Michel Marie

«En treize ans de mariage, nous avons déménagé vingt-cinq fois, la plupart du temps entre la Nouvelle-Zélande et l’Europe». Michel Marie est un des travailleurs qui font l’histoire de l’America’s Cup. A 41 ans, ce père de trois enfants a déjà connu cinq éditions. Victorieux en 2003 avec le Team Alinghi, le Français connaît le sentiment rare et «agréable» de faire partie d’une équipe gagnante. Originaire de Bayeux, en Basse-Normandie, ce fils d’agriculteurs n’était pas forcément destiné à embrasser une carrière de marin. Dans le petit bureau qui surplombe la base «provisoire» du Real club Nautico de Valencia, l’homme est pourtant comme un poisson dans l’eau.

A 7 km d’Omaha Beach, la célèbre plage du débarquement du 6 juin 1944, la ferme familiale ne donnait pas sur la mer. Elle avait cependant l’avantage d’être située près d’une zone inondée en hiver. «J’ai appris à naviguer, par mes propres moyens. J’ai construit mes premiers bateaux en regardant des photos de voiliers». Cette envie de naviguer, ce sens technique et cette propension à la débrouille mènent logiquement le jeune homme à la course au large: «j’ai commencé à régater à 18 ans». En 1982 et 1983, il passe toute la campagne du RORC à bord d’un Half Tonner IOR.

Son diplôme professionnel de mesure physique en poche, Michel Marie travaille au «quality control» de l’entreprise Moulinex. Ses premiers salaires lui servent à financer et à construire son mini. La Mini Transat le voit traverser l’Atlantique en solitaire pour la première fois. Il termine 17e sur les 35 solitaires engagés. «Ma motivation a été de courir, mais aussi de construire et de dessiner mon propre bateau».

Aujourd’hui, Michel Marie n’a plus de bateau à lui. Mais à force de les avoir tant bichonnés, améliorés et d’avoir pu «fournir les bateaux à l’heure jusqu’à la victoire», l’homme est un «papa» incontournable de SUI64 et de SUI75, les Class America vainqueurs de la campagne 2003. Responsable des opérations, il coordonne une équipe de trente personnes représentant une dizaine de disciplines techniques. «Nous travaillons comme des mécaniciens de Formule 1, cachés derrière notre casque dans le pit stop». Des spécialistes du composite aux maîtres voiliers, en passant par les électroniciens, les gréeurs et les conducteurs de chase-boat, tout ce qui permet un entretien complet des bateaux et la sécurité des équipages fait partie du Shore Crew. Oiseaux de nuit par excellence, les membres de l’équipe travaillent «pendant que les bateaux ne naviguent pas». Leur cauchemar? «Disons que la régate se passe bien et que le barreur se rate en entrant sous la grue et éclate la jupe arrière. Pour l’équipe à terre, c’est une soirée ruinée»!

Aux membres du Shore Crew s’ajoutent des dizaines de sous-traitants. «Nous avons toujours entre 5 et 10 pièces en construction, partout dans le monde». Il faut agender les commandes et le retour des pièces. «Aucune ne sera installée sur le bateau de course avant d’avoir été testée sur le mulet». Ce travail minutieux implique l’établissement d’un agenda technique qui concerne le Team Alinghi dans son intégralité. Voilà une tâche supplémentaire pour Michel Marie, qui s’intègre ainsi, de fait, dans les arcanes du Design Team.

Quand on lui demande s’il reste des choses à découvrir sur un Class America, le bateau de la Coupe depuis 1992, le Normand est catégorique: «En 2007, il y aura des nouvelles inventions secrètes. La technique évolue et les équipes comme la nôtre remettent tout en question à chaque édition». Chez Alinghi, les secrets seront bien gardés. Quand aux autres Teams, «il est possible que nous les observions un peu, depuis les lieux publics, comme le règlement nous y autorise». Bien que le Defender soit dans une position d’attente par rapport aux Challengers, «il n’est pas question de rester attentiste sur le plan technique, nos moyens de production en interne nous permettent d’implémenter immédiatement les modifications faites par le Design Team, mais le plus important reste de ne pas casser». L’évaluation de l’état du bateau est permanente et la maintenance doit être avant tout préventive. Des procédures, définies à l’avance, concernent chaque partie du bateau. Il en va de même pour les «support boats», le parc d’engins qui entoure les bêtes de courses. A Valence, la base principale abritera les Alinghi quand tout va bien. Mais le Team a d’ores et déjà décidé de garder sa base provisoire au Yacht Club pour toutes «les tâches importantes et salissantes comme les gros travaux de composite». Equipée comme un chantier naval, cette dernière sera le QG des boat builders. Elle rappellera peut-être à Michel Marie l’époque où il travaillait pour le chantier CDK de la Forêt Fouesnant, pas loin de Bénodet. «Nous y avions construit Poulain, le trimaran d’Olivier de Kersauzon». Rebaptisé Sports Elec, puis IDEC par Francis Joyon, le bateau a prouvé sa fiabilité en effectuant plusieurs fois le tour du monde.

Depuis les navigations marécageuses de son enfance, Michel Marie a accumulé une formidable expérience dans la construction navale. Aujourd’hui au sommet de la technologie nautique, ce fan des Rolling Stones apprécie aussi de rentrer à la maison, le soir après le travail. «Mon métier demande énormément de sacrifice à ma famille. Je compense du mieux que je peux».

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