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500 bateaux pour un ruban bleu

Disputée pour la 54e fois cette année,
la course «Rund Um den Bodensee» possède une longue tradition. Aujourd’hui, elle est la plus grande régate sur le lac de Constance. Près de 500 bateaux se disputent le ruban bleu, si convoité.
Pour retrouver les origines de la Rund Um, il faut se plonger dans les années précédant la première guerre mondiale. C’est à ce moment là, qu’a lieu la première régate entre Bregenz et Constance. «40 ans plus tard, quand les associations de voile du lac ont commencé à reconstruire leurs effectifs en faisant d’énormes efforts après l’effondrement du pays, le Lindauer Segler-Club s’est inspiré de l’idée de cette première compétition tout en élargissant le parcours autour du lac». Voilà comment les archives de la Rund Um de 1954 présentent les débuts de cette course.
La vraie première Rund Um date de 1951. Lors d’une rencontre des clubs de voile de la région, la proposition de Lindau d’organiser une course tout autour du lac a rencontré un vif succès. Meersburg et Überlingen étaient prêts à soutenir le projet. Quelques années plus tard, la bouée la plus distante était placée à hauteur du Bodensee-Yachtclub Überlingen. Le Yachtclub Meersburg, se chargeait de remettre une bouteille du «meilleur Meersburger» à chaque bateau qui passait la bouée devant la ville.

La souveraineté du lac appartenant à l’époque, à l’armée française, il fallait leur demander une autorisation afin d’organiser une
course nocturne. Bien que le départ était prévu à 8 heures du matin, il était probable que la régate allait se terminer tard dans la nuit. Quatre jours après réception de la demande écrite, l’adjudant de la Gendarmerie Maritime à Constance donnait le feu vert. La douane avait également son mot à dire. Elle édictait toute une série de prescriptions pour le trafic douanier par bateau, l’équipement, les provisions et l’équipage.

Le 16 juin 1951, tout était prêt. 50 bateaux (dont 10 Suisses) s’étaient inscrits pour se disputer le ruban bleu et 45 se sont finalement retrouvés au départ. A l’époque, il se faisait encore par groupes et par intervalles
de 5 minutes. Après une lutte acharnée, c’est le 8 MJI Bayern II du LSC (année de construction 1911) qui s’est imposé à l’arrachée juste avant la ligne d’arrivé à Lindau, au milieu de la nuit. Pour en arriver là, il a d’abord fallu rejoindre Meersburg à coup de longs bords de près et sous un vent d’ouest. Le Bodan II du Überlinger Yachtclub avait vite rattrapé le retard accumulé lors du deuxième départ et rapidement distancé son plus grand concurrent, le Bayern II. L’après-midi, un vent de nord-est s’était levé sur le du lac d’Überlingen et avait rapproché la flotte jusque-là disséminée. Le Bodan, un croiseur national de 75 m2, passait la bouée d’Überlingen en premier, suivi de près par le Bayern. «Sur le tronçon jusqu’à Romanshorn, nous n’avions pas réussi à gagner du terrain», se souvient Konrad Weyerich, alors membre d’équipage à bord du vieux 8 MJI. Vers 18 heures, le Bodan a passé la bouée au large de la côte Suisse, suivi un quart d’heure plus tard par son plus grand concurrent. Mais le vent perdant continuellement sa force permettait au Bayern de remonter. «A hauteur de Wasserburg, nous naviguions tête-à-tête avec le Bodan», raconte Weyerich. Le Bodan continuait à longer la côte tandis le Bayern avait opté pour le vent du sud plus au large. Cette option devait effectivement s’avérer être la bonne. «Lentement, mais sûrement, la lumière du Bodan s’éloignait derrière nous pour disparaître
dans la baie de Schachen». Après 14 heures, 33 minutes et 58 secondes, le Bayern et ses cinq équipiers autour du barreur
Werner Kinkelin, ont franchi la ligne. A cause du départ en groupe, ils devaient toutefois
encore un peu patienter pour savoir s’ils avaient aussi gagné la course. Cachant à peine leur impatience, les navigateurs observaient le lac sombre. Pendant les cinq minutes qui suivaient leur arrivée, aucun autre bateau n’est apparu à l’horizon. Le Bayern avait bel et bien remporté la première Rund Um! Douze minutes plus tard, le Bodan l’avait rejoint.

