© François Van Malleghem
© François Van Malleghem

Directeur de la voilerie Gautier de Morges, à la tête de laquelle il est associé à Michel Vaucher, Christophe Péclard est un régatier de haut vol, qui court sur les voiliers les plus pointus comme les D35, mais la Transquadra était de son propre aveu sa « première expérience au large ». Hervé Chanu, propriétaire de l’Archambault 35  Expat (Think Analytics  de son nom de course dans la deuxième étape), est un copain de toujours, « vingt ans que l’on navigue ensemble ». Ne demandez pas à Péclard comment les sillages d’un Breton et d’un Suisse ont pu ainsi se croiser, ni sur quelles mers ils ont vogué ensemble, « Hervé est comme son bateau, un expat, c’est un Malouin de partout. Nous nous sommes rencontrés lors d’un Spi Ouest France à la Trinité-sur-Mer et depuis, nous avons fait plein de choses ensemble, du Bénéteau 25, du Mumm 30, du Swann 45. » Et d’ailleurs, Hervé Chanu n’est pas Breton : « ni Breton, ni Normand, Malouin suis », disent les gens de Saint-Malo qui ne sont pas peu fiers.

Sur Ocean Vox, le tandem genevois Guillet-Riond s'est classé 43e en temps réel de la 2e étape © François Van Malleghem
Pari tenu
© François Van Malleghem

Voilà bien longtemps que son ami lui parlait de la Transquadra, l’échéance est enfin arrivée, Christophe  Péclard approchant de l’âge fatidique des quarante ans. Entre la distance séparant le Léman de la Manche et les activités professionnelles d’Hervé Chanu, il n’était guère facile de s’entraîner en commun, les deux amis ont tout de même couru ensemble la Barquera (un aller-retour entre Bretagne et Espagne) et Cowes-Dinard, une éternelle classique désormais ouverte aux équipages de double. Pour le reste, ils se sont beaucoup parlé au téléphone, débriefant après les courses « ce qui n’allait pas », examinant ensemble les différentes améliorations ou modifications à apporter au bateau. « Toute la préparation », rigole Christophe Péclard, « c’est Hervé qui l’a faite, mon rôle se résumait à formuler des suggestions, sur ce coup-là j’ai eu beaucoup de chance ! » Le A35 est de toutes façons un bateau de régate plutôt bien conçu « et il n’était pas besoin de tout réinventer ». L’optimisation des bannettes, une méthode efficace de matossage, l’installation d’une tourelle au coeur du cockpit permettant de gérer plus facilement la grand-voile depuis le poste de barre, voilà pour l’essentiel des adaptations du voilier pour la Transquadra.

Avec une dixième place (sur cinquante-deux équipages de doubles en Atlantique, un autre contingent partant de Méditerranée), la première étape courue en juillet 2011, entre Saint-Nazaire et Porto Santo (l’île soeur de Madère), n’avait pas tout à fait été à la hauteur de leurs espérances. « Cela s’était bien passé (NDLR- Expat pointant à la troisième place en temps réel au large du Portugal) jusqu’au dernier jour où nous avions un peu tout cassé, notamment le tangon de spi. Nous n’avions pas bien géré la catastrophe, c’était une bonne leçon pour la deuxième étape où nous nous étions promis de ne pas baisser les bras. » Pari tenu. Après le passage en tête le 28 janvier à la bouée de dégagement de Madère, le spi est resté en l’air jusque dans les pires conditions, l’équipage de Thinkanalytics empannant à la volée quand il le fallait, là où certains préféraient parfois affaler pour renvoyer sur l’autre amure. Dans une situation météo confuse, avec un alizé qui se laissait désirer assez bas en latitude, ils ont su se décaler progressivement dans le Sud pour une option médiane efficace, rallongeant modérément la route. Vainqueurs en temps réel de cette deuxième manche, ils ne sauvent pas leur rating, se classent sixièmes en temps compensé, septièmes au cumul des deux étapes. « Nous étions venus sans ambitions, nous débarquions dans le milieu et nous n’allions pas nous mettre des objectifs particuliers. Secrètement, nous avions chacun de notre côté envie de terminer dans les dix, mais nous ne nous l’étions pas avoué. » A refaire ?

Jusqu’au bout
Malgré la galère, Marc Buntschu et Yvan Racenet sont allés jusqu’au bout, retrouvant même le sourire à l’arrivée. © Frédéric Augendre
Christophe Péclard (à droite) et son complice malouin Hervé Chanu furent les premiers à passer la ligne d’arrivée en Martinique, de nuit, après 14 jours, 17 heures et 40mn de transat depuis Madère. © François Van Malleghem

Ils ont couvert 1300 milles sous gréement de fortune. Dans une nuit noire, sans lune, à une heure du matin, le diabolo de caoutchouc (type pied de mât de planche à voile) reliant les barres du Pogo 850 La Calyps Morgan a cédé sans que Marc Buntschu, sur le pont à ce moment-là, n’y voie goutte. « Le bateau est parti au lof, ça a tapé une fois, deux fois, puis le mât a cassé, deux mètres au-dessus de la bôme. » Fin de partie pour le boulanger-pâtissier de Leysin et son ami Yvan Racenet, responsable de l’école de voile du Bouveret. « Nous avons essayé de sauver la grand-voile, cela s’est avéré impossible, il n’y avait plus qu’à couper, couper, … et couper. Nous avons réussi à dresser la bôme en confectionnant un palan ramené au winch, Yvan tirait, moi je poussais. Puis nous avons monté le génois cul en l’air, le bas de la voile sanglé au balcon avant comme une espèce de sac. Le point d’écoute était tangonné en l’air. » L’eau potable menaçait de manquer, deux autres bateaux de la course se sont déroutés pour leur passer des bidons et dix jours se sont écoulés comme cela, « poussés par les vents », à des moyennes qui pourraient satisfaire plus d’un voilier de croisière mais terriblement frustrantes lorsqu’on est venu là pour régater et qu’en Martinique les arrivées se succèdent.

L’aventure a carrément viré à la punition lorsque les réserves de méthanol (pour la pile à combustible) et de gasoil (pour le moteur) ont commencé à se raréfier : plus de pilote automatique pour les cinq derniers jours et l’obligation de se relayer à la barre sans relâche. Atterrissant en Martinique avec à peine plus de carburant que le nécessaire pour franchir la ligne (illusoire de tirer des bords dans le chenal du Marin sous gréement de fortune), les deux grands lascars sont sortis marqués et amaigris de l’épreuve. « Cela donne la rage », conclut Marc Buntschu, « car cela fonctionnait bien à bord et nous nous entendions bien dans l’équipage. Nous étions en tous cas bien contents d’arriver et de voir la terre ferme !»