Bol d’Or du Léman
Esteban Garcia et Jérôme Clerc ont allégé leur programme de régates pour mieux se concentrer sur la plus prestigieuse d’entre elles. Pari gagné pour les nouveaux rois du Léman.
Cette fois, c’est la bonne ! Realteam Spirit s’est enfin offert le Bol d’Or. Jérôme Clerc, skipper depuis le début de l’aventure, il y a plus de dix ans, et Esteban Garcia, propriétaire de l’équipe, ont posé la dernière pierre qui manquait à l’accomplissement de leur chef-d’œuvre lémanique. Ironie, ou clin d’œil, de l’histoire, l’équipe la plus rapide de tous les temps sur le parcours Genève-Le Bouveret et retour (Le Ruban Bleu), a enfin gagné la plus prestigieuse des régates lors d’une 86 e édition marquée du sceau de la lenteur. Un chronomètre de 15 h 30 min et 05 sec qui ramènerait presque à une époque où les multicoques n’avaient pas encore mis la main sur le Bol.
C’est la fabuleuse histoire de cette régate, qui ne se déroule jamais vraiment comme on l’imagine, et qui s’est enrichie de cette victoire du TF35Realteam Spirit, lequel, pour l’occasion, n’émarge pas sous cette appellation puisqu’il ne participe pas au championnat de la classe. «Une décision que nous avons prise pour mieux nous concentrer sur notre objectif de 2025, ce Bol d’Or qui se refusait à nous depuis plus de dix ans», explique Jérôme Clerc. Hors jauge des TF35, cela veut dire toute latitude pour optimiser son bateau. « Ni plus, ni moins que ce que font les autres», précise toutefois le skipper.
On ne saura donc jamais vraiment si Realteam Spirit a pu s’offrir un quelconque avantage technologique sur la concurrence. Compte tenu du faible écart avec ses poursuivants, Sails of Change 8 (2e à 4 min) et Zen Too (3e à 12 min), et au vu des innombrables changements de leaders lors du retour vers Genève, il semble bien que ce soit le facteur humain qui ait fait la différence. Et également, la décision stratégique de ce trio de doter leur TF35 de dérives droites plutôt que de leurs foils habituels. Une décision commune aux trois occupants du podium qui a clairement fait la différence lorsqu’il a fallu aller jusqu’à la 11 e place pour découvrir le premier TF35 en mode foiler au classement : X-Wing de Marco Favale, nouveau venu sur le circuit, qui gagne le Bol de Carbone, récompensant le premier foiler du Bol. Mais il se classe très loin des bateaux à dérives, que ce soit les TF35, certains M2 et le D35 de Christian Wahl. Cette première victoire d’un TF35 en mode archimédien est une belle indication pour les années à venir. Elle indique que le D35 a sans doute fait son temps puisqu’à dérives égales, Christian Wahl n’a pas tenu le choc. Désormais mieux préparés et toilés spécifiquement pour les courses longue distance en mode classique, les TF35 vont être très difficile à battre. D’autant plus, comme a pu le faire Realteam Spirit, lorsqu’il consacre tout son temps et sa préparation à un objectif précis.
Au final, pour Jérôme Clerc et Esteban Garcia, peu importe la façon, pourvu qu’on ait la vitesse. Gagner en 15 h 30 ou battre un record en 3 h 48 comme ce fut le cas le 27 mars 2023, cela a la même saveur. Celle du travail d’équipe bien fait. Et qui permet à Realteam Spirit de s’inscrire dans l’histoire lémanique comme l’une des équipes les plus polyvalentes et insatiables de sa génération. Le très joli coup d’une bande de potes en monocoque Tout commence sur Ricardo. Une annonce un peu folle. Libera à vendre. 3’000 francs. Il n’en fallait pas plus pour faire bondir sur l’occasion une bande de joyeux larrons emmenés par Gauvain Ramseier, sociétaire de la Bordée de Tribord, jeune régatier passionné et expérimenté. Il réunit autour de lui une équipe capable de dompter cette luge italienne qui a déjà remporté le Bol d’Or il y a une trentaine d’années. « À la base, Carondimonio est un Libera Classe B qui a été rallongé pour devenir un Classe A, nous explique Daniel Bouwmeester, l’un des onze membres d’équipage engagés dans cette belle aventure. Les gens connaissent mieux le Libera hongrois Raffica, qui, lui, était à la base un Classe A, et qui a encore été rallongé, avec un mât beaucoup plus grand que le nôtre. » Alors que tout le monde imaginait que le K2 de Philippe de Weck, vainqueur en 2024, allait se balader, il n’en a rien été. Beaucoup plus lourd que le Libera (1 tonne de plus), il a eu toutes les peines du monde à garder constamment de la vitesse dans ces airs particulièrement light. « Nous avons pris la tête devant le K2 juste avant le passage du Bouveret et ensuite, il ne nous a plus revus», savoure Daniel Bouwmeester. C’est finalement le QFX dessiné par Thomas Jundt qui a donné le plus de fil à retordre à son fils, Gauvain ! Une belle histoire de famille, à peine ternie par l’heure de pénalité infligée au QFX pour faux départ. Une punition qui laisse les deux dernières places du podium aux deux bateaux de Philippe de Weck, le K2 (2e ) et Katana (3e ). Le champagne se sabrera en famille.
L’émotion de Benoît Deutsch en Surprise
Qui ne connaît pas le légendaire entraîneur de Versoix ? Benoît Deutsch, c’est une de ces figures lémaniques familières et fidèles. Un formateur patient et pédagogue qui a mis le premier bout à la main de tant de jeunes apprentis régatiers. C’est aussi un directeur de course apprécié et recherché pour sa capacité à poser des parcours pour les classes les plus diverses. Et c’est enfin, bien sûr, un formidable régatier qui a enfin réalisé un de ses rêves les plus chers : gagner le Bol d’Or dans la catégorie reine des Surprise. Pour ce féru de monotypie, rien ne vaut une victoire décrochée à la régulière et à armes égales. Qui plus est, peut-être encore davantage lorsque les conditions météo ont été aussi légères et compliquées à gérer pour les stratèges. L’équipe de Benoît Deutsch ne s’est donc pas imposée par hasard puisqu’elle était composée de très fins régatiers avec Victor Casas, Romain Defferrard et Benjamin Senften qui s’étaient classés 2e du Bol d’Or au scratch en 2023, sur le M2 Swiss Medical Network de Didier Pfister, juste derrière le sorcier du Léman, Christian Wahl. Cette année, la lutte a été particulièrement intense chez les Surprise. Dans un final haletant, Benoît Deutsch a devancé un cador de la course au large, Achille Nebout. Second de la Transat Jacques Vabre en Class40 en 2023, et 3 e de la Solitaire du Figaro en 2022, il termine à seulement 1 minute et 20 secondes derrière l’équipe du Club Nautique de Versoix, dont la victoire n’en a été que plus marquante, déclenchant une vive émotion sur le visage familier de Benoît Deutsch.