommes de Larry Elisson ont en ce sens réalisé un véritable exploit, en étant capables de se remettre complètement en question après chaque course, et en trouvant des solutions pour revenir dans le match. La restructuration de la cellule arrière, avec l’arrivée de Ben Ainslie en cours de Coupe, est probablement l’exemple qui illustre le mieux ce mode de fonctionnement. Le travail du shore team, qui a su faire évoluer le bateau entre chaque manche reste aussi remarquable.

Redevenu simple spectateur, le skipper Alain Gautier a immortalisé une manœuvre spectaculaire d‘Oracle à quelques mètres du public. © Alain Gautier
Quid de la prochaine

Au moment où nous bouclons notre magazine, le protocole de la 35e édition n’est toujours pas publié. Seul le Challenger of Record, le Hamilton Island Yacht Club a officiellement été présenté peu après la victoire américaine. Soutenu par Bob Oatley, magnat du vin en Australie, propriétaire des super Maxi Wild Oats et surtout vainqueur de l’Admiral’s Cup et de quatre Sydney-Hobart, le club qui négocie avec le Team Oracle ne semble pas pressé de se faire mieux connaître. Et si Russell Coutts affirme travailler d’arrache-pied pour trouver un format qui permette à un maximum de Challengers de défier le Team Oracle, on ne peut que regretter le temps qu’il lui faut pour rendre sa copie. Des éléments monotypes sont évoqués comme une potentielle solution à la réduction des coûts, mais rien de plus.

Des critiques sur cette situation ne manquent d’ailleurs pas de ressortir ça et là, particulièrement aux abords du Léman. Rappelant combien les Américains, qui avaient fustigé Alinghi pour son comportement à l’issue de la 32e édition, adoptent aujourd’hui une attitude qui peut apparaître comme peu sportive. Coutts se défend de son côté, invoquant la nécessité de prendre suffisamment de temps pour construire un projet de qualité.

© Abner Kingman

La seule chose dont on puisse être sûr à ce stade, c’est que la prochaine se disputera en multicoque, et qu’elle promet d’être aussi spectaculaire que la 34e. Espérons simplement que le pari de rendre l’épreuve accessible à un plus grand nombre réussisse, pour que la fête soit plus belle.