Une compétition menée à grande vitesse et une finale conclue par la victoire des Néo-Zélandais, la 35e mouture de la plus vieille compétition du monde a vécu une édition des plus expéditives. Retour sur les enjeux de cette Cup résolument moderne et complètement folle.
Après avoir littéralement écrasé leurs adversaires américains d’Oracle sur le score de 7-1, les Kiwis ont ramené l’Aiguière d’argent au pays du grand nuage blanc. De tout temps, la Coupe de l’America a été une immense compétition technologique. Ce qu’on a pu voir sur les eaux turquoise des Bermudes n’a pas fait mentir cette vérité. Les conditions de course de ce trophée high-tech ont été profondément modifiées par les foils. Les Néo-Zélandais ont pris d’entrée de jeu des options techniques très différentes des autres équipes. C’est une compétition où la technologie et les finesses d’utilisation des boutons et des joysticks ont fait la différence. Où les grinders traditionnels américains se sont opposés aux cyclistes néozélandais. Et où la qualité des barreurs a fait parler la poudre. À de nombreuses reprises lors des procédures de départ, le jeune skipper néo-zélandais Peter Burling, 26 ans, a donné des leçons de tactique à son homologue d’Oracle, l’Australien Jimmy Spithill, vainqueur de l’épreuve en 2010 et 2013. Les multiples erreurs stratégiques des Américains ont fait le reste.
Pari cycliste gagnant ?
À noter que les conditions de vent plutôt légères – oscillant entre 7 et 12 noeuds – sur le plan d’eau de Great Sound étaient plutôt à l’avantage du bateau kiwi. Les observateurs ont pu constater que, très souvent, la vitesse du bateau néo-zélandais a surpassé celle des représentants de l’Oncle Sam, leur infligeant au passage, dans certaines manches, de véritables humiliations tant l’écart entre les deux bateaux était impressionnant. Il faut aussi souligner que les Kiwis avaient un gain de 30% supérieur de pression hydraulique grâce au travail de leurs cyclistes, ce qui n’était de loin pas négligeable dans la relance après les virements de bord.
Selon Christian Karcher, un des plus fins analystes de ces duels nautiques, les Américains avaient dans l’ensemble une vitesse d’un noeud inférieure et un décrochement des foils moins important. Les foils des Kiwis semblaient nettement plus performants, avec un jeu symétrique très long et un décrochement au milieu. Menés 3 à 0 après le premier week-end, les Américains ont procédé à des changements techniques dans la semaine qui a précédé le deuxième round. « Mais ces modifications apportées au bateau américain pour gagner en vitesse ont complètement perturbé l’équilibre à bord, avec pour conséquence que l’équipage n’est plus parvenu à naviguer correctement. Il lui a manqué une vision qui le guide vers la victoire. Oracle Team USA était perdu sur l’eau sans meneur à terre », explique encore Christian « Kiki » Karcher.
Foiling électronique
Cette tentative d’explication de la défaite US ne serait pas complète si l’on ne citait pas l’analyse très pertinente de Martin Fischer. Le grand spécialiste de la mécanique des fluides, architecte naval et responsable du Design Team français, a sa vision bien à lui du pourquoi de la défaite d’Oracle : « Le plus gros problème avec un bateau à voile muni d’une aile est de stabiliser la phase de vol, à une hauteur d’environ 80 cm ». Cette stabilité sur les bateaux de la Coupe s’obtient grâce à un système de contrôle actif dans lequel l’angle des foils est ajusté par des impulsions électriques données plusieurs fois par seconde. Et c’est là que se situe la différence, selon Fischer. « Le barreur américain règle les foils grâce à des boutons disposés sur la barre. Il le fait au ressenti, au feeling. Tandis que chez les Néo-Zélandais, le réglage des foils – incidence, hauteur – est réalisé par ordinateur. Le barreur peut donc se concentrer sur l’action qui se déroule sur le plan d’eau. »
Une autre innovation a, semble-t-il, grandement favorisé le succès néo-zélandais : « L’aile des Kiwis ne fonctionne pas comme celle des Américains. Pour son réglage, les Kiwis utilisent un cylindre sophistiqué, sorte de vérin hydraulique contrôlé avec un joystick, tandis que les Américains en sont restés au réglage manuel. Ce qui a certainement permis aux Kiwis des réglages bien plus fins de l’angle et de la distorsion de l’aile. Comme Karcher, Fischer est aussi convaincu que « dans les vents légers, les Néo-Zélandais ont eu un avantage, alors que les Américains auraient été plus forts à des vitesses de vent supérieures. » Lundi 26 juin dernier, le Team New Zealand a offert pour la troisième fois à son pays, après 1995 et 2000, la prestigieuse Coupe de l’America créée en 1851. « C’était une journée folle pour nous, il fallait être très innovant et très créatif pour remporter cette America’s Cup » a déclaré Glen Ashby, le régleur d’aile sur le bateau kiwi, tandis que le champagne inondait le trampoline de l’AC50 et que les marins ouvraient les bières de la victoire.
Dès les Qualifiers, ETNZ a démontré sa supériorité sur l’eau face aux autres challengers même si les Kiwis s’étaient inclinés par deux fois contre Oracle. L’important était d’atteindre le 100 % de leur potentiel lors de la finale.
Classement des Louis Vuitton America’s Cup Qualifers
Victoires | Défaites | LVACW* | Total | |
---|---|---|---|---|
Oracle Team USA | 8 | 2 | 1 | 9 |
Emirates Team New Zealand | 8 | 2 | 0 | 8 |
Land Rover BAR | 4 | 6 | 2 | 6 |
Artemis Racing | 5 | 5 | 0 | 5 |
SoftBank Tean Japan | 3 | 7 | 0 | 3 |
Groupama Team France | 2 | 6 | 0 | 2 |
*Louis Vuitton America’s Cup World Series