Ils sont trois, ils ont 25 ans de moyenne d’âge et promettent de pulvériser le record de Vestas Sailrocket en dépassant les 80 nœuds. Un pari qui pourrait sonner fantaisiste tant il est ambitieux, mais ces anciens étudiants de l’EPFL ne sont en rien des amateurs.

Texte: Quentin Mayerat

Xavier Lepercq, Mayeul van den Broek et Benoît Gaudiot en sont convaincus: il est possible de faire un grand bond en avant pour améliorer le record de vitesse à la voile. Alors que le record établi par Vestas Sailrocket en 2012 à 65,45 nœuds sur 500 m tient toujours debout, cette équipe d’ingénieurs compte aller chercher les 80 nœuds. Au moment où des sportifs expérimentés comme Antoine Albeau – 25 fois champion du monde de windsurf – ou Alex Caizergues – détenteur du record de vitesse en kite – annoncent se lancer eux aussi à l’assaut du record de Vestas, cette équipe de jeunes voit plus grand. Quelle est leur vision et comment comptent-ils gagner plus de 15 nœuds sur un record vieux de huit ans qui a déjà placé la barre très haut?

Convergences

C’est en quelque sorte une histoire du culot et de rigueur scientifique. Les trois compères se sont rencontrés durant leurs études, ils ont vite remarqué qu’ils avaient la voile de vitesse en commun, et la même envie d’y apporter leur grain de sel : « Je travaillais déjà avec Xavier sur l’Hydrocontest qui avait lieu à Vidy où l’objectif était de construire le bateau de 3 mètres le plus rapide et le plus efficient possible, raconte Mayeul van den Broek. Et lorsque nous avons rencontré Benoît qui est par ailleurs détendeur du record de vitesse en kite pour les moins de 18 ans (N.D.L.R. 51 nœuds), on s’est aperçu que l’on partageait énormément d’idées». C’est ainsi que le trio a commencé à faire ces premiers essais en modifiant les ailerons d’une planche de kite, puis en développement un VPP permettant de fournir une étude crédible aux potentiels partenaires. En 2019, l’EPFL ainsi qu’un premier sponsor principal accordent leur soutien au projet et l’aventure peut démarrer. Le trio agrège rapidement une équipe d’une vingtaine de bénévoles, comprenant au total treize étudiants et sept ingénieurs, dont quelques navigateurs connus sur les circuits de régate en Suisse.

Sublimer un concept

Pour tenter de battre le record, rien ne sert de partir d’une feuille blanche. Le SP80 reprendra en partie l’approche de Vestas qui avait opté pour des ailerons super-ventilants pour lutter contre la cavitation. Explication… Tout appendice – foil, dérive, aileron – plongé dans l’élément liquide va atteindre à partir d’une certaine vitesse – environ 50 nœuds – un stade de saturation. À mesure que la vitesse augmente, le différentiel d’écoulement entre l’intrados et l’extrados dudit appendice va générer des dépressions au niveau de l’extrados, de petites bulles d’airs qui vont conduire à son décrochage. Alors, afin de lutter contre la cavitation, le trio d’ingénieurs a dessiné ses propres ailerons super-ventilants. Ces derniers possèdent un profil triangulaire avec un bord d’attaque plus fin que le bord de fuite, ce qui permet de générer une bulle d’air stable à haute vitesse. En somme, l’aileron super-ventilant pénalise l’engin flottant à basse vitesse, mais lui permet d’accélérer là où des appendices classiques seraient limités. «On a commencé par valider ce concept en construisant nos propres ailerons pour les tester en kite de vitesse avec Benoît. Lors de nos premiers essais dans le sud de la France, il était déjà parvenu à atteindre les 42 nœuds », confie Mayeul van den Broek.

Moment de redressement = 0

Mais la recette de la vitesse ne tiendra pas évidemment qu’aux ailerons. Là où Vestas était équipé d’une aile rigide, le SP80 sera muni d’un kite d’une grandeur de 20 à 40 m2 en fonction des conditions. Cela permet notamment d’économiser du poids en se passant de la structure rigide qui reliait l’aile de Vestas au module. Enfin, l’une des dernières clés du SP80 sera la mise au point d’un module rotatif qui permettra d’aligner mécaniquement l’incidence du kite et de la dérive principale afin de neutraliser le moment de redressement de l’engin.


Bien sûr, chaque gramme sera soupesé, chaque jonction, chaque détail du SP80 devra tendre vers l’aérodynamique la plus pure pour espérer flirter avec les 80 nœuds. D’ici là, l’équipe s’affaire à construire sa première maquette à l’échelle 1⁄2 avant de lancer sa première campagne de tests sur le Léman. La construction du bateau final devrait pour sa part commencer début 2021, sous réserve de réunir les fonds nécessaires pour aller au bout de l’aventure! Pas à pas, le rêve et la vision de ces jeunes devraient prendre forme avant l’ultime dénouement: un record et une pointe de vitesse autour de 80 nœuds. « Benoît, notre pilote, n’a pas encore eu de cauchemar à ce sujet!», plaisante Mayeul van den Broek. On lui souhaite à minima une bonne dose de sang-froid avant de rentrer en piste!
Serait-ce donc le début d’une nouvelle success-story «made in Switerland»? Une chose est certaine, si ce trio de choc originaire de France –en est venu à utiliser l’EPFL comme base arrière, ce n’est pas le fruit du hasard. Eux aussi ont été bercés par les exploits d’Alinghi et de l’Hydroptère.
La réputation du chantier Decision, ou. encore l’incroyable émulation de la voile lémanique les ont poussés à se rapprocher de la Suisse pour mener CM leurs études. Une forme de soft power vélique bien helvète qui pourrait encore défrayer la chronique !

DES NOMBREUX INGÉNIEURS ET ÉTUDIANTS ISSUS DE L’ÉCOSYSTÈME EPFL ONT REJOINT L’AVENTURE BÉNÉVOLEMENT.