Incroyable ! Les 48 heures d’efforts au près n’auront peut-être servi à rien. A 166 milles de l’arrivée, la mer Celtique est le théâtre d’un nouveau départ entre une vingtaine de bateaux, tous alignés sur un grand axe ouest-est d’une trentaine de milles.
Côté oriental, Alexis Loison (Port Chantereyne Cherbourg-Octeville) est pointé en tête au classement de 16 heures devant Jérémie Beyou (BPI) situé 15 milles plus au large ! Mais bientôt, les solitaires en route vers l’Irlande vont changer radicalement de régime. Avec l’arrivée d’une dépression, les spinnakers vont fleurir pour ne plus être rangés d’ici le finish devant Dún Laoghaire, mercredi à la mi-journée. Les vingt dernières heures de course seront sportives. Il faudra tenir, jusqu’au bout de l’épuisement.
L’arrivée des marins en mer Celtique a mis fin à deux jours de louvoyage acrobatique. Ce matin, à 7h13, après une nuit de tactique sous les côtes anglaises, Jérémie Beyou (BPI) franchissait en tête la ligne virtuelle située entre la pointe de la Cornouaille et les Scilly pour remporter le Grand Prix GMF Assistance devant Erwan Tabarly (Nacarat) et Nicolas Lunven (Generali). Au même moment, le gros de la flotte, toujours groupée, se positionnait pour la suite d’un programme météorologique relativement incertain. Une dépression devant succéder à une dorsale, toute la question était de savoir si un épisode pétoleux aurait lieu avant l’établissement d’un vent d’ouest puis de sud-ouest, se renforçant progressivement.
Tous en bâbord, en attendant de sortir la bulle
Fallait-il jouer à court terme sur la dorsale ou regarder plus loin vers la bascule du vent à gauche ? Cet après-midi vers 15 heures, aucune panne de vent à l’horizon. Mieux, les marins qui avaient tous viré de bord progressaient à 6 nœuds de moyenne et commençaient à choquer doucement les écoutes sous un grand soleil. Cette petite période transitoire va sonner la fin de la lutte contre les éléments et laisser place à une longue partie de glisse. Et les premiers à défroisser leur spinnaker pour filer pleine balle en Mer d’Irlande prendront un petit ascendant sur leurs camarades. S’agira-t-il des hommes de l’Est soit Alexis Loison (en tête au classement de 16 heures), Jean-Charles Monnet (Parie 15e) ou encore le bizuth Xavier Macaire (Starter Active Bridge) ? Ou du groupe occidental composé de Jérémie Beyou (BPI) 2e, Erwan Tabarly (Nacarat), 3e, Nicolas Lunven (Generali), 5e ; voire des plus radicaux partisans du large comme Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) ou Thierry Chabagny (Gédimat) ? Ou bien cette nouvelle donne accouchera –elle encore d’un match nul ? A l’heure actuelle, les 30 premiers Figaro Bénéteau se tiennent en 4 milles, un écart qui ne représente de 2% du chemin qu’il reste à parcourir !
Concours de résistance
Bien plus que la stratégie elle-même, c’est surtout la capacité des marins à tenir la cadence pendant les 20 dernières heures de course qui déterminera les lauréats sur la ligne d’arrivée irlandaise. Car depuis le départ de Caen il y a deux jours, les occasions de se reposer ont été bien maigres. Le soulagement de s’échapper sous spi va vite céder le pas à l’éreintement. Pour faire la différence dans les dernières longueurs, il faudra être le plus rapide au portant. Autrement dit, ne pas lâcher la barre. Le tout dans un contexte qui devrait se dégrader avec un renforcement du vent de sud-ouest et beaucoup humidité. Ces paramètres vont faire les affaires des gros bras du circuit Figaro ou des plus affamés. Les premiers sont attendus demain mercredi aux alentours de midi…
C.El
En bref :
La liste des bobos s’allonge
Les marins ont fait l’état des lieux après 48 heures de course rock’n roll. Petit à petit, la liste des avaries communiquée à la Direction de Course s’allonge : problèmes de ballast pour Sébastien Picault (Kickers) et Nicolas Lunven (Generali); aérien (girouette) cassé pour Alexis Littoz (Savoie Mont Blanc), souci d’alternateur pour Sam Goodchild (Artemis) ; ordinateur de bord cassé et safran abîmé pour Frédéric Duthil (Sepalumic), latte cassée et problème de pilote pour Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham)…
Ils ont dit :
Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham)