1952: Départ à Romanshorn

En 1952, le Bodan a pris sa revanche. Pour cette deuxième édition, on avait déplacé le départ à Romanshorn par égards aux bateaux stationnés dans la partie ouest du lac. «Un vent de sud ouest se renforçant, associé à de violentes rafales de pluie mettaient
les bateaux et leurs équipages à rude
épreuve. Ils n’étaient pas tous à la hauteur et on dénombrait plusieurs démâtages. Dans ces conditions, les croiseurs de 75 m2 pouvaient
montrer tout leur potentiel», résumait les archives de la course. Au vu de la météo orageuse, le comité avait décidé de raccourcir
le parcours et de placer la dernière bouée à Langenargen. Au retour, le Bodan II s’est montré le plus rapide. Il est arrivé à Romanshorn loin devant ses adversaires. Mais le parcours raccourci n’avait pas fait que des heureux: Lindau n’a pas vu un seul bateau, même si elle avait organisé toute la Rund Um!

1953: Premier départ du soir

En 1953, la Rund Um était pour la première fois nocturne. Son départ était donné à Lindau. Le comité d’organisation avait pris cette décision non seulement à la suite des problèmes techniques rencontrés lors de l’arrivée dans l’obscurité, mais également à la demande de nombreux participants souhaitant
naviguer de nuit. Le 19 juin 1953 à 19 heures précises, par un vent très léger, les premiers bateaux participants
se sont mis en route. Parti avec la deuxième série, Audifax, un 6 MJI, a remonté toute la flotte pour se frotter au Bayern. «Le passage de la première bouée à Romanshorn se faisait encore dans l’obscurité,
mais au petit jour, quand on pouvait de nouveau distinguer la position des bateaux, il n’y avait plus aucun doute: à l’entrée du lac d’Überlingen, l’Audifax pointait en tête», rapporte
la chronique. Le skipper Kurt Panizza a passé la bouée au large d’Überlingen avec une heure d’avance sur le Bayern. Même la pétole à hauteur de Meersburg ne pouvait plus le freiner. Après 22 heures et 20 minutes,
l’Audifax était le premier à l’arrivée.

Un regard critique dans la cale

«Un magnifique soleil de juin, une bonne brise, des bannières de course flottant au vent, accrochées aux mâts qui se dressent fièrement dans le ciel, la foule haute en couleur parmi laquelle se pressent les barreurs et les équipiers – plein d’ardeur et non dépourvus d’un certain orgueil, reconnaissables à leurs habits bleus ou blancs – hissant les derniers sacs à bord, jetant un dernier regard critique dans les haubans, inspectant, un peu moins ostensiblement, une dernière fois leur sac à provision et la cale, trop occupés pour écouter les derniers conseils et les vœux de ceux qui resteront à terre; le déclic des appareils photo, le doux ronronnement de quelques caméras, la musique diffusée par les haut-parleurs, interrompue par les annonces du comité de course – et enfin le signal préparatoire poussant la tension à l’extrême et chassant les retardataires de leur place d’amarrage dans la confusion des voiles blanches devant la ligne. L’atmosphère si particulière et l’effervescence régnant dans le port juste avant le début de cette grande course nous gagne chaque année à nouveau».
Ces lignes décrivant l’ambiance dans le port de Lindau avant le départ de la Rund Um ont été mises sur papier il y a tout juste 50 ans par un auteur inconnu. A l’époque, on comptait «seulement» 60 bateaux participants.

