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Demi-transat des Açores à La Rochelle : « Je l’ai fait ! »

par Quentin Mayerat

Partir au large pour mieux revenir. Une expérience qui marque la vie d’un marin et fait rêver ceux qui ne sont pas encore partis. Avec mes quatre membres d’équipage, nous avons enfin pu vivre notre aventure au long cours en optant pour une location one-way des Açores à La Rochelle.

IMG_0101Dans la pénombre de la couchette tribord, j’ouvre un oeil. Je distingue quelques formes floues, mon esprit encore embrumé m’a fait oublier où j’étais. Le bateau siffle, craque, valdingue. Le bruit sourd de la coque qui rebondit sur les vagues, l’écoulement de l’eau sur les safrans et le bordé me donnent l’étrange sensation d’être tantôt dans un train fantôme, tantôt dans une machine à laver. Encore groggy, emmitouflé dans mon sac de couchage, je me tourne sur le ventre et jette un oeil vaporeux à l’ordinateur de bord : 44, 46, 50… 53. Il me faut bien écarquiller les paupières pour vérifier qu’il ne s’agit pas du cap, mais de la vitesse du vent. Mes muscles se raidissent et ma mâchoire se serre. Je sors maladroitement de mon sac, me cogne, m’agrippe, me hisse. J’ouvre le capot. Dehors, dans une nuit claire, je distingue Vincent et Fabienne trempés comme des soupes. La lumière naturelle me permet d’entrevoir de belles lames déferlantes arrivant successivement sur notre arrière. La scène me paraît surréaliste. Voilà presque 12 heures que nous sommes entrés dans le vent fort et il ne devrait pas mollir durant les 36 prochaines heures. « Mais que foutons-nous ici ? » suis-je en train de penser. « Tu vas voir quand ça sera ton tour Quentin !… lance Fabienne, comme enivrée par l’adrénaline. C’est génial ! » Je veux bien la croire, je ferme le capot. Rassuré et tranquille, je retourne dans mon sac, car il me reste encore trois bonnes heures de sommeil avant de partir au front.

Le rêve d’une vie

IMG_9461Pour la plupart des navigateurs, la durée moyenne d’une sortie ne dépasse pas quelques heures. Pour beaucoup, traverser un océan c’est le rêve d’une vie, une aventure qui travaille d’innombrables imaginaires. C’est souvent une sorte de défi que l’on se lance à soi-même : « Suis-je capable de le faire ? ». Le faire pour l’avoir fait, le faire pour mieux connaître, se connaître. Le faire pour vivre et ressentir une aventure au plus profond de sa chair. « Pourquoi partir au large quand on peut rester au chaud ? », c’est une question qui m’a taraudé une bonne partie de notre traversée des Açores à La Rochelle. Sans y avoir trouvé de réponse nette, je dirais que les motifs sont propres à chacun, qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise raison, juste à l’origine une soif de découverte. Peut-être l’envie de se perdre dans l’élément constitutif des deux tiers de notre monde.

Entre vouloir se lancer et pouvoir se lancer, il y a tout de même un sacré fossé. Nos vies bien remplies ne sont souvent pas en adéquation avec la lenteur d’une traversée océanique. Avec mon équipage, composé au total de cinq personnes – moi inclus – nous avons opté pour une solution autant pratique qu’unique. Une « demi-transat » retour au départ des Açores, grâce à une location one-way sur un bateau sûr et performant : un Pogo 36. À la découverte quelques mois auparavant de ce concept de location sur-mesure de petits croiseurs océaniques rapides, j’avais finalement en face de moi une offre qui correspondait à la fois à mes contraintes – de temps – et mes besoins – de sensations. C’est ainsi que je fis la rencontre de Jean-Marc Calmet, le patron la petite boîte Open Sail. À lui seul, cet entrepreneur gère une flotte de deux Pogo 12.50, un 36 et un 30. « Partir des Canaries aux Caraïbes ? », lui ai-je demandé. « C’est possible ! », me répondit-il. « Un tour express des Baléares au départ du Sud de la France ? », l’interrogeais-je encore. « C’est une option », accorda- t-il. « Et partir des Açores pour revenir à La Rochelle au mois d’avril ? », tentais-je. « Super idée, s’enjoua-t-il. J’ai justement un équipage qui est prévu sur la transat retour des Antilles aux Açores, vous pourriez prendre le relai. » L’affaire fut ainsi conclue et nous prîmes rendez-vous à Horta, sur l’île Faial, avec Aminata, notre futur bateau.