« Ça a été dur de revenir hier toute la journée sans pilote et avec la latte forcée de grand-voile cassée…en vitesse ce n’est pas terrible ! J’attendais la molle d’aujourd’hui pour affaler et la changer. Après avoir passé 30 heures à la barre j’ai réussi à bricoler et réparer : c’était le capteur d’angle de barre qui était détaché. Pour la GV ce n’est pas beau à voir mais là je suis à côté de Romain et je m’en sors bien en vitesse. Cette nuit j’ai pu dormir pas mal sachant que je n’ai plus de réveil non plus donc je fais attention de pouvoir me réveiller… Les écarts sont faibles et on est tous dans le même paquet pour aller chercher la bascule. Je suis bien revenu au contact avec tout le paquet, c’est la bonne nouvelle de la matinée même s’il y a toujours cette histoire de latte qui m’embête beaucoup. Les conditions sont difficiles, ça bouge beaucoup, le vent est instable mais pas d’inquiétude, quand le vent va rentrer on aura l’occasion de bien se reposer. »
Jérémie Beyou (BPI)
« Cet après-midi, on est arrivé dans un vent mollissant qui tournait vers la droite (vers le Nord) : à chaque fois qu’on voulait virer sur la droite, le vent tournait dans le même sens, alors j’ai continué en bâbord amure vers l’Ouest. On reste ensemble avec Erwan Tabarly… J’ai réussi à rattraper puis à doubler le groupe qui était devant moi, donc c’est bien parti, toujours au près en attendant le passage de la dorsale dont les conditions météo restent quand même un peu aléatoires. L’objectif que je me suis fixé, c’est d’essayer d’être le plus Nord-Ouest de la flotte pour anticiper le nouveau vent. Je n’ai pas vraiment dormi jusqu’à hier soir, mais la nuit dernière, j’en ai profité pour me reposer : tout va bien et c’est important parce que la fin de parcours est au portant sous spi, avec beaucoup de temps à la barre… »
Nicolas Lunven (Generali)
« Depuis le départ de Caen, j’étais un peu discret mais cette nuit quand on a touché les côtes anglaises, j’ai fait un petit coup en anticipant une première bascule qui m’a permis de recoller aux premiers. Et ce matin, un deuxième coup qui m’a carrément remis dans le sillage de Beyou et Tabarly. Entre le cap Lizard et Land’s End, ma pompe de ballast à grillé et je me suis retrouvé au fond du bateau à bricoler pour trouver une solution : j’ai fait un tout droit sous pilote quand la flotte s’est décalée un peu sous le vent et au final, je me suis retrouvé avec un peu plus de pression… Maintenant, il fait beau et le vent s’est calmé, mais jusqu’à l’arrivée, je vais devoir pomper à la main ! »
Romain Attanasio (Savéol)
« Il va falloir exploiter la petite bascule mais ce n’est pas évident. J’ai l’impression qu’il va falloir patienter la journée avant de toucher le bon vent… C’est une phase importante en ce moment car quand le vent va rentrer, les premiers vont partir d’un coup et il faut être avec eux. Je suis dans les quinze premiers : il faut assurer cette seconde étape avec peu d’écart par rapport au vainqueur. Hier, ce n’était pas facile à barrer dans la brise vu l’état de la mer, et aujourd’hui il y a moins de vent et c’est toujours aussi difficile à barrer ! On a pu se reposer sur une mer plate vent de travers sous la Cornouaille car la fin sera fatigante. »
Frédéric Duthil (Sepalumic)
« Tout va dépendre de la bascule : si elle est franche et uniforme sur toute la zone, ce sera pas mal mon option ! Mais si ça arrive progressivement par l’Ouest, ce sera plus compliqué… Pour l’instant, les coups que j’ai faits avec Gildas Morvan n’ont pas abouti. Maintenant, c’est du petit temps avec crème solaire et ballast ou pas selon les risées. La mer est encore assez formée, le vent est instable et le bateau tape : il faut être aux réglages. Cela change d’hier : ça fait un petit moment de répit et c’est bien venu… »
Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls)
« Ce matin, le nouveau vent devait arriver par l’Ouest et j’avais décidé de protéger ce côté : je me suis fait un peu surprendre par le retour des gars au vent. Je préférerais être dans la position de Beyou actuellement… Stratégiquement, ça va changer par l’Ouest mais il y a aussi une question d’angle à avoir avec la brise de Sud-Ouest à venir cet après-midi. C’est plus confortable qu’hier mais c’est quand même difficile à cause d’un résidu de clapot et une grande instabilité du vent. Vivement que ça glisse ! »