Texte: Rod Vuilerouf
Éric Monnin et Ute Wagner sont sortis vainqueurs d’une bagarre folle lors des 5 Jours du Léman. Au milieu d’un plateau de stars, le redoutable navigateur a attendu le dernier moment avec sa compagne pour s’extraire de la mêlée et cueillir son 4e titre.
Suivre la 28e édition des 5 Jours du Léman, du 26 au 31 juillet, s’apparentait beaucoup à assister à une course cycliste. On a vu de nombreuses échappées, des voiliers intercalés en chasse-patate et autant de regroupements en peloton. Une situation inédite pour bon nombre de concurrents à bord de leur Surprise et pour les suiveurs de la cartographie interactive, puisque les leaders d’un jour étaient souvent relégués à l’arrière de la flotte le lendemain. « C’est fantastique, on a eu droit à de nouveaux départs tous les jours », résumait Pierre Fayet, président du comité d’organisation, au terme de ces 120 heures de navigation un peu folle autour du Léman pour les 40 équipages. « On n’a jamais vécu une course pareille, insistait le responsable. Presque tous ont fini dans le même tour ! »
Même le duo gagnant de l’épreuve, Éric Monnin et Ute Wagner, a vécu au rythme des multiples rebondissements. « C’est incroyable, s’est exclamé l’actuel leader du classement mondial de match racing. On revient d’assez loin, après avoir été plusieurs fois devant. À un moment donné, on était à peu de choses près bons derniers », a souri Monnin, qui avait pourtant annoncé la couleur d’entrée, en bouclant en tête le prologue triangulaire, sous le nez des autres cadors. Car au rayon favoris de ce grand crû, il y avait foule. À commencer par Denis Girardet, recordman des 5 Jours avec quatre succès personnels, associé à Olivier Légeret, lui-même triple lauréat. Éric Monnin – trois fois vainqueur aussi, mais cette fois coéquipier de sa compagne novice de l’épreuve – Loïc Forestier – deux fois titré – et Bruno Engel, détenteurs du record de la plus longue distance parcourue. D’autres habitués des victoires ou des podiums, comme Loris von Siebenthal et Jérôme Plojoux, Nicolas Kauffmann et Nicolas Anklin, Jean-Pascal et Francine Chatagny, Sandro et Christa Kuster, les fidèles frères Loïc et Yannick Preitner (17 et 16 participations respectivement) ou encore le très expérimenté duo Edouard Kessi- Philippe Durr.
Une deuxième femme, 26 ans plus tard
Dans ces conditions un peu folles, la différence s’est faite le mercredi soir en direction du Bouveret, à la veille de la dernière journée complète de navigation. « C’est à ce moment que je me suis excité pour qu’on envoie le spi, a confié Éric Monnin pour expliquer sa spectaculaire remontée de toute la flotte par la côte française. « C’était un coup du sort au bon moment dans cette édition hors du commun. On avait déjà loupé quelques occasions de se détacher ! » Aux côtés du résident de Stäfa (ZH), 45 ans le 13 septembre, Ute Wagner, 43 ans, découvrait pour sa part la régate, le plan d’eau et le bateau. Pas de quoi l’empêcher de devenir la première représentante de l’Autriche et seulement la deuxième femme à s’imposer sur les 5 Jours, après Kiny Parade en 1994. « Je fais mieux du ski que de la voile », s’est esclaffée la navigatrice. « Tous ces changements de vent sont impressionnants. Ce lac est une grande surprise, y compris pour ceux qui le connaissent. J’ai participé à de longues régates comme la Fastnet, donc je savais que la patience et le bon état d’esprit étaient la clé, a dédramatisé l’Autrichienne. J’étais sereine, même à l’arrière. Il faut savoir bien régler sa tête sur le long terme. Peu importe ton classement, tu travailles et tu reviens. Dans d’autres épreuves, je me suis parfois demandée en cours de route ce que je faisais là. Ici, je me suis étonnée moi-même. Je n’ai pas pensé à ça une seule minute. »
Éric Monnin a ainsi bouclé 769,8 km pour rejoindre Denis Girardet au sommet du palmarès. « En gagner quatre c’est quelque chose d’un peu fou, a réagi le spécialiste de match racing. Bien sûr, je savais que c’était possible, mais la situation était inhabituelle pour nous. » Côté sommeil, Monnin avouait avoir un peu moins dormi que lors d’autres éditions. « Surtout durant le sprint final. Le meilleur moment pour se reposer, c’est quand tu as de l’avance et que tu contrôles tes adversaires, ce qui n’est pas beaucoup arrivé. Mais on a fait très attention à ne pas nous griller. Sinon, tu n’es plus en état de bien naviguer et de prendre les bonnes décisions. »
Podium manqué pour deux SMS
La gestion du repos a été différente pour les suivants sur le podium. « Dormir nous faisait perdre des places, donc on a arrêté », a raconté un Loïc Forestier épuisé. Avec Bruno (N.D.L.R. Engel), on a dû dormir dix heures chacun en cinq jours ! » Leur résilience a été récompensée par une superbe deuxième place, arrachée malgré un départ prématuré qui les avait contraint à refaire le parcours du prologue avant de repartir avec une envie décuplée. « J’aimerais quand même bien voir la vidéo du départ, a badiné Forestier, qui a plus tard vécu un haut-le-coeur en apprenant qu’il risquait la disqualification. « Le seau que nous sommes tenus d’avoir à bord s’est cassé et a coulé durant la course. Notre erreur a été de ne pas avertir immédiatement le comité. » Par chance, ce dernier a finalement réclamé trop tard pour les déclasser. Les émotions ont été fortes aussi pour Daniel Bouwmeester et Gaetan Van Campenhoudt, troisièmes. Grâce à une pénalité de quinze minutes infligée à Nelson Mettraux et Max Haenssler pour avoir omis à deux reprises de signaler par SMS des passages de bouées, l’équipage de Chinook leur a ravi la dernière place pour seulement 37 secondes. « Rien que de finir dans les dix nous comblait de joie. Nelson et Max ont mieux navigué sur l’ensemble et auraient mérité d’être troisièmes, ont admis Bouwmeester et Van Campenhoudt de concert. Mais on reste des compétiteurs et on allait toujours se battre jusqu’au bout en apprenant que le podium était à portée ! »