Entre bonheur et calvaire

Les joies et les peines d’un navigateur
«Comme d’habitude, l’eau s’est frayé un chemin à travers mon col jusqu’aux pieds», se souvient Stephan Frank et d’ajouter: au moins, elle ne pouvait pas s’accumuler dans les bottes puisque je les avais oubliées à terre». Stephan Frank ne figure pas sur la liste des vainqueurs du ruban bleu, mais il participe depuis des années à la Rund Um. Il n’est pas le seul. Chaque année, 2500 autres passionnés prennent le départ de cette course légendaire. Peu importe les conditions. Tempêtes, pétole, pluie ou soleil
– les navigateurs sont fidèles à leur rendez-vous annuel sur le lac de Constance.

Frank se souvient d’une Rund Um marquée par un vent d’ouest soufflant jusqu’à 6 Beaufort. Au départ déjà, sa foquière souffrait du mal de mer et à la hauteur de Lindau, rien n’allait plus: «je suis assis à la barre sur l’étrave tribord et retiens la fille pour qu’elle reste à bord et pour empêcher que la saucisse atterrisse dans le bateau. Il faut savoir que la flotte qui reçoit le vent de tribord a la priorité. A trois heures du matin, nous étions transis de froid». «Pourquoi est-ce que chaque année, je m’impose ce froid et cette fatigue?», se demande Stephan Frank. S’il existait une bonne fée qui promettrait un bon lit chaud et sec en échange du bateau peu avant le lever du soleil, elle posséderait aujourd’hui la moitié de tous les voiliers du lac», assure-il.

Il existe pourtant de bonnes raisons pour réitérer l’expérience et participer année après année à la Rund Um. Le visage de Frank s’illumine quand il évoque sa première «victoire». C’était à l’époque où il naviguait encore sur Folkeboot et semblait être abonné à la lanterne rouge. Il naviguait au large de Langenargen quand il aperçut un autre Folkeboot. «Pendant des heures, nous nous trouvions côté à côte et nous savions tous que celui qui aura une longueur de retard sur son concurrent à Lindau terminerait dernier!». Pour la première fois, Stephan Frank ne se classait pas à la dernière, mais à l’avant-dernière place!

Bien des années plus tard, Stephan Frank, à la barre d’un 5 MJI, franchissait la ligne d’arrivée deux secondes devant son voisin de ponton. Mais ce dernier menait un cruiser national de 45m2 et aurait dû être de retour au port depuis longtemps. «Pour comprendre ce que je ressentais à ce moment-là, il faut avoir vécu la Rund Um avec tous ses moments de bonheur et de calvaire», précise Frank. La date de la prochaine Rund Um figure depuis longtemps dans son agenda.

L’art du départ

«Dans une régate de longue distance, il est essentiel d’être le premier à l’arrivée», expliquait autrefois un dictionnaire nautique pas très sérieux! Il est tout aussi important de partir en pole position – ce qui est un grand art, dans la voile encore plus que dans d’autres disciplines». C’est une réalité, les navigateurs le savent. Beaucoup de régates se jouent effectivement au départ.

Toutes les cinq minutes, on envoyait une poignée de bateaux sur le parcours. «Dans ce petit espace, il est tout simplement impossible de faire partir tous les bateaux participants en même temps», pouvait-on noter en 1954. A l’époque, on comptait 59 bateaux repartis en quatre groupes dont les départs avaient lieu successivement. Chaque bateau se voyait d’ailleurs attribuer un numéro de rappel qui permettait d’indiquer un faux départ. Les embarcations les plus grandes et plus lourdes de cette époque participent toujours à la course, les stars beaucoup plus maniaales sont depuis longtemps hors course.

Année après année, le nombre de participants ne cessait d’augmenter. Bientôt, 200 à 300 bateaux s’alignaient pour la Rund Um, partant toujours en plusieurs groupes. Une entreprise importante, qui s’avérait pourtant parties: les petits bateaux partaient au large de Langenargen et se disputaient le «petit ruban bleu». La première bouée était placée au large de Lindau, à la grande joie des spectateurs qui pouvaient observer la flotte encore compacte de près. Ensuite, il fallait rejoindre Romanshorn et revenir à Lindau.

