Les envols spectaculaires des AC 72 de la Coupe de l’America ont convaincu les derniers sceptiques. « Désormais, on ne regarde plus les bateaux de la même façon », note Denis Horeau, directeur de course du Vendée Globe et manager de la Little Cup 2015, qui aura lieu à Genève, pour la Fondation Hydros. En effet, pour les coureurs du large, tous les bateaux doivent et peuvent voler. Y compris les IMOCA, ces monocoques de 18,25 m et de 7 tonnes. © DR

Le premier à tenter de le démontrer sur l’eau est Armel Le Cleac’h avec son nouveau Banque Populaire. Sa mise à l’eau en avril consacre une vraie révolution dans la voile puisque cette bête de course est dotée, sur chaque bord, d’un foil de 2,50 m incurvé vers le ciel en lieu et place des longues dérives sabres qui équipent actuellement tous les IMOCA. Cette innovation majeure pourrait permettre à Le Cléac’h de gagner deux jours sur le record de 78 jours établi par François Gabart dans le Vendée Globe 2013. Les essais faits ces derniers mois sur un mini 6,50 m équipé de foils latéraux ont permis de tester plusieurs courbures et de juger de la plus performante. Celle retenue a « enregistré des gains de vitesse au largue de 2 à 3 nœuds », a précisé le skipper.

Armel Le Cleac‘h a testé différents modèles de plans porteurs sur un mini 6,50 m avant de dessiner ceux de son 60 pieds. © Yvan Zedda

Mais s’il est le premier sur l’eau, il ne va pas être le seul. Les cinq autres nouveaux 60 pieds qui sortent aussi des cartons du cabinet d’architecture VPLP-Verdier vont être équipés de ces appendices destinés à soulager la coque à certaines allures et donc à augmenter la vitesse par une diminution de l’immersion de la carène. Notons que déjà, le foil anglé des quilles pendulaires crée une poussée vers le haut (le tilt) estimée à un allégement d’au moins une tonne. A partir de là, « la continuité de cette démarche a été de travailler sur les foils pour gagner le moment de redressement perdu par la quille », souligne-t-on chez VPLP. « Les architectes nous ont proposé ces plans porteurs issus de leur expérience de la Coupe de l’America », expliquait le marin breton, lors de la présentation, fin janvier, de son Banque Populaire VIII. L’homme n’a pas digéré ses deux deuxièmes places dans les deux derniers Vendée. Son sac posé à terre, il s’est ingénié à convaincre son sponsor d’y retourner avec un bateau neuf, optimisé à partir des connaissances technologiques les plus pointues. « Le projet était prêt pour la sortie de la nouvelle jauge IMOCA », raconte l’architecte Vincent-Lauriot-Prévost dont le cabinet travaille en parallèle sur Safran, Hugo Boss, St-Michel-Virbac, Edmond de Rothschild et Vento Di Sardegna. Cette nouvelle jauge a modifié la philosophie de cette classe open en imposant mâts et quilles identiques à tous les bateaux. Elle a été adoptée par les 20 skippers membres de l’IMOCA et est entrée en vigueur le 1er janvier. Elle laisse en revanche la liberté de choix et de créativité pour les cinq appendices autorisés. « Une souplesse appréciable », nous commente Bernard Stamm depuis le milieu de l’océan Indien où il naviguait, fin janvier, en tête de la Barcelona Race avec Jean Le Cam. Le skipper suisse avoue n’avoir pas le budget pour le Vendée Globe en 2016. Pas directement concerné, il se félicite néanmoins que « certains se lancent dans cette innovation. C’est une grande avancée. Reste l’inconnue des mers du Sud. Comment ces foils vont-ils se comporter dans la longue houle ? », s’interroge le skipper de Cheminées Poujoulat. Car ces plans latéraux vont être incroyablement sollicités.

Le skipper de Banque Populaire a fait appel au savoir faire de Bertrand Pacé, ancien barreur de la Coupe de l’America, pour analyser ses expériences. © Yvan Zedda
Plusieurs interrogations soulevées

« Ces appendices vont être plus lourds que les dérives classiques. Pour assurer leur solidité, il faut prévoir une bonne dimension structurelle. Le bras de levier avec la coque va travailler. Cela va aussi entraîner plus d’efforts sur le mât », analyse Stéphane Dyen, responsable du bureau d’études Hydros Innovation à Lausanne. Cet expert en hydrodynamique reconnaît que « c’est intéressant pour porter le bateau » mais que ce sera « un compromis entre ce que l’on gagne au portant et ce que l’on perd au prés » avec la traînée. Autre interrogation, le comportement du bateau dans les vagues. Comment le skipper solitaire va-t-il stabiliser le bateau ? « Dans l’America comme dans la Petite Coupe, il s’agit de catamarans légers et il y a un régleur permanent », rappelle ce spécialiste. « Si on gagne 3 nœuds mais que le bateau n’est pas stable, le gain s’annule. Ce qui compte c’est la vitesse moyenne. » Stabilité est le maître-mot des bateaux performants. « Dans la Petite Coupe, nos catas étaient plus rapides mais moins stables que Groupama et c’est lui qui a gagné », rappelle Denis Horeau. « Ce sera intéressant de voir ce que cela donne dans la Jacques Vabre, course de portant en duo », renchérit Stéphane Dyen, l’ingénieur à l’origine des catamarans Hydros dans la Little Cup 2014.

Sur le flanc tribord, on distingue précisément le foil incurvé vers le ciel. © Yvan Zedda

ll n’est pas le seul à s’interroger sur l’efficacité de ces plans porteurs en solitaire. Plusieurs skippers soulèvent ce point : « entre l’ordi, le matossage, la météo, les réglages on est déjà pas mal occupé », commente avec son bon sens légendaire Jean Le Cam. Anticipant cette réalité, Armel Le Cleac’h a repensé l’ergonomie de son cockpit « pour barrer dans de bonnes conditions le plus souvent possible. » Il lui faudra cependant faire aussi confiance à son pilote automatique.

« C’est une évolution dans l’air du temps. On est allé au bout des progrès sur les coques », relève de son côté Fabrice Germond, architecte naval à Lausanne. Ancien « ministe », il avait envisagé, en 2000, d’équiper son 6,50 m de plans porteurs, mais la jauge ne l’y autorisait pas. Il met cependant en garde contre « les contraintes très élevées de fiabilité ». Et de rappeler combien « les safrans sont déjà souvent victimes de casse. Des foils latéraux en flexion, donc déjà à la limite de la rupture, vont être très exposés aux chocs. » Des fortunes de mer à prévoir vu le nombre d’objets flottants qui pullulent sur l’océan.

« C’est une nouvelle voie intéressante. Elle est néanmoins source de risques supplémentaires », conclut cet architecte.