Les départs sous les fenêtres de la cité du Bailli de Suffren sont toujours très animés : c’est très intense pour les équipages... et splendide pour le public massé sur la digue de Saint-Topez d’où on ne rate rien du spectacle ! © Carlo Borlenghi

Juin 2011, ciao San Remo, forza Genova… Que nous réservera la prochaine Giraglia qui fêtera son soixantième anniversaire au début de l’été 2012 ? Cette grande classique, inventée peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale fut, au départ, organisée avant tout pour des raisons diplomatiques. Les relations entre la France et l’Italie étaient notoirement distendues après quelques navigations bellicistes sur des bords opposés.

En 1953, l’Italien Beppe Croce, ex-président du Yacht Club Italiano et de la voile mondiale (IYRU), avec son complice français René Levainville (Yacht Club de France), eurent l’idée de lancer cet événement sportif pour rabibocher les deux peuples mitoyens : « Au départ, l’ambition était de rassembler les yachtmen des deux nations, mais également de renouer des liens avec leur marine de guerre », explique Philippe Court, l’actuel président du Yacht Club de France, qui ajoute avec malice : « Cette course est symbolique des valeurs maritimes auxquelles nous sommes attachés. A sa façon, la Giraglia a marqué le début de l’union européenne… »

La course connut des fortunes diverses : différents ports de départ et d’arrivée, un sens de rotation inversé, sans jamais oublier cependant de contourner le rocher au nord du Cap Corse auquel elle doit son nom. Elle vécut même une certaine désaffection pendant quelques années.

Mais, depuis 1997 et l’implication de Rolex pour parrainer cette grande classique méditerranéenne, la Giraglia a retrouvé son lustre et l’élégance du yachting d’après-guerre. Elle a aussi pris de l’épaisseur grâce à un programme préliminaire de trois jours de régates inshore (en baie de Saint-Tropez) qui a rencontré son public. Cela plaît autant aux amateurs qui peuvent profiter des soirées people, incomparables lorsqu’elles sont organisées en ce lieu de légende, qu’aux professionnels qui multiplient ainsi les opérations promotionnelles…

Dans la vie d’un marin, il y a quelques marques de parcours mythiques : le Cap Horn pour les « tourdumondistes », le Fastnet, cher aux inconditionnels de la semaine de Cowes et... la Giraglia, qui est un peu l’Everest des régatiers méditerranéens. © Carlo Borlenghi

Exemple : pendant que Leonardo Ferragamo, nouveau propriétaire de Nautor, chantier constructeur des Swan, régate sur son 42 pieds Cuor de Léone, Ettore Mattiello son « dir’ com » promène de gros investisseurs invités par le Credit Suisse à bord de Solléone, le somptueux et très confortable 90 pieds (28,50 mètres) qui allie carbone et bois précieux, voile composite et air clim dans les cabines ! Ce type de manifestation gagnante-gagnante réjouit autant les commerçants que les propriétaires de yachts privés ; « les invités de la banque passent des journées inoubliables et nous, nous augmentons, à bon compte, notre listing de clients potentiels », confie le responsable commercial de Swan.

Paradoxalement, ceux dont la voile n’est pas le métier, expriment un avis tout aussi positif.

« Ces trois jours de régates côtières permettent de nous régler et de nous étalonner face aux plus grands régatiers professionnels. Dans la journée, nous affrontons des barreurs de la Coupe de l’America ou des J.O. et le soir, on se retrouve tous à boire des coups dans les bistrots du port », avoue le PDG d’un groupe industriel, propriétaire d’un yacht de 19 mètres qui souhaite garder l’anonymat : « Quand mes clients lisent mon nom dans les journaux, ils pensent que je ne travaille pas sur leurs dossiers… Pourtant, après la semaine de la Giraglia, je me suis lavé la tête et je suis donc beaucoup plus efficace pour régler leurs problèmes. »

 

Victime de son succès

La formule plaît incontestablement, même si au plan sportif, le système de classement en temps compensé calculé selon l’IRC, conduit parfois à des résultats hiératiques. En temps réel, le record établi en 2008 par l’ex Alfa Roméo, un maxi extrême construit pour le Néo-zélandais Neville Crichton, tient toujours ; 18 heures, 3 minutes et 15 secondes pour couvrir les 243 milles séparant Saint-Tropez de San Remo. Désormais rebaptisé Esimit Europa 2 par son nouveau propriétaire slovène Igor Simcic, le long cigare de carbone purement dédié à la course, avec sa quille pivotante et ses ballasts, a encore eu les honneurs de la ligne tracée cette année au large de Gènes.

© Carlo Borlenghi

Mais ce sont les petits ratings qui ont triomphé en temps compensé, à l’image du X 372 Foxy Lady des frères Dominique et Michel Heyraud, grands vainqueurs devant le… Sun Fast 37 de Bertrand Capdevielle !

La cohabitation entre des unités d’à peine 10 mètres et des voiliers géants dépassant parfois les 35 mètres, implique des conditions de course très différentes. Et le rocher de la Giraglia constitue souvent un redoutable passage à niveau : soit les premiers le contournent avec du vent, tandis que la brise s’évanouit pour les poursuivants… ou le contraire, provoquant alors de spectaculaires regroupements !

« Le format actuel de l’épreuve, avec trois jours de régates côtières et la course longue, est satisfaisant. Mais évidemment, il y a de sacrées différences de vitesse entre les bateaux, et le classement est forcément influencé par la météo, comme toujours dans ce type d’épreuve », reconnaît Carlo Croce, président de la Fédération Italienne de voile et du Yacht Club Italiano, co-organisateur de cette course créée par son père.

Ces aléas du classement en temps compensé ne découragent pas les inconditionnels de cette épreuve désormais légendaire : « C’est la plus grosse manifestation de début de saison pour nous ; elle marque superbement le début de l’été et cela grossit année après année, mais le coté convivial qui fait son charme est préservé », constate Claude Maniscalco, directeur de l’office du tourisme de Saint-Tropez.

Avec plus de 200 unités inscrites (209 dans l’édition 2011), la grand classique pourrait être victime de son succès et il faudra peut-être contingenter les engagés à l’avenir : « Notre limite est le nombre de places disponibles dans le port. Il faudra peut-être un jour envisager d’amarrer les participants dans des marinas voisines », confie André Beaufils, président de la Société Nautique de Saint-Tropez.

Dès l’automne, Italiens et Français se réuniront pour caler les modalités de l’édition 2012 qui pourrait se tenir entre le 23 et le 30 juin (en tous cas, après les 24 heures du Mans, afin de ne pas diviser l’espace médiatique de ces deux événements soutenus par le même partenaire).

Nul doute, en tous cas, que la soixantième édition bénificiera d’un traitement très particulier : « Nous pensons à un parcours modifié pour la circonstance. Nous envisageons une nouvelle marque de parcours aux îles de Lérins. Contourner Sainte-Marguerite et entraîner, ainsi, toute la flotte en baie de Cannes donnerait à cette épreuve-anniversaire un lustre particulier », nous révèle encore Carlo Croce. Un véritable festival pour cette vénérable épreuve, à l’attaque de son troisième âge.