Le record de participation absolu a été établi en 1991: 560 voiliers se sont donnés rendez-vous. La séparation en deux groupes – il y avait deux régates avec une remise de prix – n’a cependant pas fait ses preuves. Dès 1992, tous les équipages partaient comme auparavant, à Lindau. Le départ successif en groupe a également été sujet de discussion au début des années huitante. Lorsque les bateaux partent à des intervalles de 30 minutes, les conditions de vent peuvent fortement varier d’un groupe à l’autre. On proposait alors de passer à un départ collectif comme au Bol d’Or. 1982, quand Dr Andreas Lochburrner accédait à la présidence du comité de course, la Rund Um commençait pour la première fois par un départ en masse.

Vingt ans plus tard, en 2002, avait lieu le premier rappel collectif dans l’histoire de la Rund Um. 480 équipages briguaient la «pole position». Juste avant le signal de départ, le vent est tombé et des centaines de bateaux ont franchi la ligne trop tôt. Heribert Hostenkamp, le directeur du comité de course, était obligé de faire un rappel collectif. Mais jusqu’à ce que le dernier équipage ait compris ce qui se passait, le temps réglementaire déjà écoulé. Lors du deuxième signal de départ, les bateaux se trouvaient pêle-mêle des deux côtés de la ligne. Mais ce chaos n’avait pas d’influence sur le résultat final, puisque seulement douze équipages étaient de retour dans la limite de temps, c’est à dire 24 heures après le signal de départ.

Un record convoité, toujours à battre

La météo souvent capricieuse joue un rôle décisif. Il a toujours été quasi impossible de prévoir à l’avance qui allait gagner la Rund Um. La pétole avantageait les uns, le vent fort les autres, sans parler de l’importance de la direction du vent. Lors des trois premières éditions du début des années cinquante le lac de Constance allait montrer ses différentes facettes en l’espace de 24 heures! Les années se suivaient et ne se ressemblaient pas – tout comme les vainqueurs: en 1951, c’était le 8 MJI Bayern II du LSC (avec Werner Kinkelin) qui remportait la course, l’année suivante le cruiser national de 75m2 Bodan du Bodensee-Yachtclub Überlingen, en 1953 le 6 MJI Audifax (avec Kurt Panizza du LSC). Trois courses, trois vainqueurs, résumait la chronique en 1954. Une série qui n’était pas prête de s’arrêter. En 1954 toujours, le haut du tableau était occupé par Föhn, un cruiser de 75 m2 (Dr Fritz Rebholz). Hans Bauer du Konstanzer Yacht-Club, était le premier concurrent à réussir à défendre son titre. Son bateau, le Skagerrak, également un cruiser national de 75m2, participe encore aujourd’hui à la Rund Um, tout comme le Bayern. En 1957, le ruban bleu était décroché par Benny, un Schärenkreuzer de 75m2, barré par Hans Behr (du YC Meersburg, resp. LSC) et en 1964, apparaissait pour la première fois le nom d’Argo, un autre Schärenkreuzer de 75 m2 (barré par Helmut Vetter) tout en haut de la liste. Ces sept noms représentent les bateaux qui ont gagné les vingt premières éditions de la régate. Le Bayern II a réitéré son exploit en 1970. «Quand on mène le bal, c’est toujours l’euphorie », se réjouit le skipper Dr Rainer Niemann, 25 ans après sa superbe victoire sur son 8 MJI, âgé à l’époque de 60 ans. «Les Schärenkreuzer étaient déjà optimisés avec des génois de 100 m2 et ne nous laissaient aucune chance – sauf s’ils prenaient la mauvaise option après le départ», ajoute-t-il avec un large sourire. Un orage s’était abattu sur le lac peu avant le départ, suivi par un calme plat. Les différents groupes se sont alors mélangés. Profitant de la première brise, le Bayern II a pris le large. A Romanshorn, il avait un quart d’heure d’avance sur la flotte. «Suivait un bord de près à devenir fou». Derrière Eichhorn, le Föhn remontait dangereusement. Niemann ne se laissait pas prier deux fois et mettait la vitesse supérieure. Au large d’Überlingen, longtemps après minuit, il avait finalement repris son avance. Sa position de leader, le barreur n’arrivait pourtant pas à l’apprécier à sa juste valeur, la faute à la rosée de nuit: «Tout était humide. Le vieux spi en coton pendait comme un sac de charbon». Equipé d’un spi de 180m2 en nylon, le Föhn tirait des bords au large de Meersburg, tandis que le Bayern avait opté pour le large. «Nous nous sommes éloignés et avons perdu de vue nos adversaires cachés dans la brume», raconte Niemann. Le vent, très instable, changeait sans cesse de force et de direction, mais «ça allait toujours». Peu après midi, le Bayern franchissait la ligne, aucun autre concurrent à l’horizon. Le Föhn suivait une heure plus tard, le Benny et l’Argo avait deux heures de plus au compteur. Avec 6 heures et 44 minutes, le même Benny allait établir trois ans plus tard (en 1973) un nouveau record qui devait durer 26 ans!

