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La quête de vitesse : vingt ans d’innovation

by Vincent Gillioz

La recherche de la vitesse à la voile nourrit les passions depuis des décennies. Plusieurs prototypes ont été créés dans le seul but de battre des records, certains ont atteint leurs objectifs, d’autres pas ! Mais tous ont contribué à un remarquable essor technologique dans le pays.

Texte : VINCENT GILLIOZ

Malgré des conditions incomparables à celles de Luderitz, Weymouth ou encore Les Saintes-Maries-de-la-Mer, qui figurent parmi les trois sites les plus réputés en matière de record, le Léman n’a pas manqué de jouer un rôle important dans la voile de vitesse ces vingt dernières années. Le Leman Sailing Speed Records a succédé au fameux et très convoité Ruban Bleu (record sur le parcours du Bol d’Or) depuis 2007, et permet aux amateurs de sensations fortes de chercher, au gré des fenêtres météo, à améliorer plusieurs temps de références du plan d’eau. La SNG a même organisé sa propre Speed Week à deux reprises. Plusieurs engins ont été spécialement développés pour les conditions particulières de nos régions, et la fièvre du foiling n’a pas épargné les voileux du Léman parfois précurseurs du sujet. Quelques bateaux ont particulièrement marqué cette épopée ces vingt dernières années. Petit tour d’horizon non exhaustif.

Le Mirabaud LX

Lancé en 2006 par l’ingénieur et régatier Thomas Jundt, le Mirabaud LX est un spin-off d’un 18 pieds australien équipé de foils. La première version de ce voilier était bien une adaptation des fameuses araignées de la baie de Sydney, version Moth à foil. Après deux saisons assez concluantes et un partenariat signé avec l’institut financier de la place genevoise, le bateau a été libéré de tous ses éléments superflus pour ne garder que l’essentiel, à savoir ce qui lui permettait de voler. « La coque n’est utile que pour flotter par tout petit temps ou lors de certaines manœuvres. Elle doit donc être réduite au volume minimum, voire supprimée ! » assurait le concepteur lors de sa présentation. Construit en partie chez Mathias Bavaud, le Mirabaud LX version 1 était une étrange machine en tubulure carbone posée sur un fond de coque de M2, sur laquelle les foils, les échelles et le gréement du 18 pieds avaient été adaptés. Deux flotteurs ont succédé au premier trop minimaliste, et le bateau s’est offert le luxe, en clin d’œil à Archimède, de naviguer sans coque lors d’une sortie mémorable. Au fil des navigations, la partie archimédienne s’est révélée plus importante que prévu, et Thomas Jundt a vite compris que dans une grande course, sauf conditions d’exception, on flotte 70 à 80 % du temps. « L’idée de parler de voilier sans coque était séduisante, mais les conditions du lac nous ont imposé d’optimiser les œuvres vives. »

Au fil des expériences, Thomas Jundt a amélioré son bateau, conçu des ailerons de foil interchangeables, posé des flotteurs sous les échelles… Véritable laboratoire flottant – ou volant –, le Mirabaud LX n’a cessé d’évoluer durant ses six années de règne. Jundt s’est même rendu aux USA pour s’inspirer des ailes rigides des Classes C, et en équiper son bateau. « Notre gréement posait des problèmes de réactivité à cause de sa souplesse. En mettant une aile, nous avons gagné en stabilité, et le bateau est devenu beaucoup plus facile. » Le recours à l’aile n’avait toutefois pas que des avantages, et tout l’équipage n’est pas près d’oublier les fastidieuses manutentions nécessaires avant et après chaque sortie.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le Mirabaud LX s’est imposé dès sa première sortie lors du Bol d’Or du lac de Neuchâtel. Il a remporté trois fois la Genève-Rolle-Genève, s’est octroyé le record de l’épreuve en 2009, en 3 h 43, et a gagné deux fois le Bol d’Or Mirabaud en Classe L.

Le QFX, successeur du Mirabaud LX mis à l’eau durant l’été 2020, fruit des trente années d’expérience acquises par Thomas Jundt et son équipe, poursuit cette folle saga avec une pas- sion inégalée, pour la beauté du geste et surtout le plaisir de la vitesse.

Loris von Siebenthal

Dans sa première version, le Mirabaud LX était monté sur un fond de coque de Ventilo M2.

Hydros.ch

Mis à l’eau en 2010, le catamaran à foils Hydros.ch a été le bateau laboratoire du bureau d’études éponyme, avant de devenir bateau ambassadeur de l’efficience énergétique. Ce prototype construit chez Décision SA était un concentré de technologie. Il a vu le jour sous l’impulsion d’Alain Thébault – personnage aussi créatif que controversé – avant d’être repris par l’équipe d’Hydros.ch, menée par Daniel Schmaeh.

Soutenu par Thierry Lombard entre 2005 et fin 2011, Hydros a pu démarrer avec un budget conséquent et une équipe expérimentée qui disposait d’un background important dans le foiling. Truffé de capteurs qui permettaient de collecter une grande quantité de données et d’optimiser ses performances, Hydros était qualifié de bateau à la fois agricole et high-tech par son concepteur.

