Les vainqueurs de la 33e America’s Cup avaient fait deux promesses : baisser les coûts, et faire de la prochaine édition un spectacle télévisuel révolutionnaire. La première n’a clairement pas été tenue, et les rares équipes pouvant prétendre s’aligner à armes égales avec Oracle doivent clairement débourser plus d’argent qu’en 2007. La seconde ressemble par contre plus à une parole tenue, même s’il reste toujours des détracteurs pour dire qu’il aurait fallu faire différemment. Les rencontres des AC 45 de Cascais et Plymouth ont démontré que la voile pouvait effectivement devenir aussi spectaculaire que d’autres sports médiatiques. Le temps des longs bords soporifiques, à 11 nœuds, avec 0,1 % d’écart de vitesse entre deux concurrents semble bel et bien terminé. Le show est au rendez-vous, et même si les règles et enjeux ne sont pas plus simples à comprendre qu’avant, le commun des mortels peut y trouver son compte à coups de chavirages et d’embruns sur les objectifs.

© Gilles Martin-Raget 
Budgets colossaux

Les multiples caméras et micros embarqués sur chaque bateau, ainsi que le virtuel incrusté dans le réel offrent au téléspectateur ou à l’internaute un point de vue rarement proposé jusque-là. Même s’il ne s’agit que d’une évolution relativement logique par rapport à ce qui s’est fait, le résultat mérite d’être salué. Bruno Peyron qui, de ce point de vue, fait parti des conquis a même déclaré après les deux premières World Series : « Le produit télévision est exceptionnel, il dépasse ce qui avait été présenté avant les premières rencontres. » ACTV, la société en charge de la production des images n’a en effet pas lésiné, et ce qu’ils ont démontré est assez bluffant. « Mieux sur écran qu’en vrai », comme l’annoncent les promoteurs.

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Les moyens mis en œuvre pour la réalisation sont bien sûr à la hauteur du résultat, et l’équipe d’ACTV compte cent-vingt personnes, ce qui est énorme en comparaison avec d’autres événements véliques. Ceux qui sont dotés d’une production TV tournent généralement plutôt autour d’une quinzaine. Certaines sources parlent par ailleurs d’un budget qui se compte en plusieurs dizaines de millions de dollars (entre 50 et 100) car les intéressés ne s’expriment pas sur ce sujet. En comparaison, l’Audi MedCup n’aurait à disposition qu’un petit million, pour un travail par ailleurs tout à fait honorable.

Défi technique
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Techniquement, les contraintes sont à peu près du même ordre pour tous les types d’événements. Et pour faire du direct, qu’il soit destiné au streaming internet ou aux télévisions, il faut récupérer les signaux des divers capteurs (cameras et micros) pour les restituer à une régie postée à terre. Cela peut se faire à partir d’un engin volant, avion ou hélicoptère, ou d’un bateau. Hervé Borde, le patron de Nefertiti production, qui s’est occupé des MOD70 à La Trinité confirme ce point et ne voit pas de réel défi technologique pour la retransmission des images. « Ces aspects sont généralement maîtrisés par les professionnels que nous sommes. Ce qui est par contre plus complexe, et qui représente une véritable nouveauté, c’est qu’on ne se contente plus de récupérer l’image d’une camera embarquée, mais que la régie commande cette caméra, en termes de cadre, d’angle, et de diaf. » Il observe d’ailleurs le travail fait par ACTV avec intérêt. « Ce que la Coupe a réellement révolutionné, c’est de pouvoir apporter une réalité augmentée. On voit des sillages, des cercles autour des bouées, des lignes d’engagements. Cet aspect est une réelle avancée. Nous travaillons d’ailleurs à proposer quelque chose du même ordre pour les MOD70. »

Réalisation à la carte

En plus de ces points, la véritable révolution que propose l’America’s Cup est le live streaming mis à disposition sur Youtube, en partenariat avec le site web. L’internaute peut en effet faire sa propre réalisation en choisissant ses points de vue et ses micros. Il est en plus possible d’entendre les conversations du bord, par exemple entre le tacticien et le barreur. Personne ne propose encore l’accès à ce qui se dit dans l’oreillette des cyclistes, dans le casque des pilotes de F1, ou entre les membres d’une équipe de football. Ce point présente une réelle avancée, qui doit clairement séduire un large public, même de non-initiés.

Des images pour qui ?

Mais si les images produites sont aujourd’hui à la hauteur de ce que proposent tous les autres sports, il faut encore savoir si elles sont réellement diffusées et vues. Les ambitions d’ACTV sont bien sûr à la hauteur des investissements consentis. Hervé Borde de poursuivre : « Je ne peux pas répondre sur tout ce qui se passe en terme de droits TV pour l’America’s Cup. Mais je sais d’expérience qu’il est presque impossible de vendre des droits à des chaînes et de générer du bénéfice dans le domaine de la voile. Des coproductions, permettant de disposer de moyens techniques sont possibles avec des grands groupes. Mais en gros, les événements doivent être en mesure d’assumer les coûts de production pour espérer diffuser leur produit. » ACTV affiche des diffuseurs tels que Sky Sports, Channel 4, Canal + ou encore NBC aux Etats-Unis et TW One en Nouvelle-Zélande. La chaîne Youtube compte plus de 4 millions de vues, ce qui est énorme pour un sport malgré tout confidentiel. En comparaison, l’Audi MedCup parle d’une cinquantaine de milliers d’internautes visionnant les courses. La marge de progression reste donc encore sensible pour rejoindre les sports médiatiques comme le foot, la F1 ou la boxe, mais une chose est claire : le monde de la régate télévisuelle est véritablement en train de changer, et ce que nous observons n’est que le début.

© Ricardo Pinto