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MS Saphir: un bateau de passagers passe à l’hydrogène

par Walter Rudin

Carburant alternatif sans émissions, l’hydrogène est sur le point de s’imposer sur les bateaux à passagers circulant sur nos lacs. La Société de navigation du lac des Quatre-Cantons (SGV) souhaite transformer son bateau à moteur Saphir et contribuer ainsi à une navigation durable.

La technologie de l’hydrogène semble être une solution prometteuse pour réduire à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050. Dans les piles à combustible, l’hydrogène (H2) est transformé en électricité, eau et chaleur par le truchement d’une réaction électrochimique. Couplée à une batterie, l’énergie électrique ainsi produite alimente un moteur. L’eau est le seul déchet issu de ce processus. Il n’y a absolument aucune émission nocive telles que les oxydes d’azote, les particules fines, ou de CO2. À ne pas oublier: les utilisateurs de ces véhicules et les riverains sont moins exposés au bruit et aux vibrations.
L’hydrogène n’est toutefois pas exempt de problèmes. Actuellement, les infrastructures de ravitaillement en hydrogène sont rares et sa production assez énergivore. De plus, en raison de sa faible densité, le H2 doit être comprimé ou liquéfié à 350 bars et stocké à des températures très basses, de l’ordre de -253 °C. Sur le plan de la sécurité, son inflammabilité élevée constitue un risque supplémentaire.
Face à ces difficultés, les chantiers navals sont confrontés à des défis majeurs. Située à Lucerne et spécialisée dans les technologies vertes, l’entreprise Shiptec AG a mené des analyses approfondies sur l’utilisation de l’hydrogène dans la navigation en Suisse. Bien qu’à l’heure actuelle, la propulsion à l’hydrogène fonctionnant avec des piles à combustible, une batterie de secours et un moteur électrique ne soit pas encore compétitive sur le plan commercial, une étude a montré que l’exploitation d’un bateau à passagers de taille moyenne serait tout à fait envisageable à l’avenir, tant aux niveaux économique qu’écologique.

©Emanuel Ammon

La SGV montre l’exemple

Ce sont des considérations écologiques qui ont convaincu la SGV de tester le potentiel de l’hydrogène comme carburant alternatif sur un bateau à passagers – non pas en construisant un nouveau bateau, mais en convertissant une unité existante: le MS Saphir. Doté d’une capacité de 300 places et inspiré d’un bateau de luxe, il a été construit en 2012 et utilisé pour des sorties, principalement au large de Lucerne. À l’intérieur résolument moderne, il offre différents salons, une plateforme arrière au ras de l’eau ainsi qu’un bar sur le pont supérieur. Comme il aurait fallu remplacer la propulsion hybride composée de groupes diesel et de moteurs électriques dans les années à venir, le passage à l’hydrogène était tout indiqué.

Système hybride à l’hydrogène

Les ingénieurs de Shiptec ne voulaient toutefois pas renoncer complètement aux batteries pour stocker l’énergie. La consommation d’électricité nécessaire à la production de H2 dépasse largement l’énergie récupérable dans la pile à combustible. Il est donc important d’emmagasiner autant d’électricité que possible dans les batteries embarquées. Sorte de «range extender», le système de piles à combustible sert de complément.
La transformation du MS Saphir devrait débuter en automne 2025 chez Shiptec à Lucerne. Le coût total des travaux, y compris les frais initiaux pour une station-service, est estimé à environ 4,4 millions de francs.
Une grande partie de ces coûts est liée aux contraintes de sécurité en vigueur pour l’utilisation d’hydrogène. Il faut respecter une distance de sécurité d’au moins 80 centimètres de tous les
côtés à partir de la coque extérieure du navire. De plus, les locaux abritant les piles à combustible et ceux destinés au stockage de l’hydrogène doivent être séparés hermétiquement des autres parties du navire. Pour remplir ces exigences, il ne suffit pas d’ajouter des cloisons supplémentaires, il faut souder un nouveau plafond en acier. Le système d’hydrogène, le nouveau système de ventilation et le concept de protection contre les incendies qui en découlent nécessitent en outre toute une série de nouvelles installations à bord.

Le H2 issu de production locale

L’hydrogène est obtenu par électrolyse: à l’aide d’un courant électrique, si possible issu d’une énergie renouvelable, l’eau est décomposée en oxygène (O2) et en H2 pour produire de l’hydrogène vert. Afin de garantir l’approvisionnement du MS Saphir en hydrogène, la SGV Holding AG, société mère de la SGV AG et de la Shiptec AG, participe au financement de la première installation de production d’H2 en Suisse centrale. L’installation de la H2Uri AG sera construite près de la centrale électrique de Bürglen dans le canton d’Uri. Elle sera alimentée par l’eau du Schächenbach qui fournit de l’énergie en continu. L’installation se trouvera donc à proximité immédiate de sa source d’électricité et fonctionnera surtout en cas de surproduction d’électricité et lorsque le prix de l’électricité sera au plus bas. À terme, la production d’hydrogène devrait atteindre 260 tonnes par an.

Mise en service à l’été 2026

La transformation du MS Saphir devrait durer un peu plus de six mois. Selon Stefan Schulthess, le directeur de la SVG, il reprendra du service au plus tôt en été 2026. «Avec le bateau destiné à naviguer sur le lac de Walenstadt, il sera le premier bateau à passagers en Suisse fonctionnant à l’hydrogène», explique-t-il. Dans le domaine de la navigation intérieure, les solutions à batterie ont actuellement le vent en poupe. La SVG teste cette variante sur le MS Rütli. Une troisième possibilité est l’utilisation de carburants dits synthétiques, par exemple pour les bateaux à vapeur. Concrètement, la SGV compte utiliser le carburant solaire produit par l’entreprise suisse Synhelion qui veut faire avancer la transition énergétique avec une idée révolutionnaire: la transformation de l’énergie solaire en carburants neutres en CO2. Initialement développée à l’EPF Zurich, ce projet innovateur pourrait bouleverser la mobilité dans le monde entier. «La réduction des émissions dans la navigation doit se faire progressivement», relève Schulthess. Elle doit aller de pair avec le développement de nouvelles technologies de propulsion et l’augmentation de la production d’énergies renouvelables.»
Avec l’exploitation du MS Saphir entièrement propre, la SGV espère notamment améliorer son image, surtout sur un lac situé au cœur d’un paysage naturel largement intact, comme c’est le cas du lac des Quatre-Cantons. L’avenir nous dira si l’hydrogène peut s’imposer comme une alternative aux énergies fossiles.

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