Foil, aile rigide, mât carbone, voile à corne… la liste des innovations qui ont vu le jour sur le Léman est longue. En 80 ans d’existence, le Bol d’Or Mirabaud a été le témoin de toutes les extravagances et de certaines success-stories.
Avec 80 ans de recul depuis sa création en 1939 par Pierre Bonnet, ce qui transpire de l’histoire du Bol d’Or Mirabaud, c’est la tension permanente entre course à l’armement et démocratisation, entre « voile d’en haut » et « voile d’en bas ». Mais cette dialectique est-elle seulement la bonne ? Ne s’agirait-il pas d’une seule et même histoire ?
Bernard Schopfer, l’historien du Bol, retrace dans son livre La légende du Léman, Bol d’Or Mirabaud (Slatkine, 2012) les premiers instants de la course. Le 22 juillet 1939 à sept heures du matin, 26 équipages, appartenant à l’élite sociale et économique de l’époque, prenaient le départ du premier tour du Léman à la voile sans escale. Une entreprise considérée à l’époque comme irresponsable. Les embarcations et le matériel de sécurité n’étaient pas adaptés à l’impétuosité du lac par gros temps ! Arrivé non sans mal, au bout de 23 h 8 min et 34 sec sur Yliam IV, Louis Noverraz, le premier vainqueur de l’histoire, a ouvert la légende. Après lui, la course continua de faire rêver des mécènes fortunés, des régatiers de classe mondiale (Éric Tabarly, Loïck Peyron, Franck Cammas, Dennis Conner, Russel Coutts et bien d’autres), et surtout la grande majorité, de « simples plaisanciers » qui sillonnent le lac.
Sport populaire ou popularité ?
« Vous ne racontez jamais l’histoire des derniers, des simples participants », me faisait remarquer un navigateur venu chercher sur la course une aventure humaine. Un tantinet éméché lors de la soirée d’ouverture, le bougre n’avait pas complètement tort. Le Bol s’est incontestablement construit à travers l’histoire de ses grands vainqueurs : Philippe Stern, Philippe Durr, Louis Noverraz, Ernesto Bertarelli, Christian Wahl, Édouard Kessi, Bertrand et Philippe Cardis etc. Mais pour Michel Glaus, président de l’événement durant huit éditions, « on mesure la popularité du Bol d’Or au nombre de bateaux au départ. Plus il y a de participants, plus la course est considérée comme intéressante. Son succès repose donc sur l’immense majorité des plaisanciers dont on ne parle pas forcément, mais qui font vivre la course ». Difficile en effet d’imaginer le Bol sans ses 130 Surprise au départ, classe monotype par excellence où la bataille fait rage. Toujours est-il, comme le formulait habilement Rodolphe Gautier, l’actuel président, « qu’acquérir un bateau sera toujours moins accessible qu’une paire de chaussures », et que logiquement une régate comme celle-ci ne peut ambitionner la popularité d’une course à pied comme celle de l’Escalade. Cependant, le BOM s’ouvre, se transforme et voit accroitre sa popularité et son public à chaque édition. Son attractivité est aussi une affaire de show, et c’est pour les dernières Formule 1 ou les inventions étranges que le public se presse et que les médias craquent : OPNI (Objet Planant Non Identifié), multi à deux mâts, Mirabaud LX plein de promesses, GC32 le vent en poupe… le BOM est un spectacle qui renaît chaque année grâce à ses têtes de gondole.
Technologies Swiss Made
À ce titre, les années 80 et 90 ont tenu en haleine les spectateurs. On y retrouvait des bateaux aux noms familiers tels qu’Altaïr XII, Triga IV, Ylliam, ou encore Holy Smoke et le fameux Happycalopse. Toutes ces unités de propriétaire furent également des plateformes test incroyables pour l’industrie nautique. Pour n’en citer qu’une, l’aile rigide d’Altaïr XII, construite par Philippe Durr en 1992, a équipé les bateaux de l’America’s Cup 20 ans plus tard. Dans les années 80, l’investissement dans ces bijoux de technologie est allé crescendo comme le confirme Philipe Durr : « Le premier multi que j’ai construit en 1980 coûtait 56 000 CHF et dix ans plus tard, j’en ai construit un pour 500 000 CHF ». Peter Leuenberger, ancien propriétaire de Triga IV, bateau toujours détenteur du Bol d’Or le plus rapide (1994 – 5 h 01 min 51 sec), raconte l’état d’esprit qui prévalait : « C’était une époque extraordinaire ! On rajoutait 50 m2 dans la grand-voile, on installait des bouts-dehors à l’arrière des flotteurs pour augmenter le recouvrement des génois, on abandonnait les dérives centrales des trimarans pour introduire les foils dans les flotteurs. Il fallait investir et surtout s’entourer de gens compétents pour battre les autres. » Cette rivalité de gentlemen entre propriétaires a pris la forme d’un énorme accélérateur d’innovations dont les répercussions technologiques se font encore ressentir aujourd’hui au sein de nombreuses séries.
Jeu, set et match : « Le Black »
Puis vint l’avènement de l’ère Bertarelli : « Un milliardaire est finalement venu concurrencer une flotte de millionnaires », remarque Philippe Durr. Avec des budgets de loin supérieurs aux équipes engagées, Ernesto Bertarelli est entré dans la course au Bol avec une force de frappe considérable. Alinghi 41, surnommé « Le Black », était en l’an 2000 considéré comme le catamaran le plus puissant au monde. Celui qui allait devenir l’homme aux deux America’s Cup a tué le match et beaucoup de grands propriétaires ont raccroché les crampons. « Quand Ernesto Bertarelli est arrivé avec “Le Black“, on ne pouvait plus suivre », confirme Leuenberger qui confesse avoir dépensé l’équivalent d’une ou deux Ferrari dans ses bateaux… mais pas plus ! C’est notamment l’un des facteurs qui a favorisé l’apparition du D35 comme support monotype d’excellence permettant de temporiser l’escalade.
Chacun son Bol
« Quand j’ai arrêté de naviguer en multi avec Philippe Stern, j’ai enfin redécouvert le Bol », confie Philippe Durr. Et de poursuivre : « N’oublions pas que cette course est surtout l’occasion pour les navigateurs de passer une nuit sur le lac ». De bon matin, c’est prêt de 2000 équipiers emmitouflés dans leurs cirés, sac à dos et provisions au poing, qui partent pour une aventure à durée indéterminée. Chacun se transforme en Tabarly le temps d’un week-end pour goûter au large sans quitter de vue les berges rassurantes du lac. C’est sans aucun doute cette formidable capacité de projection des imaginaires, à même de raconter des histoires inouïes sur seulement 66.5 milles nautiques, qui donne au Bol sa cohésion. Que l’on s’appelle Arnaud Psarofaghis, brillant vainqueur l’année dernière, ou Sergio Cooper Teixeira, valeureux dernier en 22 h 20 min 17 sec, sur son fidèle Gib’Sea 92 nommée Déluge, chaque participant assemble l’une des pièces du puzzle de ce rendez-vous mythique.