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La voile : un retour inattendu dans le transport maritime

par Jean-Christophe Guillaumin

Environnement

Portée par des considérations écologiques mais aussi économiques, la voile fait son grand retour dans le transport maritime séduisant de plus en plus d’armateurs spécialisés dans le fret ou le transport de passagers. Des cargos propulsés par le vent naviguent déjà de part le monde. Enquête sur une renaissance.

90 % du fret mondial est aujourd’hui transporté par bateau. L’impact de ce mode de transport n’est pas neutre : il représente 3 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Un chiffre qui pourrait atteindre les 17 % en 2050 si rien ne change. Décarboner la marine marchande est une question écologique majeure. Mais ce n’est pas le seul enjeu : la consommation de ces bateaux gigantesques – les plus grands atteignent les 400 m de long – commence aussi à peser lourd dans les bilans des armateurs, d’autant que les cours du pétrole et de ses dérivés ont une tendance angoissante à faire le yoyo. Un exemple ?
Le prix moyen du fuel à faible teneur en soufre, que l’on retrouve sur nombre de navires, vient de chuter récemment à moins de 600 US$ la tonne. Il coûtait 1’200 US$ en juin 2022 ! Qu’en sera-t-il demain avec les tensions entre l’Europe et la Russie ou les États-Unis ? Pour éviter ces fluctuations qui impactent gravement les finances des armateurs, réduire la consommation des navires devient un impératif…économique !

La voile, une alternative crédible au fuel ?

Pour le transport de passagers, Sailcoop propose de vous acheminer en Corse ou aux Glénans sur un voilier. En trois ans, la jeune entreprise a transporté 10’000 passagers sur ses deux lignes régulières. Les adeptes des croisières en paquebot ne sont pas en reste : Orient Express Corinthian est actuellement en construction. Avec ses 220 m de long, il sera le plus grand yacht à voile au monde, doté de trois mâts inclinables, et portant 4’500 m2 de voiles.

L’objectif : naviguer à 17 nœuds avec la seule force du vent…

Le transport de marchandises est encore plus concerné par ce renouveau de la voile : Grain de Sail II est un monocoque en aluminium de 52 m qui a une capacité de chargement de 350 tonnes. Le cargo à voile mis à l’eau début 2024 réalise entre deux et trois boucles atlantiques chaque année. Deux marins peuvent suffire pour mener le bateau qui porte 1’500 m2 de voiles. Le résultat est tellement concluant que l’entreprise a déjà prévu de lancer la construction du Grain de Sail III, un véritable porte-conteneurs de 110 m de long, propulsé par 4’000 m2 de voiles et capable d’emmener 200 conteneurs soit 3’000 tonnes de charge. La mise à l’eau est prévue en 2027 avec pour objectif, la réduction de 90 % de l’empreinte carbone. Le transporteur français TOWT arme deux navires de la classe Phénix (81m de longueur – 1’090 tonnes de tonnage) et a prévu de lancer six autres navires d’ici 2027. Chacun de ces cargos à voile économise 2’400 tonnes de CO2 par an.

Encore plus impressionnant : Canopée est un cargo conçu par VPLP (cabinet d’architecture navale dont on ne compte plus les multiples victoires en course au large) pour transporter les éléments d’Ariane 6 d’Europe vers la Guyane, site de lancement de la fusée. Le cargo mesure 121 m de long et est propulsé par 4 ailes de 363 m2. Au départ, l’objectif était de naviguer à la même vitesse qu’un cargo classique, avec une réduction de la consommation – grâce au vent – d’au moins 15 %. Après un an d’exploitation, la réalité dépasse très largement les attentes, puisque Canopée consomme de 25 à 50% de moins qu’un cargo classique équivalent, selon les conditions météo. Une économie de 1,3 tonne de fuel par jour qui permet, d’après les promoteurs du projet, de financer le surcoût de la construction (ailes, mâts, système informatique) en environ cinq ans. Les simulations sur un porte-conteneurs de la classe Panamax (260 m de long – 4’500 conteneurs équivalent 20 pieds – 56’000 tonnes de chargement) démontreraient une économie de 20 % de fuel sur une transatlantique, permettant, là encore, une rentabilité en 5 ans. Wisamo, l’aile télescopique et gonflable imaginée par Michelin vient de remporter l’appel d’offres pour équiper un patrouilleur de haute mer des Affaires Maritimes françaises. Un gréement de 170 m2 devrait permettre de baisser la consommation de 15 % sur ce bateau de 54 m de long, dont la mise à l’eau est prévue pour 2027. D’autres projets sont dans les cartons, notamment avec l’utilisation de cerfs-volants pour aider à la propulsion et réduire la consommation de fuel jusqu’à 20 %. Une solution moins coûteuse, et plus facile à mettre en œuvre, applicable sur tous les bateaux sans nécessité d’installer un gréement. Le projet Seawing développé par l’Allemand SkySails vient d’être racheté par un armateur japonais.

Les cargos à voile ne sont pas un retour vers le passé mais plutôt la promesse d’un avenir décarboné et plus durable : un monde où écologie et économie vont dans le même sens.

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