Jordi Calafat

Il a le geste vif, le regard perçant et l’humour parfois cinglant. Dans la vie, Jordi Calafat fonctionne «à l’instinct». C’est ainsi que le stratège espagnol d’Alinghi, champion suisse de match race depuis cet automne (voir page 32), a appris à naviguer. Dans le sillage de ses deux frères aînés, il a passé des étés entiers à louvoyer sur le Snipe et l’Optimist familial. «Deux fois par semaine, nous empruntions le petit cruiser d’un ami, fils de pêcheur du village, pour rallier les îles qui font face au sud-est de Majorque». C’est dans les trous de berniques des Baléares, son pays natal, que s’est forgée sa passion de la voile.

Chez Alinghi, ce père de trois enfants occupe le poste de sratège au sein du sailing team. Il est l’alter ego du Néo-Zélandais Murray Jones. En charge du chariot de grand-voile, il travaille étroitement avec le régleur de grand-voile. «Nous sommes en charge de la vitesse du bateau». Comme il occupe un poste avec un champ de vision important, Jordi peut surveiller les agissements de l’adversaire. Il est donc équipé d’un micro et informe le tacticien et la cellule arrière, de «sa position, de sa vitesse et des éventuelles manoeuvres» de l’autre bateau. Des haut-parleurs installés sur le pont permettent aussi au reste de l’équipage de profiter de ses observations. Dans les petits airs, Jordi s’envole en haut du mât «en moins de 10 secondes». Là, installé sur les barres de flèches, il observe les risées sur le plan d’eau et indique les pressions d’air à la cellule arrière.

Intégré à l’équipe suisse depuis 2004, le marin de 38 ans découvre le monde de l’America’s Cup pour la première fois avec des yeux d’enfant émerveillés. Le travail et l’interaction permanente entre le sailing team, le design team et le shore crew ne laissent pas de place au hasard. «Ici, j’optimise des choses que je faisais instinctivement jusqu’alors. Je trouve des réponses à beaucoup de très vieilles questions », témoigne-t-il.

Jordi Calafat n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard par Alinghi. Le barreur fut champion olympique de 470 aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. «J’ai croisé Jochen Shuemann dans les séries olympiques et dans le circuit de Soling. En 1999, j’ai navigué avec lui à la One Ton Cup. Nous nous sommes croisés à nouveau à Palma, après la victoire 2003. Il m’a demandé si je voulais rejoindre Alinghi. J’ai accepté». Jordi lâche la barre de ses dériveurs et entre dans une grande équipe pour la première fois.

A 11 ans, le jeune homme gagne sa première régate. «J’ai adoré ça». Au club maritimo de San Antonio de la Playa, il remporte le championnat régional d’Optimist. La suite est une «success story» impressionnante pour un jeune marin autodidacte. Enrôlé dans l’équipe des Baléares, il remporte le championnat national. La porte des mondiaux s’ouvre en Italie. Il y a «120 bateaux» sur la ligne de départ. L’expérience marque Jordi, ceci d’autant plus que l’Espagne gagne par équipe.

Aux mondiaux de l’année suivante, c’est une médaille d’or individuelle qui vient décorer la poitrine de l’adolescent. Désormais trop grand pour l’Optimist, Calafat passe en 420 et apprend la régate en équipage. «C’est un bon bateau, avec lequel j’ai eu beaucoup de plaisir ». Tellement de plaisir, qu’une médaille européenne et une deuxième place aux mondiaux se posent comme une cerise sur le gâteau, en 1986.

Une rencontre importante décidera du point culminant de sa carrière. «J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment». Au début des années 1990, l’Espagnol Luis Doreste (champion olympique de 470 en 1984 à Los Angeles) change de série et s’attaque au Flying Dutchman. Ce faisant, il laisse son équipier Roberto Molina sur le carreau. Ce dernier propose à Jordi de préparer les J.O. avec lui. «Roberto m’a enseigné tout ce que Luis lui avait appris. Mon adaptation a été très rapide», se souvient Calafat. Aux Jeux de Barcelone, le duo espagnol s’impose dans une des séries olympiques les plus combatives. L’or olympique ne rouille jamais. Le Graal est atteint.

Avec une formation chez Toni Tio à Barcelone et chez Quantum aux USA, le stratège espagnol est aussi voilier de formation. Il a mis cette activité professionnelle en veilleuse dans le cadre de son travail chez Alinghi. Mais comme tous les marins, il est en contact permanent avec les voiliers et les architectes. «Nous discutons souvent dans les couloirs des détails qui font avancer l’architecture du bateau».

En tant que stratège, il fait partie de deux cellules de travail importantes. Des briefings avec les régleurs de voile et le weather team, la cellule météo, permettent d’améliorer tout ce qui concerne la vitesse. Partie intégrante de la cellule arrière, Jordi discute aussi des conditions de la régate, des phases de pré-start, de stratégie et de tactique.

Mais ne lui demandez pas ce qu’il fera après la Cup! Pour l’instant il apprend, profite et se donne à 300% dans cette expérience hors du commun. Comme tous les membres d’Alinghi, l’avenir de Jordi Calafat butte sur une date limite qui se situe à la fin du mois de juin 2007. Après… on verra bien !

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