Pour certains ce n’est plus qu’une question d’heures, pour d’autres de jours et pour les derniers de semaines. Mais tous les concurrents de la Barcelona World Race commencent à rêver de l’arrivée au pied de la statue de Christophe Colomb à quelques pas de la Rambla.
Cent vingt milles, c’est une misère au regard d’un tour du monde, mais ils peuvent parfois paraître immensément longs. Pachi Rivero, en bon Majorquain, a beau être un habitué des trajets entre Barcelone et les Baléares, il risque de se souvenir, de même que son complice Tonio Piris, de ces derniers milles de la Barcelona World Race où le vent n’a de cesse de jouer avec leurs nerfs. Après le coup de torchon essuyé en mer d’Alboran, c’est par son absence qu’Eole se fait remarquer entre les Baléares et la capitale catalane. Et pendant ce temps, à bord d’Estrella Damm, Pepe Ribes et Alex Pella se prennent à rêver, même s’ils savent bien que leurs espoirs de podium restent de l’ordre de la chimère. Mais quand on a lutté contre le mauvais temps, qu’on s’est protégé à la côte au prix de presque un virement de bord par heure pendant vingt-quatre heures, on a le droit d’entretenir quelques utopies.
L’humour, ultime antidote au pessimisme
Alex et Pepe ne sont pas les seuls à se nourrir de songes. Ainsi Andy Meiklejohn et Wouter Verbraak sont-ils toujours à la recherche des alizés. La remontée de l’anticyclone des Açores vers le nord et la formation d’une petite dépression au large du Portugal ont entrainé une rupture du régime de ces vents d’est puissants qui soufflent usuellement sur l’Atlantique entre le tropique du Cancer et l’équateur. Comble de malchance, l’équipage d’Hugo Boss devrait assister à une reconstitution de l’alizé, pour les derniers milles en Atlantique, mais de secteur nord-est, soit pile sur la route pour Gibraltar. Comme ultime arme contre les risques de déprime, les deux navigateurs ont opté pour l’humour, en témoignent leurs débats philosophiques profonds sur un paquet de jambon sous vide, dont on ne sait s’il franchira la ligne d’arrivée à Barcelone.
Leur rêve, Boris Herrmann et Ryan Breymaier (Neutrogena), le vivent tout éveillés, tout heureux d’être à pareille fête. Un équipage qui marie une maturité de vieux briscard à l’insouciance de la jeunesse, un bateau qui, à défaut d’être le plus rapide, s’est révélé d’une grande fiabilité, la recette fait la preuve de son efficacité. Pour ces deux-là, Gibraltar devrait être le dernier sas avant les derniers milles dans ce que les deux navigateurs appellent par anticipation, l’avant-port de Barcelone. Mais Ryan et Boris sont suffisamment avertis des pièges de la Grande Bleue pour éviter toutefois de la prendre à la légère.
Exigences du quotidien
Rêver n’interdit pas néanmoins un certain pragmatisme. A bord de GAES Centros Auditivos, on ne compte plus les semaines mais les jours. Et l’on se réjouit des petits signes qui témoignent de l’imminence du retour sur Barcelone, comme cette aube de plus en plus matinale, chaque jour que l’on gagne vers l’est. Les deux navigatrices ont abordé ce voyage autour du monde qui est aussi un voyage dans le temps de deux manières différentes. Quand Anna préférait calquer ses horaires sur le rythme solaire, Dee décidait de s’en tenir à la seule heure qui vaille, le Temps Universel. Une manière de faire fi des décalages horaires. A l‘heure de leur entrée dans l’hémisphère nord, l ‘équipage de Forum Maritim Catala est encore loin de ces considérations. Son souci immédiat est de négocier le Pot au Noir de la meilleure manière. Au vu des dernières analyses météorologiques, son souhait risque d’être exaucé. Pour We Are Water, il s’agit avant tout de s’extirper de la bulle anticyclonique qui freine leur progression. Central Lechera Asturiana lui, n’a qu’un seul désir : pouvoir reprendre sa route vers Auckland.
Classement du 7 avril à 16 heures (TU+2) :
1 VIRBAC-PAPREC 3 en 93j 22h 20mn 36s
2 MAPFRE en 94j 21h 17mn 35s
3 RENAULT Z.E à 100,9 milles de l’arrivée
4 ESTRELLA DAMM Sailing Team à 107,5 milles
5 NEUTROGENA à 463,8 milles
6 GAES CENTROS AUDITIVOS à 960,2 milles
7 HUGO BOSS à 2366,4 milles
8 FORUM MARITIM CATALA 2949,4 milles
9 WE ARE WATER à 5525,7 milles
10 CENTRAL LECHERA ASTURIANA à 10765,3 milles
ABN FONCIA
ABN PRESIDENT
ABN GROUPE BEL
ABN MIRABAUD
Ils ont dit :
Wouter Verbraak, Hugo Boss
« Avec ce sachet de ‘jamon’ trouvé au fond du bateau, nous devons savoir qui va mordre dedans le premier. Nous allons d’abord l’ouvrir pour le sentir, voir si tout va bien et ensuite nous jouerons à pile ou face, c’est notre méthode à bord pour tout vous dire.
Nous continuons avec notre quotidien : trois heures de quart, trois heures de repos. À 14h ou 15h nous mangeons et après nous passons l’après-midi ensemble. À 20h nous dînons et après nous reprenons notre rythme de quart. C’est comme dans la vraie vie ! (rires)
Nous aimerions suivre un peu plus l’actualité dans le monde, dont les régates, mais Internet nous coûte 8$ la minute ! C’est donc notre équipe à terre qui nous fait des résumés par email de ce qu’il se passe ailleurs.»
Anna Corbella, GAES Centros Auditivos
« Tout va bien. Nous sommes à la hauteur de Madère. Nous ne comptons plus maintenant en nombre de semaines, mais en nombre de jours. Nous remarquons énormément les changements d’heures et de lumière. C’est hallucinant. Ce qui m’a le plus frappé sur ce tour du monde est de voir les changements du soleil, sa position… Pour s’en rendre compte, il faut tourner autour de la planète. Dee n’a jamais changé ses horaires de repas. Moi j’ai préféré faire en fonction du soleil. Petit déjeuner à son lever, déjeuner en journée et dîner de nuit… Nous faisions deux services distincts. Moi je vis avec le soleil, Dee vit avec sa montre, en heure UTC qui plus est ! Ce n’est qu’une fois le Horn passé que nous avons été environ en phase.»
Cali Sanmartí, We Are Water
« J’ai déjà passé plusieurs fois Gibraltar. Cet été lors du Tour de l’Europe, avec Boris en double, lors d’une course entraînement de la FNOB et lors du convoyage pour venir prendre le départ de la Barcelona World Race. Ce n’est jamais la même chose, mais pour l’heure c’est comme les deux dernières fois dans ce sens : un près un peu musclé, mais certainement pas énorme comme lors de ces quatre derniers jours.
Avec Boris nous nous disons que la porte de Gibraltar c’est l‘entrée du grand bassin avant Barcelone. Le détroit n’est pas très loin de la fin de course. Après un Tour du Monde, 500 milles ce n’est rien du tout. Nous sommes vraiment heureux d’être là, d’avoir du beau temps jusqu’à la fin de notre périple. Nous profitons de chaque jour comme s’il était le dernier. Nous terminons sur un bon résultat. Nous positivons. Nous avons essayé de faire la course la plus propre possible…»