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Hommage : Benjamin de Rothschild a toujours su laisser la barre aux autres

par Oliver Dufour

Le 15 janvier dernier s‘éteignait le baron, âgé de 57 ans seulement. Grand passionné de voile comme l’était son père avant lui, cet entrepreneur visionnaire aimait se fondre dans le collectif. Ceux qui ont navigué à ses côtés racontent.

Texte : Oliver Dufour

« Mon premier souvenir de lui, c’est son arrivée en patins à roulettes au port à Genève. Sur les pontons flottants en aluminium, ça faisait un bruit d’enfer et je me demandais s’il allait les enlever pour monter à bord du bateau ! ». Philippe Durr, qui n’avait alors gagné « que » deux de ses sept éditions du Bol d’Or et n’avait pas encore moissonné les titres mondiaux, venait de faire la rencontre de Benjamin, fils du baron Edmond de Rothschild, l’homme à la tête du groupe bancaire qui porte aujourd’hui encore son nom. Le jeune homme avait 17 ans et déjà une solide expérience de la navigation, nourrie par la passion monumentale de son géniteur.

Le baron Benjamin de Rothschild, décédé prématurément à l’âge de 57 ans des suites de défaillances cardiovasculaires, vivait la voile de façon intense. Son premier succès international d’envergure, il l’avait décroché en guise de cadeau pour les 60 ans de son père, à bord du bien nommé Gitana Sixty, barré par Philippe Durr, avec la coupe du monde des 8 m JI, en 1986 à Cannes. Puis, au cours des années 1990, le jeune baron s’était piqué d’intérêt pour le multicoque et avait racheté un vieux catamaran F40 en liquidation judiciaire. Didier Bottge, devenu ami et avocat de la famille, l’avait accompagné. «Je ne sais pas comment il avait obtenu l’information, mais il m’avait demandé si je pouvais partir dans l’heure en Bretagne, se souvient-il. Il s’agissait d’une suite logique à sa passion.» Et le déclencheur d’une belle série de célèbres projets d’envergure dans la course au large.

Des premières frayeurs sur le Léman

Arrivé sur le Léman, le F40 sera adapté et rebaptisé Force Cash. Cette entorse à la tradition familiale des bateaux baptisés Gitana s’est accompagnée d’une volonté d’émancipation. «Son père était assez furieux de l’acquisition d’un multicoque, pour lequel il n’avait aucun intérêt, rappelle Bernard Zumstein, devenu skipper à bord de l’engin et coéquipier régu- lier. Pour Benjamin c’était une façon de se démarquer. Ce bateau, pas facile à utiliser avec ses safrans placés à l’avant, nous a permis de nous familiariser avec le multicoque et nous a fait vivre quelques frayeurs. Par la suite et jusqu’à l’arrivée du Covid 19, il a fait découvrir à de très nombreux employés, partenaires et clients les plaisirs de la voile sur le lac. »

Équipier robuste et efficace, mais dénué d’intérêt pour la barre, Benjamin de Rothschild aimait se fondre dans l’équipage. «Je ne suis pas convaincu qu’il était compétiteur, mais il aimait vraiment naviguer. Pour lui qui était très courtisé, la voile était un peu une échappatoire, où on lui fichait la paix », souligne Philippe Durr. Maître Bottge nuance : « Il avait toujours l’envie de victoire et naviguait pour gagner. Mais ce qui le caractérisait, c’est qu’il était technologiquement très au point. Il voulait suivre un projet de bout en bout.» Une approche professionnelle et perfectionniste qui l’amena à fonder en 2000 le Gitana Team, dont les exploits alimentent depuis 20 ans les palmarès marins.

«Tout chez lui était si intense!»

Mais au-delà de ce prestige, ceux qui furent ses coéquipiers retien- dront avant tout la simplicité de l’homme. «Il était respectueux des autres et demandait toujours la permission au skipper de monter à bord d’un bateau, y compris l’un des siens, relève Bernard Zumstein. Sur le Léman, des centaines de personnes ont pu naviguer grâce à sa générosité. » Philippe Durr abonde : « Il était amoureux de l’artisanat. Sa passion, son état d’esprit et ses conseils m’ont accompagné toute ma vie. Je ne peux pas dire qu’il était un ami, mais grâce à lui j’ai pu vivre l’extraordinaire. » Et son ami Didier Bottge de conclure : « Il était avant-gardiste, mais il n’avait surtout aucun ego. Il aimait la vie et les métiers simples et n’aurait jamais troqué un repas avec l’équipage contre une mondanité. L’un de ses plus grands plaisirs résidait dans le bonheur des autres. »

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