Immanquables Açores

IMG_9461En principe, on dit qu’une transat retour se doit de faire une halte par Peter Café Sport, un petit troquet-restaurant situé juste devant le port de Horta. Les marins de retour sur terre ont l’habitude depuis plus d’un siècle de venir troquer ici le goût du sel contre celui du gin. Nous partîmes naturellement chercher un peu de bravoure dans cette enceinte mythique avant notre départ imminent. Mais avant de larguer les amarres, il aurait été dommage de ne pas profiter d’un aperçu des multiples trésors que recèlent les Açores.

Presque toujours fumant, cet archipel isolé est né il y a huit millions d’années (seulement) de l’action combinée de la dorsale océanique médio-atlantique et d’un point chaud. Ses arrêtes encore acérées et ses tombants vertigineux sont encore là pour attester de son jeune âge. Ici, pas question de se prélasser au mouillage sans une chaîne de plusieurs centaines de mètres ! Cependant, de petites marinas souvent chaleureuses et pittoresques font surface petit à petit. Elles accueillent à bras ouverts les plaisanciers. Depuis Horta, l’île de Pico est distante d’à peine 3 milles. Sorte de mont Fuji de l’archipel enrobé de quelques névés printaniers lors de notre passage, son point culminant se situe à 2351 m. Pico détient non seulement le record du plus haut sommet du Portugal, mais également celui de la plus jeune île des Açores, « à peine » 250 000 ans. Les marcheurs devraient se réserver une journée pour en tenter l’ascension, plus de 1000 mètres sont à parcourir depuis le camp de base situé à 1310 mètres. Attention, une inscription au bureau des guides ainsi que l’acquittement d’une taxe de 12 euros par personne sont obligatoires. Chaque randonneur se verra par ailleurs confier un appareil GPS qui permettra aux secouristes de retrouver les brebis égarées. Quelques incidents surviennent de temps à autre, gardons à l’esprit que le temps change rapidement aux Açores !

L’étape suivante, à ne manquer sous aucun prétexte, se trouve à une dizaine de milles au nord-est. Composée d’une succession de plus de 200 volcans d’origine basaltique, l’île de São Jorge est longue de 55 km pour une largeur maximale de seulement 7 km. En longeant ses côtes, on ne décroche pas le regard de ses imposants tombants rocheux en continu, atteignant parfois plusieurs centaines de mètres. La municipalité de Velas, forte de ses 5000 âmes, est la principale agglomération de l’île. Son port, dont les catways sentent encore le plastique frais, est niché au pied d’un ancien cône volcanique. La nuit, un étrange concert est donné par les autres locataires des falaises, les puffins cendrés. Ces oiseaux migrateurs, que vous pourrez rencontrer assoupis sur l’eau durant vos navigations, s’en donnent à coeur joie la nuit et batifolent jusqu’à l’aube, période de reproduction oblige. Une production artistique surprenante, bruyante et amusante, mais qui n’empêchera pas le marin de sombrer dans son sommeil. Avant de larguer les amarres, pensez à faire un détour par les fameuses Fajãs, sortes de petites piscines naturelles issues des formations volcaniques.

Landscape-Précieuse Graciosa

Avant de quitter les contours rassurants des îles, nous fîmes une dernière escale sur Graciosa, la terre la plus septentrionale des Açores. Ce confetti de 8 km de long sur 4 de large peut se parcourir entièrement à pied, à travers champs. Cette île minuscule, bucolique et peu connue vaut véritablement le détour. Sa caldeira peut faire l’objet d’une magnifique randonnée offrant un panorama à 360° sur l’île et sur l’océan. Il est possible de s’amarrer au port de Santa Cruz, la ville principale, mais également de faire escale à l’entrée du petit port de pêche de Praia situé à l’est, en faisant toutefois attention au tirant d’eau. Avant de quitter Graciosa et avec elle la civilisation, je profitai de cette dernière escale pour marcher, engranger les kilomètres et remplir ma mémoire des dégradés de verts et de bleus uniques dont regorgent les paysages açoréens.

