De l’action sur le lac de Bienne : pour la première fois, le championnat du monde 2011 des Tornado a consacré un équipage mixte. © Martina Barnetova

La décision de l’ISAF de ne plus aligner le Tornado à Londres 2012 et de supprimer ainsi les catamarans du programme olympique avait suscité un grand étonnement, voire un certain agacement. Une réaction compréhensible si l’on considère que l’America’s Cup se dirigeait alors vers un duel entre deux multis géants et que les catamarans et trimarans menaçaient d’éclipser les monocoques à coups d’images spectaculaires dans plusieurs autres domaines de la voile professionnelle. Cette évolution se poursuit encore aujourd’hui, les fonctionnaires de l’ISAF l’ont bien compris. Leur décision de réintégrer les catamarans pour les JO de Rio de Janeiro n’est ainsi qu’une suite logique. En revanche, la revendication d’équipages mixtes n’est pas sans susciter des controverses.

L’ancien catamaran olympique sera-t-il aussi le nouveau ? © Martina Barnetova
« Personne n’avait rien à redire »

Pour bon nombre de personnes, c’est l’Allemand Roland Gäbler, vainqueur du championnat du monde ouvert des Tornado en 2010 avec sa femme Nahid, qui a initié le « mixed sailing ». Après l’abandon du multi par l’ISAF, ce navigateur sur Tornado doté d’une expérience de plus de 20 ans s’était fait remarquer comme un des plus véhéments défenseurs du catamaran olympique. Parallèlement, Roland et Nahid Gäbler ont fait des équipages mixtes leur autre cheval de bataille. Une décision critiquée non seulement par les fédérations des pays à culture islamique mais aussi par de nombreux équipages masculins qui se sont sentis dupés, reprochant aux Gäbler d’agir par intérêt personnel.

© Martina Barnetova

« Je n’ai aucune idée de ce qui est effectivement à l’origine de l’idée, se défend Roland Gäbler qui a plusieurs titres de champion du monde et une médaille de bronze olympique à son actif. La question des équipages mixtes a été abordée la première fois lors d’une réunion de l’ISAF en 2009 et on avait l’impression que personne n’avait rien à redire. L’idée était jugée novatrice et positive pour l’égalité des sexes. Quand Nahid et moi avons gagné le championnat du monde, on a commencé à nous citer comme exemple d’un bon équipage mixte. Nous avons saisi l’occasion. Nous aurions aussi préféré une série de catamaran ouverte, mais soutenir le mixed sailing nous semblait être la voie la plus sûre pour faire réintégrer le catamaran dans le programme olympique. » Aujourd’hui, les Gäbler voient le concept comme une chance : « La navigation sur catamaran promet beaucoup d’action, la médiatisation pendant les JO est donc toujours plus grande que dans les autres séries. A cela s’ajoute le fait qu’ils seront menés par des équipages mixtes, peut-être même des couples ou des frères et sœurs. Cette particularité rend la chose beaucoup plus émotionnelle et intéressante pour les journalistes, le public et les sponsors. »

Un divorce ou une grossesse en travers du chemin ?
Le couple zurichois Martin et Julia Rusterholz pourrait tout à fait s’imaginer de se lancer dans une campagne olympique sur un Tornado. © Martina Barnetova
Roland et Nahid Gäbler : « Le Mixed Sailing est plus émotionnel et donc plus captivant pour les journalistes, le public et les sponsors. » © Martina Barnetova

Cet aspect émotionnel, n’est-il pas un handicap ? Les hommes et les femmes seront-ils capables de mener ensemble toute une campagne olympique avec le succès à la clé ? Simon Brügger qui a déjà participé aux JO à deux reprises au côté de Lukas Erni, a un avis bien tranché sur la question : « J’ai gagné le titre de champion suisse en 420 avec une femme dotée d’un incroyable sens de la navigation. Les équipages mixtes autres que les duos sont toujours très enrichissants. Pourtant, je ne me vois pas passer 200 jours par année sur l’eau avec une femme, pendant plus de deux ans, et peut-être même partager la même chambre d’hôtel. J’aurais trop peur des tensions. »

Les générations plus jeunes semblent avoir une approche un peu plus décontractée. Linda Fahrni, championne du monde ISAF sur 420 avec Maja Siegenthaler en 2010, explique : « Pour moi, les équipages mixtes sont une bonne idée. On devrait donner à tous les talents l’opportunité de participer à des Jeux olympiques, indépendamment de leur configuration. En plus, ce n’est pas tant le sexe de la personne qui importe, mais la personne même. »

Quant à Martin Rusterholz et sa femme Julia, 3e lors du championnat du monde mixte 2011 sur le lac de Bienne, il approuve la décision de l’ISAF sur le fond tout en émettant quelques réserves : « Pour les équipages mixtes qui viennent de se former, une des grandes difficultés réside dans la façon dont ils arrivent à gérer leur relation. Il n’est pas impossible que le projet olympique soit remplacé par une grossesse ou un divorce. Ma femme et moi aimerions bien nous lancer dans une campagne olympique. La question est de savoir quel bateau sera choisi pour Rio. » En effet, le Tornado a vu ses chances considérablement s’amoindrir depuis que l’ISAF a publié fin septembre les critères de choix pour le catamaran mixte. De toute évidence, l’ISAF veut un catamaran plus petit pour des équipages qui ne dépassent pas 140 kg au total. « J’ai véritablement flippé, commente Roland Gäbler, visiblement énervé. Il s’agit d’intérêts commerciaux. Nous n’allons pas accepter cette décision. » Entre-temps, quelques fédérations influentes se sont mises du côté de Gäbler et tout ne semble pas être perdu. « La décision finale doit appartenir aux navigateurs », précise-t-il. De même que chaque navigateur doit décider lui-même s’il veut s’aligner dans la catégorie mixte ou pas.