La planification de nouvelles installations portuaires s’apparente de plus en plus à un parcours du combattant à travers administrations et autorités publiques, qui peut même se terminer devant le Tribunal fédéral. Pour avoir une chance de succès, il faut se montrer très persévérant et démontrer la valeur ajoutée que le projet apporte au grand public et à l’environnement.
Les places d’amarrage sont une denrée rare depuis des décennies. À cette pénurie chronique s’ajoute une tendance observable sur tous les lacs suisses : les voiliers et les bateaux à moteur ne cessent de grandir. En conséquence, la demande pour des places plus larges augmente. La solution a priori la plus simple pour accueillir ces bateaux serait une extension des ports, à l’instar de l’agrandissement du Port Noir de la Société Nautique de Genève qui comptera en 2020 près de 400 places supplémentaires. Mais très souvent cela relève de l’impossible. « Obtenir une autorisation n’est pratiquement pas envisageable, confirme Erwin Willen, directeur de la Bootshafen AG Luzern. Les plaisanciers ont des intérêts diamétralement opposés à ceux des organisations de protection de la nature, qui combattent systématiquement toute expansion. » Willen en a fait l’expérience. Les soucis liés au projet d’assainissement initial du port de plaisance Tribschenhorn à Lucerne qui prévoyait notamment un agrandissement du port d’environ 20 % lui sont restés en travers de la gorge. Après plusieurs oppositions, l’affaire s’est terminée devant le Tribunal fédéral qui s’est prononcée en faveur des protecteurs de l’environnement. Dans son jugement, il a été relevé qu’une extension dans une « zone lacustre peu profonde de grande valeur écologique » détruirait la végétation riveraine. La deuxième tentative fut finalement la bonne. Le projet de rénovation du port d’un montant total de cinq millions de francs a reçu l’aval des autorités, notamment parce que la Bootshafen AG a misé sur la densification plutôt que l’agrandissement. C’est ainsi qu’il y a trois ans, un nouveau ponton a créé 80 places d’amarrages supplémentaires.
La liste des projets empêchés ou redimensionnés est longue. Un petit nombre seulement a réussi à passer du premier coup, et il s’agissait surtout des projets incluant un concept détaillé pour l’aménagement des rives. Mise en service il y a quatre ans, la marina de Buochs au bord du lac des Quatre-Cantons constitue un exemple en la matière. La Genossenkorporation Buochs a investi plus de 20 millions de francs dans des places portuaires, des hangars à bateaux et des locaux pour des clubs de sports nautiques locaux. Une grande partie de la jetée extérieure est accessible au public et la zone riveraine est devenue un lieu de rencontre très fréquenté.
Projet Marina Tiefenbrunnen à Zurich
Un projet avec un impact d’une telle ampleur sur le paysage riverain ne serait peut-être plus toléré aujourd’hui. Pour avoir une chance de voir son projet aboutir, il faut présenter un concept global bien pensé et durable aussi bien au niveau économique qu’écologique et faire preuve de beaucoup de patience. La marina de Tiefenbrunnen en est le parfait exemple. En 2009 déjà, la ville et le canton de Zurich avaient élaboré des lignes directrices et une stratégie pour le développement du bassin inférieur du lac. Une partie du projet consiste à aménager le petit parc public à côté de la gare de Tiefenbrunnen en espace de loisirs et de détente pour tous englobant également de nouvelles installations portuaires. L’étude de faisabilité réalisée en 2016 a montré que la nouvelle marina créerait une importante valeur ajoutée pour le public.
Fort de ce constat, la ville de Zurich, le Zürcher Yacht Club, le Segel Club Zürich, la société KIBAG et la Mobilière Suisse ont uni leurs forces pour créer une société simple et lancer un concours. L’aménagement de l’installation portuaire étant défini, il s’agissait d’aménager le côté terre de la marina. Le projet y prévoit un centre nautique, un restaurant public et une jetée publique extralarge disposant d’une buvette. Quinze équipes ont été invitées à participer au concours. La décision est tombée cet été. Le jury s’est prononcé à l’unanimité en faveur du projet présenté par WALDRAP GmbH, Zurich et Pechmann Landschaftsarchitekten GmbH, Zurich. Dans sa proposition d’y donner suite, le jury a souligné les avantages suivants : « L’installation remplit toutes les exigences pour garantir la pratique de la voile tout en s’adressant clairement au grand public. Grâce au système statique simple, on peut s’attendre à des coûts de réalisation relativement bas ainsi qu’à de bonnes valeurs concernant la norme Minergie-P-ECO. » Plutôt que de créer un objet de prestige pour les propriétaires de bateaux fortunés, les responsables visaient donc un aménagement simple, pratique, facilement accessible au public et écologique.
Réalisation pas encore assurée
Sur la base des résultats du concours, les responsables ont lancé une procédure d’aménagement du territoire qui englobe également l’élaboration d’un plan d’aménagement. Une fois ces travaux préparatoires terminés, le Conseil municipal de la ville de Zurich soumettra pour consultation et décision le plan d’aménagement, la participation financière de la ville et le contrat de superficie pour la Marina Tiefenbrunnen. Les délibérations parlementaires devraient débuter dès 2020.
Le chemin est encore long et la réalisation n’est pas encore garantie. « Nous sommes tous conscients des enjeux », affirme Norbert Müller, membre de la direction du projet au sein du Conseil municipal de Zurich. « Nous ne sommes pas à l’abri d’éventuelles oppositions de la part d’associations environnementales mais sur le plan écologique, nous pouvons avancer un certain nombre d’atouts. La rive est déjà aménagée et nous ne créons pas de places d’amarrages supplémentaires. Au contraire, 100 places seront supprimées. » Reste à voir si cela suffira à rassurer les opposants potentiels. Comme le projet prévoit un magnifique lieu de rencontre au bord du lac, il ne devrait par contre pas rencontrer beaucoup de résistances de la part des habitants de la ville de Zurich, au contraire !
Tout sous le même toit
Protégé du vent et des intempéries, sans bâches, pare-battages et cordages sales, prêts à sortir à tout moment et à l’abri des regards : le port de Sugiez est très innovant sous plein d’aspects. La société Hochmuth Stansstad a fait les gros titres il y a 20 ans déjà. Sur un terrain dragué au bord du canal de la Broye, un « garage souterrain » pour 100 bateaux à moteur a vu le jour, dont seule l’entrée est visible de l’extérieur. Sur la toiture, on n’a pas seulement aménagé des places, mais également des bâtiments résidentiels. Malheureusement, cette solution hors-norme convient uniquement aux bateaux à moteur. À l’occasion du 20e anniversaire de cette marina unique, Skippers Motor y consacrera un article détaillé dans son prochain numéro.