Vivre en mer, vivre penché

IMG_9264Bientôt, le confetti ne fut plus qu’une tâche dans la brume et la traversée avait réellement débuté. Dès les premières heures, nous installions le rythme des quarts auquel nous nous tiendrons nuit et jour. Les seules dérogations à la règle survinrent lorsque nous nous mîmes à jouer avec les voiles de portant, car il faut bien passer le temps ! Il faut dire que le Pogo 36 est un bateau remarquablement bien toilé. Il offre en outre une belle palette de voiles qui permet de tester un bon nombre de variantes : trinquette, solent, gennaker et spi asymétrique. Au-delà de 12 noeuds de vent réel, l’on navigue rarement en dessous de 7 noeuds, et généralement au sec – sauf, bien entendu, lorsque la mer devient trop formée et contraire à la route. La clef d’une bonne traversée n’a rien de très sorcier : il faut s’économiser, essayer de dormir à tout prix durant les périodes de repos. À ce petit jeu, les premiers jours sont souvent les plus durs. Chacun doit s’accoutumer à manger, dormir, s’habiller, à vivre penché ! Ensuite, il y a les petites choses qui vous rendent la vie plus facile. En partant, sauf compétences exceptionnelles, il est illusoire de penser profiter des longues heures en mer pour revisiter les recettes de grand-mère. Le bol de riz, la salade de pâtes, ou parfois le lyophilisé viendront vous remplir la panse. Vous finirez même peutêtre par apprécier cette simplicité rudimentaire ! Et il y a l’équipement, car l’humidité pourrait bien devenir votre pire ennemie. Un bon ciré offshore, une salopette en Gore-Tex, ainsi que des dizaines de paires de chaussettes ne sont pas superflus pour rester sec. Une fois les fondamentaux maîtrisés, on peut s’offrir une touche d’émotion et d’évasion, laisser son esprit vagabonder, chercher des formes dans des nuages sans queue ni tête. Ici, le soleil fait son show deux fois par jour, soir et matin, et le spectacle est gratuit. En mer, pour en profiter, il suffit de lever les yeux et de contempler. Une formule qui peut être appliquée aussi bien une fois de retour à la maison… et qu’est-ce que c’est bon.


PRATIQUE

Quand partir ?

Mai constitue en général la meilleure période pour une transat retour. En été, l’anticyclone des Açores peut être très étendu et ainsi contraindre les équipages à aller chercher les airs très loin au nord, ou pire, à effectuer une grosse partie du trajet au moteur.

Se préparer :

Bien sélectionner son équipement peut éviter bien des tracas, car une fois les amarres larguées, pas de retour en arrière possible. Tout sèche difficilement lors d’un tel périple, pensez donc à vous équiper de nombreuses chaussettes, de vêtements thermiques, d’une voire deux paires de lunettes si l’une est portée disparue en mer. Concernant le ciré, j’ai essayé la veste de quart Henri Lloyd Transocean en TP3. Beaucoup moins onéreuse qu’une veste en Gore-Tex, elle offre une protection imperméable impeccable. Son col très haut et sa capuche à panneaux transparents m’ont été très utiles lorsque nous avons commencé à ramasser des litres d’eau sur la figure. Pour ma salopette, j’ai opté pour du Gore-Tex avec le modèle Elite Racer d’Henri Lloyd. Cette matière légère, respirante et souple reste le must, et je dois dire que l’eau n’a jamais passé la barrière de la salopette. Autre partie du corps très exposée : les mains ! En particulier la nuit, le port de gants humides peut être très incommodant. Sur ce type de trajet, je conseille vivement de s’équiper d’une paire de gants en néoprène comme le modèle Pro-Grip d’Henri Lloyd. Tout est disponible dans le plus grand magasin nautique de Suisse : bucher-walt.ch.

La météo :

Le routage est un formidable outil pour programmer votre route. Il faut cependant l’utiliser intelligemment tout en prenant en considération l’état de la mer et le fait que vous ne serez sûrement pas aussi rapide que vos polaires. Selon le modèle météo utilisé, pensez que la force du vent peut être largement sous-estimée en sachant qu’il s’agit de valeurs moyennes. Au plus fort, GFS nous indiquait 30 noeuds de vent alors que nous avons eu près de 46 noeuds établis et 53 en rafales.

Vivre votre aventure sur mesure en Pogo

Foncez et contactez Jean-Marc Calmet : contact@open-sail.com ou +33 6 11 86 82 26. Ou rencontrez-le sur son stand lors du Salon Nautique du Léman du 2 au 4 novembre prochain.

Pour organiser votre croisière surmesure aux Açores :

My Charter, info@mycharter.ch, mycharter.ch Ou Voile Évasion, fabienne@voile-evasion.ch, voile-evasion.ch.

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