Au bout de neuf ans d’existence, le résultat du cocktail savoureux des Voiles de Saint-Barth est un plateau très international qui mêle tous les genres de navigateurs. Au menu, de belles bagarres tactiques sur des voiliers exceptionnels, dont deux équipages suisses qui se tirent la bourre au coeur du paquet.
Les Voiles de Saint-Barth Richard Mille,
pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un peu le pendant des Voiles de Saint-Tropez côté mer des Caraïbes, les bateaux classiques en moins.
La jeune épreuve qui vient de fêter sa dixième édition offre en plus des conditions de navigation parfaites : de 12 à 25 noeuds de vent tous les jours, une eau à 22°, du soleil, quelques grains parfois. Il y a suffisamment d’îlets qui balisent ce littoral découpé pour permettre aux organisateurs de créer une multitude de parcours côtiers qui peuvent combiner toutes les allures avec de nombreux effets de sites, jeux de courants et parfois houle musclée sur la côte au vent. Bref, il faut être bien réveillé pour tirer le meilleur parti de ce plan d’eau exigeant. De nombreux équipages Nord-Américains venus de leur côte nord-est encore frigorifiée à cette époque de l’année, des Canadiens, des Anglais, beaucoup d’Européens, des équipages régionaux aussi, venus d’Antigua, Sint Maarten, la Martinique ou encore de la Guadeloupe. Des coureurs au large passent également par cette régate, dont certains avaient engagé leur coursier de la Route du Rhum, en multicoque notamment.
Deux Suisses très différents
Deux équipages suisses étaient engagés dans cette édition anniversaire, deux formations qui représentent un peu les deux extrêmes de la manière d’aborder cette épreuve. Pour Franco Nuggeler, le propriétaire de Kuka 3, c’est la course pure et la gagne qui prime. Après sa victoire dans la Transat RORC, et une 5e place dans la Caraïbe 600, il poursuit son parcours victorieux avec une victoire éclatante en Classe 1 CSA, celle des plus grands bateaux, sur un score sans appel : cinq victoires et une 3e place due à un fil de casier malencontreusement coincé dans les appendices. Franco adore son Cookson 50 sur plans Farr à quille pendulaire : « C’est un bateau qui a un bon compromis vitesse/rating, dit-il. Il va toujours bien dans toutes les conditions, ce qui est important au large. Il n’y a pas de problème en IRC ou CSA. Et puis c’est un bateau sur lequel je peux partir en croisière. Mais ici, personne ne dort à bord ». Il naviguait à Saint-Barth pour la première fois avec un équipage essentiellement composé d’amis avec qui il fait du Classe A. « Saint- Barth est une régate très sympa, c’est plus sérieux au niveau course que la semaine d’Antigua ou la Heineken de Sint Maarten. Ici, le niveau est très bon, tout le monde est là d’abord pour régater ». On retrouvera Kuka 3 au départ de la prochaine Fastnet face à sept autres Cookson 50, même si la météo risque d’être moins amusante…
Pour Kali, l’autre bateau engagé sous pavillon suisse, c’est la course à fond également, mais avec un armement plus classique, un First 47.7 qui est l’un des bateaux gérés par le Swiss Ocean Racing Club animé par Benedikt Clauberg. Il dirigeait un équipage de stagiaires très international qui n’a fait que se perfectionner tout au long de la semaine. Cette solution permet à ceux qui n’ont pas de bateau, ou pas forcément le niveau suffisant pour faire partie d’un équipage top mais qui veulent naviguer dans ce type d’événement, d’acquérir de l’expérience avec un encadrement et de pouvoir se joindre à la fête. Kali a énormément navigué depuis trois ans, en course ou en école de croisière, effectué une saison complète dans les Caraïbes et va rentrer par la mer à Lisbonne où il est basé pour un chantier de rafraîchissement bien mérité. On retrouvera Benedikt Cauberg au départ de la Fastnet, mais cette fois-ci à la barre d’un VOR 65, toujours dans le cadre des navigation école du SORC.
Des runs à bloc !
La course en temps compensé détermine les classements, mais la vitesse pure ne saurait être oubliée notamment avec le record du trajet Tour de Saint-Barth – île de Sint Maarten et retour, épreuve disputée seulement par les Maxi et les multicoques. Les deux rois de la piste qui ont par ailleurs terminé toutes les autres régates premiers en temps réels sont le mono Maxi Scallywag, ex-Ragamuffin 100, en monocoque et l’étonnant Bieker 53 Fujin en multi. Tous deux ont bénéficié de conditions explosives pour établir de jolis chronos avec un run de 2 heures 33 minutes 53 secondes pour l’immense mono Dowell 100 mené par l’australien David Witt, et à peine 3 minutes de plus pour le catamaran Fujin, le Bieker 53 de Greg Slyngstad (USA), remportant ainsi chacun dans leur classe le Richard Mille Record Trophy. Reste que le meilleur Maxi grand vainqueur du prix le plus convoité, la Richard Mille Maxi Cup avec six victoires en six manches s’appelle Sorcha. Armé par le Britannique Peter Harrison, ce plan Judel Vrolijk 72 était barré par le parrain de l’édition 2019, Pierre Casiraghi, membre éminent de la famille princière monégasque qui passe avec un égal bonheur et une passion évidente de la barre de Tuiga, le navire amiral du Yacht Club de Monaco dont il est vice-président, à celle nettement plus sportive de son GC32 Malizia, et donc à celle d’un maxi haut de gamme comme Sorcha, avant de franchir une étape majeure de sa carrière en course au large en s’alignant au départ de la prochaine Transat Jacques Vabre en tendem avec l’Allemand Boris Herrmann sur l’IMOCA Malizia. Quant à Fujin, autant dire qu’il est aussi déroutant esthétiquement avec ses étraves façon « babouches » que par ses performances en temps réel et compensé. Extrêmement léger mais capable d’accélérations foudroyantes, il fait cependant plus « day boat » que les catas nettement plus aménagés que sont les Gunboat. À noter que les propriétaires de multis de course-croisière qui régatent régulièrement en mer caraïbe participent activement à la mise en place d’une jauge permettant de comparer des bateaux très différents. Ce projet animé par Larry Rosenfeld s’appuie désormais sur l’ORC pour mettre la dernière main à un outil basé sur un VPP qui a été défini à partir des performances mesurées sur une vingtaine de bateaux durant les trois dernières années. Dans la classe des catamarans offshore dont la plupart ont participé à la dernière Route du Rhum, les deux bateaux issus du chantier Marsaudon Composites, Guyader Gastronomie (Christian Guyader), et Hallucine (Régis Guillemot) s’imposent de manière convaincante. Donc, dorénavant, si vous ressentez le besoin de changer d’air au moment où la saison de ski touche à sa fin et que l’envie de naviguer et de régater sous les alizés vous démange, vous savez désormais où aller…