La prochaine édition de l’America’s Cup, qui sera disputée à San Francisco en septembre prochain, ne fait pas forcément l’unanimité. Trop chers, trop grands, trop extrêmes, les AC 72 restent réservés à une élite restreinte. Les Challengers sont trop peu nombreux et le circuit théoriquement mondial des AC 72 a été réduit comme peau de chagrin au fil des ans, pour ne se disputer qu’entre deux pays. De nombreux observateurs considèrent que le Defender n’a pas réussi son pari, et le nombre d’inscrits parle de lui-même quant aux choix réalisés par Oracle.

En remportant six des neuf manches disputées lors des sélections, les membres du Team Tilt ont démontré une supériorité impressionnante sur leurs adversaires. © Loris von Siebenthal

Il reste cependant une dimension que tous les acteurs de la voile de haut niveau voient comme une réussite, c’est celle d’avoir ouvert un pan de la Coupe à la jeune génération.

La Red Bull Youth America’s Cup n’a bien sûr pas vocation à se positionner au même niveau que la véritable épreuve. Mais elle constitue toutefois un projet remarquable en termes de formation et de préparation de la relève. Et si les AC 72 sont probablement trop extrêmes et ne passeront certainement pas le cap de cette édition, les AC 45 sont par contre des machines remarquables qui comblent tous les régatiers qui s’y sont essayés.

 

De la motivation avant tout

Ouverte à dix équipes nationales de six marins, âgés de 19 à 24 ans, la Youth America’s Cup a intéressé quelques Suisses dès les balbutiements du projet. Julien di Biase, ancien administrateur du CER, et membre du Team Oracle a semble-t-il été un des premiers à relayer l’information, de même qu’Arnaud Psarofaghis, présent sur le circuit AC 45 durant deux saisons. L’idée a alors fait son chemin petit à petit et Lucien Cujean a lancé les premières démarches au printemps 2012, alors que les informations sur le format exact de la compétition étaient encore floues. Alex Schneiter, qui reconnaît le sérieux du projet qui se trame, va alors à la rencontre de Lucien pour évoquer l’avenir. « J’ai été clair sur mes ambitions, ma manière d’envisager ce projet et ai fait comprendre que j’étais complètement disponible, relève Lucien Cujean. Je crois qu’Alex a ressenti qu’Arnaud Psarofaghis et moi étions pertinents et notre approche lui a plu. C’est ce qui l’a poussé à nous aider. »

Les choses se sont alors mises en route assez vite, et s’il y a eu encore pas mal de moments de doutes au début de l’automne, tout s’est finalement concrétisé en octobre.

La participation au Vulcain Trophy en D35, ainsi qu’aux premières épreuves du TeamWork M2 Speed Tour, fait partie intégrante du projet suisse sur la Youth America’s Cup. © Loris von Siebenthal
Pourquoi s’engager

Alex Schneiter concède ne pas avoir entièrement pris la mesure de sa décision au moment où il s’est lancé. « J’ai beaucoup reçu tout au long de ma carrière vélique. Beaucoup de personnes m’ont aidé. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’apporter mon énergie pour ces jeunes. C’est une manière de rendre ce que j’ai reçu. Par ailleurs, j’ai toujours aimé me lancer et manager des projets en partant d’une feuille blanche, surtout si le projet est passionnant et implique des jeunes talents. J’aime ce genre de challenge et je suis chaque fois surpris de ce qu’il est possible d’accomplir en partant de presque rien. » La décision du président de SST est cependant restée conditionnée au fait de trouver un financement suffisant pour pouvoir lancer quelque chose de sérieux. « Tout s’est joué en quelques jours et j’ai pu signer un contrat avec notre premier sponsor. Cinq jours plus tard on achetait un D35, et deux semaines après nous commencions les entraînements sur l’eau. »

 

Cinq mois pour être au top

La réussite de ce projet réside certainement dans la capacité de l’ensemble des acteurs à prendre des décisions rapides. Le délai était en effet très court entre la signature du contrat et les sélections. « En plus, il faut comprendre que même si le réservoir de talents et l’expérience en multicoque est importante sur le Léman, nous n’avions pas de véritables champions dans le team comme dans d’autres équipes, notamment les Australiens ou les Portugais. » Pour parfaire son expérience de barreur, Lucien est envoyé à St.-Barth pour participer à des régates de F18 et affiner son toucher de barre. Il navigue également en Classe A sur le Léman. Une trentaine de jeunes potentiellement partant est d’abord reçue, pour une première sélection. Douze puis huit sont finalement retenus. Quarante jours de navigation dont une bonne partie avec un sparing partner sont effectués, en plein hiver sur le Léman. « Il y a en plus de l’aspect sportif une montagne de tâches administratives, dont on n’imagine pas l’ampleur. Heureusement, nous avons été aidés de ce côté, notamment par François Rayroux qui s’est chargé de la coordination légale du projet » précise encore Alex Schneiter.

Les jeunes du Team Tilt ont fait la différence par leur capacité à travailler en équipe, grâce au team-building mené par Matt Cooper. © Loris von Siebenthal

 

À nous deux Frisco

En février, l’équipe s’envole enfin pour les USA après des mois de travail acharné. « Nous avons structuré notre séjour heure par heure, afin d’être tout le temps dans un mode compétitif, explique encore Lucien Cujean. Nous n’avions pas de complexes et étions assez confiants même si nous savions que rien n’était joué. » Alex Schneiter déclare pour sa part avoir été impressionné par le niveau de progression de chacune des équipes. « Après deux jours de prise en main des AC 45, les jeunes qui n’avaient jamais navigué sur un tel support attaquaient tous avec autant de ferveur. C’était vraiment serré. » Le travail de team-building réalisé en amont par les Suisses a largement porté ses fruits et le Team Tilt a fait sensation de ce point de vue. Jugés sur leurs résultats en régates, mais également sur leur condition physique, leur potentiel futur et leur capacité à maîtriser les catamarans à mât-aile AC 45, les jeunes Romands ont finalement gagné leur ticket pour le mois de septembre, grâce une détermination hors du commun.

 

Prudent et modeste, Lucien Cujean se refuse à tout pronostic après ce premier succès. Le jeune skipper peine toutefois à cacher son optimisme. La qualité du projet Team Tilt, son management et le potentiel des marins laissent réellement croire qu’une victoire est possible, ou en tout cas un podium. « Il est clair que nous partons pour gagner, conclut Alex Schneiter. Mais il reste encore énormément de travail, et tout le monde va progresser. Nous avons fait le constat que rien n’est impossible quand on se donne les moyens de ses ambitions. »