L’Everest des mers est «la» course en vogue. Avec des bateaux qui vont toujours plus vite et un public qui n’a jamais été si nombreux à suivre les aventures des marins dont les trois Suisses: Justine Mettraux, Alan Roura et Oliver Heer.
Il faut sans doute être un peu fou, ou alors totalement fasciné, pour rester zen dans le village du Vendée Globe. À l’instar des marins solitaires, les groupes, les familles, les visiteurs âgés d’un mois à presque un siècle, ont une capacité de résilience et une patience à faire pâlir le plus assidu des moines bouddhistes. Trois heures de queue pour accéder au ponton légendaire de la plus mythique des courses hauturières. À peine moins pour s’offrir une grimpée au mât sur le stand Charal, sponsor de Jérémie Beyou. Il en faudra presque autant pour se remettre de ses émotions et trouver un coin de table à la Brasserie du Globe. Plus que jamais, le Vendée Globe fascine. Après une édition 2020 tronquée par la pandémie, c’est un peu comme si tout le monde avait une soif inextinguible d’aventure. Fût-elle vécue par procuration.
« Faites-nous rêver »
De mémoire de suiveurs fidèles – journalistes, attachés de presse, techniciens, marins – jamais un départ de course n’a connu une telle effervescence. «C’est à la fois fabuleux et très prenant, estime Alan Roura, en larmes le jour du départ. C’est grâce à tous ces gens qui sont là par milliers que nous avons la chance de vivre de tels moments d’émotion comme ce départ.» Après trois semaines de raout, le port des Sables-d’Olonne s’est vidé comme un évier qu’on débouche. Dans un dernier tourbillon d’émotion, les 40 bateaux ont défilé dans ce chenal unique. «Rock around the Globe » dit une banderole. « Faites-nous rêver», exprime une autre.
Délivrés de la foule, les marins s’exécutent comme jamais pour répondre aux attentes de ces centaines de milliers de personnes qui ont souvent passé la nuit à faire le pied de grue pour être au premier rang de ce défilé de la Sailing week. Parmi eux, les trois marins suisses engagés dans ce dixième Vendée Globe de l’histoire en ont pris plein les yeux. Justine Mettraux, soutenue par toute sa famille et une ribambelle de supporters venus en Vendée, a eu bien du mal à réguler l’humidité de ses yeux. «La sortie du Port, le Chenal, c’était fort, dit-elle. Ce sont de belles émotions et du plaisir. Cela faisait si longtemps que j’attendais de vivre ce moment.»
Justine Mettraux dans le coup
Une fois lancée en course, Juju la machine s’est mise en route comme on pouvait s’y attendre. Dès les premiers bords, les premières nuits, les premiers coups de vent qui ont tardé à venir, elle a fait tout juste. Trois semaines passées dans le top 10 quand ce n’était pas le top 5. Elle a impressionné son monde et partagé sa joie de naviguer dans des vidéos où elle paraissait particulièrement épanouie. Un peu comme si cette course était taillée pour elle qui n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle doit décider de tout, toute seule.
Mais le Vendée Globe, ce n’est pas qu’une partie de plaisir. Chaque jour amène son lot de problèmes à résoudre au plus vite. Pour éviter que le petit boulon qui coince ne se transforme en mât qui craque. Pour la Genevoise, c’est la perte d’une voile indispensable (le J0) qui lui a fait lâcher le groupe de tête. «Même sans ça, je savais que sur une course de vitesse pure, mon bateau ne peut simplement pas tenir les moyennes des derniers foilers, nous expliquait-elle en approche du cap de Bonne-Espérance. Dans une situation figée comme celle de cette traversée de l’Atlantique sud, il faut juste prendre son mal en patience et attendre que des situations plus complexes se présentent pour jouer des coups et naviguer proprement.»
Dans ses premières semaines de vie, ce 10e Vendée Globe a offert un spectacle inédit en tête de course. Au passage du premier des trois caps, un seul abandon avait été enregistré (Maxime Sorel, blessé à la cheville). « Les conditions idéales et plutôt clémentes des premières semaines expliquent en grande partie ce petit nombre d’abandons, estime Justine Mettraux. Hormis au passage du cap Finisterre, il n’y a pas eu de gros coup de vent. Et l’on constate aussi que les bateaux sont désormais tous très bien préparés.»
Cascade de records
Si les records ont déjà été battus aux Sables-d’Olonne avec 1,3 million de visiteurs, des audiences TV en hausse, une version de la course virtuelle qui met à mal bien des ménages, que dire des performances pures des premiers de la classe IMOCA ? Avant même l’entrée dans les mers du grand Sud, le record de distance en 24 heures a été amélioré quasi quotidiennement par les IMOCA de dernière génération. Au moment du bouclage de ce dernier magazine de l’année (le 30 novembre), c’est le français Sébastien Simon qui avait décroché le pompon sur Groupe Dubreuil avec une performance supersonique de 615 milles parcourus en 24 heures.
Sans trop de surprise, tous les favoris ont tutoyé ces moyennes de plus de 22 nœuds. Charlie Dalin, Sébastien Simon, Thomas Ruyant, Yoann Richomme, Jérémie Beyou, Nicolas Lunven, Sam Goodchild, Yannick Bestaven et Paul Meilhat ont imprimé un train d’enfer dans l’Atlantique sud, provoquant un premier écrémage. Une sélection par l’avant à laquelle Alan Roura n’a pas échappé, le Genevois perdant le fil de sa course lors de la traversée d’une zone de molle lors de la descente vers l’équateur. Après trois semaines de course, il pouvait mettre une croix sur ses ambitions de top 10. Quant au 3e^des mousquetaires suisses, Oliver Heer, il suivait toujours sa route qui doit le ramener à bon port, et peu importe quand.Il sait que comme tous les autres, il sera accueilli en héros aux Sables-d’Olonne par une foule record. On parie?