Les marins de l’équipe Hydroptère en rêvaient depuis trois ans. Depuis le 8 octobre dernier, soit quelques heures seulement après la spectaculaire et aérienne mise à l’eau du catamaran à foils à St-Sulpice, le rêve est devenu réalité: ils ont navigué sur leur nouveau prototype volant, l’Hydroptère.ch. Si la toute première sortie n’a eu lieu qu’en mode archi- médien, avec une petite pointe à 8 nœuds pour 4 nœuds de vent, dès le lendemain le dernier-né d’Alain Thébault tentait avec succès de se dresser sur ses foils en V.

Ces tout premiers tests grandeur nature ont pu rassurer les dizaines de personnes – concepteurs franco-suisses, ingénieurs de l’EPFL, constructeurs (Décision à Ecublens et B&B à la Trinité-sur-Mer) et sponsors (Lombard Odier et Audemars Piguet) – qui ont œuvré pour réaliser ce laboratoire flottant. Et la machine parait bien née. On en saura cependant beaucoup plus ce printemps où, après une nouvelle vague d’essais sur le lac Léman dès début mars (la campagne autom- nale s’est achevée le 20 novembre suivie d’un retour au chantier pour un check-up complet), l’Hydroptère.ch «va s’attaquer à tous les re- cords lémaniques, soit le kilomètre, l’heure et le Ruban bleu (Genève-Bouveret et retour) », précise Adrien Lombard, boat-captain.

Une hydraulique complexe
Vu la complexité de l’engin, les premières na- vigations de l’automne ont été notamment consacrées à évaluer la fiabilité du système hydraulique (neuf vérins au total) qui permet- tent non seulement d’actionner et de régler en tous sens les appendices (foils et safrans), mais également le redan escamotable et l’écoute de grand-voile. L’ensemble, malgré des pépins de jeunesse, semble fonctionner de façon satisfaisante, «même si nous n’avons pas encore essayé de passer du mode archimédien en mode vol avec le bateau lancé», explique Daniel Schmäh du Design Team. «En revanche, dans l’un ou l’autre mode, le potentiel est au rendez-vous avec des pointes à plus de 25 nœuds sur les foils, après seulement quelques sorties. »

Bon connaisseur des multicoques lémaniques avec une saison en D35 et trois en M2, Daniel Schmäh évoque ses sensations: «Par rapport à un M2, l’Hydroptère.ch se lève évidemment moins vite sur une coque. Ceci est notamment dû à la largeur exceptionnelle du bateau – 10.40 mètres de large pour 10.85m de long (35 pieds) – et à son poids (1,5 tonnes), près de 4 fois supérieur à celui du M2. Mais, alors qu’autour de 20 nœuds le M2 atteint sa vitesse maximale, l’Hydroptère.ch en a encore beaucoup sous la pointe de ses foils. En mode archimédien, les performances semblent proches d’un D35, ajoute-t-il, même si les accélérations sont moins franches, en raison d’un poids plus élevé. Pour le reste, le gréement est quasi identique à celui d’un D35 avec des voiles d’avant un peu moins grandes car le mât est équipé d’un étage de barre de flèches ».

Redan escamotable
Par rapport à l’Hydroptère de 60 pieds, qui détient depuis septembre 2009 les records de vitesse pour un bateau à voile (51,36 nœuds sur 500 mètres et 50,17 nœuds sur le mille), le petit frère se distingue par deux innovations majeures: l’alignement des safrans et des foils en V et l’installation d’un redan escamotable sur chacune des coques. « Nous avons déjà pu vérifier, constate Adrien Lombard, que la première innovation offrait davantage de stabilité en vol qu’avec le safran central du 60 pieds. Ce dernier avait tendance à se cabrer à la gîte ce qui pouvait rendre délicat le travail à la barre et aboutir à des risques d’enfournement. L’alignement des deux appendices donne à cet égard de bons résultats. Quant à la stabilité de vol, constatée dès la 2e sortie, on la doit à toute l’expérience accumulée depuis 15 ans et au simulateur de vol développé par les «Papés», ces ingénieurs retraités qui soutiennent Alain Thébault depuis de longues années.»

Le comportement des redans, montés sur pivot à l’avant des flotteurs, constituait la plus grande inconnue. Collés à la coque en mode archimédien, ils peuvent basculer d’une dizaine de centimètres de façon à créer une sorte de marche au tiers avant du flotteur, ce qui réduit fortement la traînée à vitesse élevée. Ce dispositif, qui fait vraiment de l’Hydroptère.ch « un bateau hybride », a pu être testé à plusieurs reprises : « Lorsque le redan est en place, avec son angle de 5°, ça tape fort chaque fois qu’il touche l’eau, raconte Daniel Schmäh. Mais l’objectif est en passe d’être atteint, car il nous donne à la fois l’effet de lift et l’effet planant recherchés en permet- tant de décoller les filets d’eau et ainsi de réduire la surface mouillée. Afin d’accroître encore l’efficacité du système, deux tuyères permettent une aspiration naturelle d’air au niveau du redan.»

Les premières navigations de l’automne 2010 sont de nature à donner confiance à Alain Thébault et à ses équipiers. Mais beaucoup reste à faire pour que l’engin révèle tout son potentiel, reconnaissent-ils à l’unisson. «Les possibilités de réglages sont multiples, que ce soit sur les foils ou sur les ensembles arrière safran-plan porteur (sans parler du plan de voilure très classique jusqu’ici) et les sorties d’octobre et de no- vembre ne nous ont permis que d’effleurer les diverses configurations possibles, constate Adrien Lombard. On ne sait, par exemple, toujours pas à quelle vitesse et dans quelles conditions de vent ou de mer, il est préférable de passer en mode vol ou de rester en archimédien. »

Deux bateaux et un projet
Il y a donc du pain sur la planche pour les prochains mois. D’autant plus que – ne l’oublions pas -, l’Hydroptère.ch est d’abord un laboratoire flot- tant destiné à tester les options choisies en vue de la construction d’un foiler beaucoup plus grand, de l’ordre de 90 pieds, dont le programme hauturier sera ni plus ni moins que la quête du Trophée Jules Verne, soit le record du tour du monde à la voile.
En parallèle, l’Hydroptère de 60 pieds ne chômera pas. Après avoir subi quelques transformations pour le rendre plus polyvalent et plus hauturier, il devrait (à partir de juin 2011) se mesurer à toutes sortes de records en France et en Grande-Bretagne, dont le tour de l’Ile de Wight. Une traversée du Pacifique est d’ores et déjà prévue en 2012, entre Los Angeles et Honolulu.
Quant à l’Hydroptère.ch, son programme 2011 sera résolument lacustre et bien des navigateurs lémaniques seront à l’affût durant la saison à venir. A la fin de l’année, il fera également une incursion en terre alémanique sur le lac de Zurich, et une autre dans le Tessin, sur le lac de Lugano.