Justine Mettraux a grimpé sur 11th Hour Racing pour aller dans le Grand Sud. Avec l’arrivée des monocoques du Vendée, la course autour du monde en équipage espère prendre une nouvelle dimension.
Texte : Grégoire Surdez
Du soleil d’Alicante aux frimas du Grand Sud, l’Ocean Race a basculé dans une autre dimension. Un univers peuplé d’albatros et de déferlantes hautes comme des immeubles de deux ou trois étages. La fameuse « Leg3 » de la course autour du monde en équipage et par
étapes valait presque à elle seule de s’engager sur l’édition des 50 ans de cette épreuve mythique. 12’750 milles nautiques dans l’Indien, le Pacifique et l’Atlantique Sud, ça ne se refuse pas. Justine Mettraux n’a pas raté l’aubaine d’aller se confronter à ces conditions musclées, dans des espaces où l’Homme et le marin ne s’aventurent que très rarement.
Tous les milles passés au-delà des 40e rugissants valent de l’or pour qui envisage de participer au Vendée Globe.
Nouvelle ère
Cela l’est d’autant plus que les organisateurs de la plus célèbre course en équipage, celle qui a formé des générations de marins dans le monde entier, ont fait le choix et le pari de mettre sur la ligne de départ les IMOCA. Des bateaux davantage taillés et pensés pour le solitaire ou le double. Mais qui, finalement, s’accommodent assez bien de la présence à bord d’un équipage réduit de quatre marins et un médiaman. Le temps des Maxi, lorsque la course s’appelait la Whitbread est révolu depuis longtemps. Celui des VOR65 qui avaient fait le pari de la monotypie l’est aussi. Utilisés lors des deux dernières éditions, ces monocoques extrêmes, dépourvus de cockpit et qui soumettent les marins à une douche salée permanente sont aussi de la partie cette année. Dans un anonymat assez total, force est de le constater.
Lors de la semaine de festivités à Alicante en janvier, les quais, noirs de monde, offraient un spectacle assez singulier avec des regards tournés vers les cinq bateaux des équipes du circuit
IMOCA. Holcim, Malizia, 11th Hour Racing, Guyot Environnement et Biotherm attiraient tous les
regards tandis que les équipes des VOR65 s’agitaient dans l’indifférence générale. Tout est fait pour mettre en avant les monocoques de 60 pieds de dernière génération. La communication
de l’Ocean Race est essentiellement basée sur le récit des chevauchées des foilers.
Question de tempo
Une histoire qui raconte la domination lors des premières étapes de Kevin Escoffier et de son Holcim, qui bat pavillon suisse au passage, vainqueur des deux premières étapes et qui semblait s’envoler dans le Grand Sud. « Toute la difficulté sur cette longue route vers le Brésil
sera de trouver le bon endroit où placer le curseur, dit celui qui avait vécu un sauvetage miraculeux par Jean Le Cam lors du dernier Vendée Globe. Nos bateaux ont encore tout à nous
apprendre sur la navigation dans ces mers et ces conditions si particulières. Je pense qu’il faudra davantage jouer sur la régularité que sur la vitesse pure. »
Avec leurs foils, les IMOCA ressemblent de plus en plus aux albatros qui les accompagnent. Beaux et fragiles à la fois. 11th Hour a été contraint de changer ses appendices au Cap après la 2e étape. Guyot Environnement, lui, a carrément dû faire demi-tour après quelques jours dans l’océan Indien en raison du délaminage de son fond de coque. L’équipe francoallemande
a préféré renoncer et reprendra la course à Itajai après avoir réparé. « C’est un coup dur, admet Benjamin Dutreux, qui était aussi venu pour “ manger ” du Sud. Mais on sait que ça fait partie du jeu. Et à tout prendre, je préfère que cette casse arrive maintenant plutôt que dans deux ans au Vendée Globe, seul sur mon bateau. »
Vers l’avenir
Avec seulement quatre concurrents encore en lice, l’intérêt sportif s’est forcément amoindri. Mais tous savaient avant de prendre le départ que ce risque-là existait. « Nous espérons que cette édition va susciter des envies et des vocations chez les autres équipes de la classe IMOCA, analysait Paul Meilhat sur le ponton d’Alicante. Si cela se passe bien pour nous cette année, je suis persuadé que nous serons bien plus nombreux sur la ligne de départ lors de la prochaine édition. Cette course est mythique et magnifique. Je pense sincèrement que le choix de l’IMOCA comme bateau est le bon sur le long terme. »
Un constat partagé par Justine Mettraux qui a délaissé temporairement son TeamWork pour honorer un dernier contrat avec son ancienne équipe 11th Hour Racing. « C’est bien évidemment une immense chance de pouvoir participer à une course de ce niveau en compagnie de super marins que je connais bien. Nul doute que ce passage dans le Sud me fournira des informations importantes pour mon Vendée Globe. Mais dans l’immédiat je me concentre vraiment sur la performance de l’équipe 11th Hour Racing et rien d’autre. »
Avant de retrouver le soleil à Itajai, la Genevoise avait deux océans et demi à traverser,
un premier cap Horn à passer et des tonnes de milles nautiques d’expérience à emmagasiner.
Avec les IMOCA, l’Ocean Race a sans doute trouvé un souffle nouveau qui devrait attiser la
curiosité de certains. On pourrait même imaginer la possibilité d’une équipe 100 % suisse
(Hublot vient de passer en mode duo made in Switzerland avec l’arrivée de Simon Koster
en coskipper avec Alan Roura). Cela renverrait les nostalgiques au temps de Pierre Fehlmann
lorsque le Morgien avait emmené avec lui une belle brochette de marins d’eau douce qui
avaient tous appris le métier en équipe avant de briller en solitaire.