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America’s Cup & progrès technologique – De l’invention des winches à celle des voiles 3D

by Jacques-Henri Addor

L’histoire de l’America’s Cup et celle du progrès technologique sur nos bateaux sont étroitement liées. Profitons de la remise en jeu du plus vieux trophée sportif de l’ère moderne pour retracer le parcours de ces formidables innovations dont certaines tirent leur inspiration de marins suisses bien connus.

Depuis qu’elle existe, l’America’s Cup s’est armée comme un extraordinaire laboratoire de développements technologiques. À la fin du XIXe siècle, ce sont d’abord les recherches sur le design des bateaux et les lignes des carènes qui ont mis en concurrence les architectes navals de l’époque, rendant célèbres par la même occasion Nathanael Herreshoff, son contemporain Edward Burgess, plus tard Olin Stephens, mais aussi l’Écossais William Fife III ou Charles Nicholson de ce côté de l’Atlantique.
Les bateaux étaient immenses, lourds et très toilés. Reliance, defender vainqueur en 1903, mesurait 61,26 m de long, 7,92 m de large, pesait 189 tonnes, et pouvait porter 64 équipiers et jusqu’à 1’500 m2 de toile. Avec un désavantage très net pour les Anglais, longtemps les seuls challengers, par rapport aux Américains et au New York Yacht Club qui détenaient le trophée, et qui imposaient que le bateau inscrit commence par traverser l’Atlantique. Une telle contrainte impliquait de construire des bateaux plus costauds que ceux du defender, donc plus lourds, donc moins compétitifs avant même l’ouverture des hostilités.

Domination américaine

Rusant toujours de stratégie protectionniste, les Américains ont ainsi interdit l’usage de certains composants, pour s’en réserver l’exclusivité. Ce fut le cas notamment des tissus à voiles. Les voiliers américains, grâce auxquels est apparu l’usage du Dacron en remplacement du coton des débuts, étaient pratiquement sous embargo. Ils avaient l’interdiction de fournir des voiles au challenger.Ce sont encore les Américains qui inventèrent les premiers winches, plus ecaces et pratiques que les palans utilisés jusque-là. Les premiers winches ont été posés à bord de Reliance, vainqueur de la Coupe 3 à 0 en 1903 face à Shamrock IIde Sir Thomas Lipton. Détail : ils étaient fixés sous le pont. Par discrétion ou par souci d’aérodynamisme ?…
C’est encore dans le cadre de l’America’s Cup qu’est construit le premier 12m JI en aluminium, Courageous, un plan Olin Stephens, qui défend victorieusement la coupe en 1974 et 1977. D’autres développements doivent clairement leur existence à l’America’s Cup, comme par exemple le haubanage en tige rod profilée, les mâts en aluminium, la gorge de bôme et la gorge de mât en remplacement des anneaux en bois, ou encore la multiplication des étages de barres de flèche pour assurer une meilleure tenue du mât.
Plus tard dans l’épopée de la coupe, c’est l’invention de la fameuse quille à ailettes d’Australia II qui permet aux Aussies de battre les Américains de Dennis Conner et son Liberty 4 à 3 en 1983, après 132 ans de suprématie US. L’espionnite faisant partie du jeu, les Australiens avaient pris toutes les précautions pour dissimuler des regards indiscrets l’invention de l’architecte Ben Lexcen. Le 12m JI était drapé et protégé dès qu’il sortait de l’eau. À la solde d’autres équipes, des plongeurs furtifs ont même tenté d’aller voir les appendices d’Australia II.

©DR – AUSTRALIA II, PREMIER 12M JI DOTÉ D’UNE QUILLE À AILETTES. L’INVENTION DE BEN LEXCEN PERMETTRA AU KANGOUROU DE TERRASSER L’AIGLE.

Contribution suisse

Au chapitre des développements technologiques liés à l’America’s Cup, la Suisse peut s’enorgueillir d’avoir apporté une invention révolutionnaire : les voiles 3D. En 1988, Jean-Pierre Baudet imagine les premières voiles sans laizes ni coutures, les 3DL (three dimensional laminated). Il réalise les premiers prototypes avec l’aide de son ami Luc Dubois. Il s’agit de déposer des fils textiles sur un moule positif, maintenus entre deux couches de film de haute résistance, le mylar ; sous vide et par thermocollage à 160 degrés. Les voiles réalisées en 3DL se révèlent plus stables et plus résistantes que celles précédemment constituées de laizes cousues, notamment aux fortes charges, aux frottements et aux plis. Les voiles 3DL seront ainsi cinq fois victorieuses en 1995, 2000, 2003, 2007 et 2010.
Les inventeurs et voiliers Gérard Gautier et Edouard Kessi, associés de longue date, remettent le procédé sur le métier et imaginent alors le 3Di. Il s’agit principalement d’écarter le fil de carbone, ou d’autre matériau PBO, pour l’appliquer à l’échelle du filament – ordre de grandeur du micron, et non plus du millimètre, comme celui du fil brut.
Une fois écartés, les filaments ultrafins sont incorporés dans une résine souple. C’est la technique «Amalgam» et les bobines de «prépreg» – pour pré-imprégnation. Dans leur foulée, la TPT, pour Thin Ply Technology. Appliqués par un plotter géant, les échantillons de fibre et résine sont déposés en quantités calculées et orientés en fonction des e¦orts, sans plus aucun emmagasinage « sandwich » entre films de mylar.

©Amory Ross – SUR LE PLOTTER DE PRODUCTION, LA TÊTE DE DÉPOSE DES RUBANS FILAMENTAIRES.

L’apogée du 3Di

Fort du développement de ces technologies, North Sails a ouvert trois usines à Minden, dans le Nevada (USA), près de la frontière californienne. Les halles de fabrication n’ont plus rien à voir avec les grands parquets des voileries d’autrefois et leurs fosses pour couturières. Elles sont occupées par de gigantesques plotters informatisés, des robots déposant le prépreg en réagissant à la microseconde.
Le développement des voiles en 3Di a été largement rendu possible par le financement personnel d’Ernesto Bertarelli, en vue de la campagne de 2009. Conscient que, pour gagner, il faut un bateau rapide, Bertarelli a très tôt compris que c’est en travaillant sur le «moteur» du bateau, donc sur ses voiles, qu’il fallait pousser les recherches et l’innovation. D’où son implication dans le développement des voiles 3Di, qu’il cède à prix coûtant lorsque North Sails décide de reprendre le procédé à son enseigne. La Coupe de l’America a aussi été le laboratoire du développement des matériaux. L’aluminium a remplacé le bois, en particulier pour les mâts. Puis sont apparus les composites, de la fibre de verre des débuts au Kevlar et autres structures en nid d’abeille. Enfin, le carbone a permis de gagner autant en solidité qu’en légèreté. C’est également grâce à la fibre de carbone que le concept des foils a pu se concrétiser sans finir en mille miettes, et permettre aux premiers catamarans à foils, les AC72, de disputer l’édition de 2013 à San Diego.
Des ailes rigides qui ont équipé les AC72 et les AC50, on est revenu sur les AC75 actuels à un plan de voilure souple, mais là aussi évolué. Ils sont équipés d’une voile principale à double peau, tirée au plus près du pont, pour simuler les avantages d’une aile rigide tout en limitant les e¦ets venturi. L’électronique a aussi fait des progrès considérables grâce à l’America’s Cup: Des pilotes automatiques à la gestion permanente de la stabilisation, des bras de foils et du système hydraulique à la gestion de l’énergie.

©Amory Ross – UN MOULE 3DI, DÉFORMABLE POUR CONTRÔLER TOUTE FORME EN 3D.

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