Une seule fois, les spécialistes étaient relativement sûrs quant au diagnostic du vainqueur. Et ils ne s’étaient pas trompés. En 1981, Eckart Wagner, fondateur de North-Sails Allemagne, s’était aligné avec un trimaran. Wagner est venu, a vu et a vaincu. Dès le départ, il avait pris la tête pour ne plus la lâcher. A l’arrivée, il comptait une heure d’avance sur le peloton. Derrière lui, on observait une lutte acharnée entre «oldies» et «modernes». Les multicoques quant à eux, n’étaient dorénavant plus admis à la Rund Um.
1984 sonnait la fin de l’ère des bateaux classiques victorieux de la Rund Um. Cette année-là, l’Argo, certes quelque peu modernisé et équipé de trapèzes, avait remporté pour la dernière fois la régate mythique du lac de Constance. Les vétérans sont toujours de la partie, mais ils ne se battent plus pour la victoire. En 1986, le record n’a échappé que de très peu à l’assaut de Vincent Hoesch sur Garfield. «C’était un Toucan optimisé, avec un mât long de 18 mètres et un spoiler collé», se souvient Hoesch, détenteur de plusieurs titres de champions du monde et d’Europe. Nous avions réussi cet exploit uniquement parce qu’il n’y avait qu’un virement à effectuer et que la concurrence s’était trompée de bouée». Deux ans plus tard, un tout nouveau Asso 99 remportait la Rund Um à sa première tentative. A bord du Gnezl III, Cornelius Wiedemann du LSC, qui naviguait pour l’occasion avec le champion olympique Eckard Diesch (1976 en tant que foquier dans le FD de son frère Jörg), n’était également pas loin du record.

Depuis, la victoire est une affaire des Liberas, qui apparaissent depuis maintenant 15 ans dans le haut du tableau des vainqueurs: Achim Salcher a gagné cinq fois, l’Autrichien Joschi Entner a remporté sa sixième victoire en 2003. Seul Gerhard Müller du lac de Starnberger (1996) et le Suisse Willi Sauter (1997) ont réussi à interrompre cette série fantastique. Il ne faut pas oublier l’exploit du héros local de Lindau, Lukas Hummler, qui, en 1999, alors que la Rund Um avait été déplacée en septembre pour cause de crue, avait établi un nouveau record (5 heures et 36 minutes). Il avait mené la course pratiquement depuis le début, quand Müller le devançait à hauteur de Nonnenhorn. 100 mètres devant la ligne, Hummler positionnait toujours à la deuxième place. C’est alors que son adversaire a pris une mauvaise option permettant à Hummler de franchir la ligne en vainqueur. Le record n’était pas de longue durée. L’année suivante, en 2000, il a été pulverisé par Joschi Entner avec un temps de 5 heures, 4 minutes et 3 secondes.

