« Nous avons la quasi-certitude que l’acidité moyenne des océans sera multipliée par trois d’ici 2100. Le pH de l’eau pourrait ainsi s’abaisser de 8,1 à 7,8, voire 7,7, avec un impact majeur sur tous les organismes marins (plantes et animaux) qui possèdent un squelette, une coquille ou une structure calcaire, car ils seront dissous par l’acidification. » Spécialiste mondial de l’acidification des océans, dont la réalité est apparue au milieu des années 90, Jean- Pierre Gattuso, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’Océanographie de Villefranche-sur-Mer, est catégorique : « Il n’y a qu’un seul remède à ce phénomène : la diminution des quantités de CO2 rejetées dans l’atmosphère. Le réchauffement climatique et le processus d’acidification ont en effet en commun d’être provoqués par la même cause, les océans absorbant environ un quart du CO2 émis dans l’atmosphère. »

vie marine couché de soleil
© Jürg Kaufmann

Mais quelle relation y a-t-il entre absorption de CO2 et acidification des océans ? Pendant longtemps les chercheurs ont pensé que la dissolution de CO2 dans l’eau de mer n’aurait aucun impact majeur. Jusqu’au jour où ils ont constaté qu’il n’en était rien : la baisse du pH entraîne, notamment, une diminution de la quantité d’ions carbonates, un élément constitutif de la structure calcaire dont nombre d’organismes marins (coraux, huitres, moules, etc.) ont besoin pour exister.

vie marine corail
© Christophe Migeon

Un phénomène qui s’accélère

A la chimie altérée des eaux s’ajoute un facteur aggravant : la rapidité avec laquelle l’acidification a lieu. S’il a été établi que l’acidité des océans avait augmenté de 30% (baisse du pH de 8,2 à 8,1) depuis 250 ans, soit depuis le début de l’ère industrielle, le phénomène serait en train de s’emballer avec une multiplication par trois d’ici 2100, selon des simulations. « Soit à une vitesse 100 fois plus rapide que ce qui s’est produit naturellement au cours des 300 derniers millions d’années », souligne Jean-Pierre Gattuso.

Afin d’étudier les effets de l’acidification des océans, le chercheur français s’est notamment intéressé à l’évolution des coraux profonds, situés à des profondeurs de 100 à 700 mètres. « Ils sont, par exemple, très présents le long des côtes norvégiennes et écossaises. Ce sont des structures tridimensionnelles, en forme de monticules pouvant atteindre plusieurs mètres, caractérisés par un nombre très important d’anfractuosités. Ces dernières abritent une biodiversité considérable, une véritable nursery pour les poissons ou les invertébrés, comme les oursins. Cette structure est composée de squelettes de coraux sur lesquels pousse le corail vivant. En s’attaquant aux squelettes, l’acidification des eaux va les dissoudre et provoquer un effondrement de ces structures, avec pour corollaire un appauvrissement dramatique de la biodiversité. Si nous savons que cette dissolution aura bien lieu – il n’y a aucune ambiguïté à ce propos –, nous ne savons pas quand : ce pourrait être le cas à l’horizon 2080-2100 ».

C’est pourquoi les scientifiques ne cessent, depuis une quinzaine d’années, de tirer la sonnette d’alarme, sans que la communauté internationale ne se soit particulièrement émue jusqu’ici de « cet autre problème du CO2 ». Les chercheurs, de leur côtés, poursuivent leurs investigations et affinent leurs outils d’analyse. C’est ainsi que Genève a accueilli en janvier dernier une conférence ministérielle (90 Etats participants) dont l’objectif était notamment de mieux coordonner l’activité des stations d’observation et de les doter de nouveaux outils permettant d’étudier les variables biologiques liées à l’acidification.

Protéger prioritairement les zones côtières

La compréhension du phénomène avance, indéniablement. Mais quelles parades peut-on envisager ? « La réponse principale, et quasiment unique, réside dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre, insiste Jean-Pierre Gattuso. Mais des efforts localisés, notamment dans les zones côtières qui sont les plus utiles à l’homme (ndlr pour la pêche et tourisme notamment), peuvent contribuer à diminuer le stress et à accroître la résilience des milieux concernés ». C’est pourquoi le scientifique plaide pour le développement des réserves marines protégées, sachant que ces écosystèmes résistent mieux aux agressions, qu’elles résultent de la hausse de la température de l’eau ou de l’acidification. Il met également le doigt sur l’impact catastrophique des eaux usées non traitées : « Elles contiennent du carbone organique qui est utilisé par les bactéries et rejeté sous forme de CO2, ce qui a pour effet de renforcer localement l’acidification des eaux. Les stations d’épuration permettent de maîtriser ce phénomène ; mais si elles sont nombreuses le long de la côte nord de la Méditerranée, ce n’est pas le cas sur sa côte sud ! ».

Pas de remède miracle, si ce n’est la réduction drastique des émissions de CO2. L’homme, avec ses émissions de CO2, est le responsable principal de l’acidification des océans. Or, dans l’océan tout est connecté, de bas en haut de la chaîne alimentaire. C’est donc, à terme, non seulement les ressources marines qui risquent d’être gravement affectées, mais également toutes les activités humaines qui y sont liées.