Dans une édition marquée par une météo déchaînée, Fritz Trippolt a défendu son titre sur son D35. Il est le seul multicoque à franchir la ligne d’arrivée, tous les autres ont abandonné pour cause d’avarie ou renoncé à prendre le départ.
Texte : Walter Rudin
Photos : Christian Flemming
Après le record établi l’année dernière dans des conditions exceptionnelles, le vent était de nouveau au rendez-vous, à la différence près qu’il pleuvait des cordes durant toute la nuit. Neuf litres d’eau par heure sont tombés du ciel. Associés à une température de l’air à peine supérieure à 10 degrés, on se serait presque cru en hiver. Des conditions difficiles qui ont désenchanté bon nombre de navigateurs sur les 270 bateaux inscrits. Comme si ce déluge ne suffisait pas, un vent de sud-est de 15 à 20 nœuds a créé des vagues d’un bon mètre et demi sur toute la longueur du lac de Constance. Les petits bateaux malmenés n’ont cessé d’enfourner, ce qui les a considérablement ralentis. Pour compliquer le tout, les rivières en crue avaient déversé beaucoup de bois flottant dans le lac qu’il valait mieux éviter.
Albert Schiess, meilleur Suisse en 2023 sur son Holy Smoke avec une quatrième place, a préféré renoncer. « Je pense que le lac aurait été navigable, mais j’ai récemment subi une opération des yeux et je ne voulais pas prendre de risques à cause des fortes pluies », a-t-il justifié son absence. Malgré ses 73 ans, Albert Schiess ne se sent pas trop vieux pour participer. « Tout le monde me conseille d’arrêter, mais c’est seulement au moment où je me retirerai que je me sentirai vieux », ajoute-t-il en souriant.
Arrêt net pour les catamarans suisses
Cinq des huit catamarans de la catégorie 0 naviguaient sous pavillon suisse, mais aucun n’a franchi la ligne d’arrivée. Les vagues hautes et courtes ont donné du fil à retordre aux M2. Pour le Green Horny de Sammy Smith, la régate a été de courte durée. « Nous savions déjà que la course allait être compliquée en traversant le lac pour rejoindre Lindau, a expliqué le navigateur du Yacht Club Arbon. Nous avons pris le départ sans foc, uniquement avec la grand-voile arisée, sans pour autant réussir à transformer la pression de la voile en vitesse, le bateau était trop agité dans l’eau. » Pointant à la deuxième place, Smith est contraint à l’abandon suite à la rupture du bras de liaison. Pour Hansjörg Etter, membre du même club que Smith, les dégâts étaient encore plus conséquents. Le gouvernail de son Easy To Fly 26 Rocket s’est cassé et s’est perdu dans les flots.
Armin Schmid du Segel-Sport-Club Romanshorn s’est accroché un peu plus longtemps, il est resté dans le coup jusqu’à la première bouée… avant de subir le même sort que ses adversaires. « Je n’ai jamais vu de houle aussi haute sur le lac de Constance », s’est exclamé le propriétaire du Sonnenkönig. Il fallait s’attendre à de la casse. Nos catamarans ne sont pas conçus pour de telles conditions. Ils décollent sur chaque vague avant de retomber brutalement. Dommage ! Sur le côté suisse, la houle s’est assagie par la suite et promettait une superbe bataille. Mais nous reviendrons. »
Trippolt en tête du début à la fin
Une heure après le coup du canon, aucun des multis n’avait survécu – à une exception près. Bien plus grand que les Ventilo, le D35 était plus à l’aise dans les vagues. Si Fritz Trippolt a vendu son D35 après sa victoire en 2023, la nouvelle propriétaire Gloria Mang lui a proposé de reprendre la barre pour la Rund Um. Il ne s’est pas fait prier, se hissant en tête dès le départ et grapillant mille après mille sur la flotte. Une fois tous les concurrents sur deux coques hors course, l’ancien Skinfit, rebaptisé All you Need, comptait jusqu’à 40 kilomètres d’avance sur ses poursuivants. Au moment de passer la bouée d’Überlingen à l’autre bout du lac, les premiers monocoques traînaient encore au large de Romanshorn. Sans prendre de risque inutile, Trippolt est revenu sur Lindau pour finalement boucler la boucle après un peu moins de quatre heures. À l’arrivée, la fatigue se lisait tout de même sur son visage : « Les conditions étaient brutales. Il faisait froid et après le départ, la houle était énorme. » Gloria Mang qui se trouvait également à bord, est ainsi la première femme à remporter la Rund Um. Avec un peu plus de cinq heures de course, Wolfgang Palm le Wild Lady s’est classé deuxième, remportant par la même occasion le Ruban bleu dans son groupe. Les Suisses sont rentrés bredouilles. Aucun des bateaux aux couleurs helvétiques n’a réussi à monter sur le podium. Les éléments déchaînés n’ont par ailleurs pas épargné les monocoques. Éreintés par les dégâts matériels, le froid, l’épuisement et le mal de mer, de nombreux équipages ont jeté l’éponge. Seuls 96 bateaux ont terminé la course, les derniers ayant franchi la ligne d’arrivée au milieu de la nuit après 12 heures sur l’eau.
Un concept qui a fait ses preuves
Comme en 2023, le Lindauer Segler-Club avait décidé d’avancer le départ du premier groupe à 16 heures. Cette mesure devait permettre aux concurrents les plus rapides d’être de retour en fin de soirée pour pouvoir fêter leur résultat avec les amis et le public. Grande nouveauté cette année, les organisateurs ont introduit un quatrième groupe de départ. Pour la première fois, les bateaux les plus performants composés des multis, bateaux à trapèze et à foils constituaient l’avant-garde, les trois autres groupes suivant à 15 minutes d’intervalle.
Pour les spectateurs à terre et en ligne, les organisateurs avaient prévu un programme séduisant, composé d’interviews menées en direct depuis les bateaux, d’images diffusées en temps réel ainsi que de vidéos prises par des drones. Un concept qui aurait certainement trouvé son public si les festivités prévues dans le port et au club nautique n’étaient pas tombées à l’eau. Espérons que les éléments se montreront un peu plus cléments l’année prochaine. En revanche, le vent sera bien sûr le bienvenu.