Entre tempêtes, chaos et détresse

Depuis ses débuts, la Rund Um s’est toujours distinguée par des intempéries et des tempêtes. Dans sa deuxième édition déjà, le vent soufflait si fort que les dégâts étaient nombreux. On dénombrait des démâtages en série et d’autres incidents beaucoup plus graves. Jusqu’en 2001, quand une perturbation pronostiquée avec précision a traversé le lac de Constance, d’innombrables intempéries et avaries avaient défrayé la chronique.
C’est ainsi que l’Argo, un cruiser national de 75m2, ne rappelle pas seulement des victoires, mais également des souvenirs plus douloureux, comme cet accident mortel en 1978. Cette année-là, un violent orage s’était abattu sur la flotte. L’Argo s’est mis de travers, un homme a passé par-dessus bord et s’est noyé. Sur la route de Friedrichshafen à l’arrivée à Lindau, un autre bateau s’est retrouvé nez à nez avec un orage. Lors d’un empannage, trois marins ont été catapultés de la bôme dans les flots et se sont noyés. Ne possédant que très peu d’expérience nautique, le jeune navigateur n’a réussi à ne sauver que sa propre peau et le bateau. En 1957, un Jollenkreuzer n’a échappé que de très peu à la catastrophe. Une violente tempête de force onze balayait le lac. Le bateau n’a pas résisté. L’équipage d’un dragon avait aperçu le chavirage dans la lueur d’un éclair et pu venir à la rescousse des naufragés.

En 1971, alors que le 6 MJI Taiout se trouvait sur la dernière ligne droite, le vent s’était renforcé brisant le mât tout neuf. Le bateau a donc franchi la ligne sans mât ni voiles, mais le comité avait décidé de le classer malgré tout. A peine passé la ligne, un bateau à moteur lui a porté secours.

La Rund Um 2001 a commencé avec la pétole et s’est achevée avec… la pétole. Entre deux, tempête, chaos et détresse ont secoué les participants. «Le lac de Constance montre aux navigateurs son vrai visage», pouvait-on lire après la course à la Une du journal de Lindau (LZ). Le service météo avait annoncé le passage d’un front froid accompagné de rafales jusqu’à 8 Beaufort l’après-midi et des averses dès 20h. Ces prévisions devaient s’avérer justes. Peu avant neuf heures, un mur noir a traversé le lac et une tempête avec des vents jusqu’à 9 Beaufort s’est déchaînée. La flotte se trouvait alors entre Wasserburg et Arbon et la plupart des 480 équipages avaient affalé leurs voiles à temps. «Des bateaux se percutaient, coulaient, s’échouaient, démâtaient et déploraient des voiles déchirées», rapportait Manfred Weidlich de la police du lac de Lindau dans une interview à la LZ. Selon lui, les balises de détresse tirées par les navigateurs avaient crée un petit feu d’artifice au-dessus du lac. Le Libéra Suisse Carondimonio a chaviré, l’équipage était sauvé par les pompiers de Lindau. Une autre embarcation a coulé, 14 hommes, parmi eux un garçon de 11 ans, ont passé par dessus bord. Deux heures plus tard, tout était fini. «Si les services de secours, les gardes du lac et les pompiers n’étaient pas intervenus sur tout le territoire et n’avaient fait preuve d’une collaboration transfrontalière exemplaire, les participants ne se seraient pas tirés à si bon compte» résumait Weidlich.

Seulement un tiers des bateaux au départ ont franchi la ligne d’arrivée, beaucoup sont resté coincés dans la pétole qui avait suivi la tempête. Dans le journal local, le vainqueur Joschi Entner qualifiait cette épreuve d’une des courses les plus dures qu’il n’ait jamais disputé. Le héros local Lukas Hummler, deuxième avec près de trois heures de retard, disait, laconique: «Un bon navigateur doit pouvoir faire avec!».

Après la Rund Um 2001 très agitée, les prescriptions de sécurité ont été renforcées. Mais contrairement à l’édition précédente, celle de 2002 est entrée dans les annales par son manque de vent.

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