Son objectif était comme pour la plupart des unités qui évoluent sur le Léman, la polyvalence. Savamment mis au point, l’hydroptère était, dès sa sortie, un voilier très abouti au niveau des détails. Et s’il ne s’est jamais illustré en course, il détient plusieurs records sur le Léman ; Ruban Bleu en 4 h 30, avec 25,25 nœuds de moyenne, et le kilomètre à 30,6 nœuds. Hydros a également fixé un temps de référence sur le lac de Zurich, en parcourant Zurich-Rapperswil et retour en 2 h 25.

Le Syz&Co

Malgré un projet audacieux et largement financé, il faut bien reconnaître que le fameux Syz&Co n’a pas été à la hauteur des ambitions de ses concepteurs, Patrick Firmenich, Jean Pfau, Jean Psarofaghis et Alex Schneiter. Avec ses 35 pieds, 700 kilos, ses foils montés sur structures externes, le catamaran portait 85 m2 de voilure au près et 150 au portant. Il a été construit par le chantier Psaros, et Yvan Ravussin a fait les foils. L’ensemble a été développé par le bureau VPLP.

Lancé en grande pompe en 2008, avec Alain Prost pour parrain, le bateau futuriste devait rafler tous les records et toutes les courses avec son concept qui allait permettre de glisser en mode archimédien dans le petit temps, et de voler sur les foils déployés dans la brise. Des spécialistes comme Luc Dubois ont participé à son développement, mais le bateau d’une grande complexité n’a pas respecté son devis de poids et n’a jamais véritablement brillé, même s’il est allé assez vite dans certaines conditions.

Après quelques années et pas mal de tentatives pour trouver des solutions qui le feraient avancer à la hauteur des investissements consentis, le voilier a fini par disparaître des plans d’eau. Plutôt qu’un échec le Syz&Co s’est révélé une étape d’apprentissage, qui a permis au chantier Psaros d’acquérir un énorme savoir-faire dans les composites, et favorisé le développement de la voile de vitesse.

Le catamaran Hydros.ch détient l’ensemble des records de vitesse du Léman.

Le π28

Issu de la créativité fertile du spécialiste du foiling Hugues de Turkeim, et calculé par Sébastien Schmidt, le π28 a été armé par un consortium de six propriétaires. Conçu comme un monocoque, l’étrange bateau a été classé malgré tout comme multicoque par les organisateurs de régates. Ses « échelles » profilées ont été considérées comme des flotteurs.

Le bateau équipé de foils en ligne (en π inversé, sur trois étages) avait pour première vocation d’être à peine plus grand qu’un 18 pieds australien, et visait à devenir un foiler de série, accessible, conçu pour trois équipiers avides de vitesse et de sensations. Au fil des discussions, avec la pression du sponsoring et la présence des autres voiliers high-tech sur le lac, le projet a gagné en envergure pour passer à 28 pieds. Sa complexité a évidemment augmenté, autant que ses coûts, et surtout ses besoins en développements techniques.

Construit chez Pauger en Hongrie, et terminé chez MB Composite, le π28 a souffert de trop de sophistications et de manque de temps pour sa mise au point. Doté d’un gréement avant-gardiste, très complexe avec une voile à profil épais à cambers, le π28 aurait probablement dû être optimisé par des navigateurs professionnels plutôt que par des propriétaires passionnés et enthousiastes, mais malgré tout amateurs, car occupés par leurs jobs. « Nous progressions à chaque sortie, et trouvions des solutions à nos problèmes. Mais il aurait fallu pouvoir les mettre en œuvre au fur et à mesure, et ça n’a pas été possible », reconnaît avec le recul Philippe Schiller, copropriétaire.

Après deux ans et pas mal de déconvenues, l’équipage n’a plus été en mesure de consacrer suffisamment de temps, et surtout d’argent au projet. Et le bateau n’a plus retrouvé son élément. Malgré sa courte vie, il ne fait aucun doute que le π28 a largement contribué à la recherche et développement, particulièrement au niveau de son gréement qui a été breveté.

Nicolas Jutzi

Le Monofoil Gonet

Plus récent, le Monofoil Gonet a été lancé par Éric Monnin en 2018. Le projet du docteur en physique a voulu rappeler que l’avenir du foil ne concerne pas que le multicoque, et il en a fait la preuve par l’exemple. « Lors de nos premières navigations, nous avons volé à 25 nœuds avec un bateau très stable au comportement sain. Une fois rentrés, nous avons pu charger le bateau sur une remorque et prendre la route en moins d’une heure. Essayez de faire ça avec un catamaran de taille équivalente, comme un M2. Il faut au minimum une demi-journée ou alors un hélicoptère. »

Particulièrement innovant, le bateau construit par Damian Weiss, à Zoug, et Éric Monnin, est volontairement sorti juste avant les premiers protos de l’America’s Cup, afin de démontrer l’avance du duo sur le concept de monocoque volant. « C’était une chance à saisir pour marquer les esprits, et avoir de la visibilité. »

Après une première saison faite de nombreux enseignements, et de plusieurs tentatives de record sur le Léman, le bateau a subi plusieurs optimisations qui lui ont permis encore d’améliorer ses performances en 2020.

Pour Éric Monnin, l’avenir du foiling est clairement tourné du côté du monocoque, pour d’évidentes raisons logistiques. « Le multi-volant va continuer, mais il ne va concerner qu’une minorité de gens. On pourra en reparler dans dix ans, mais je suis persuadé que ce genre de bateau va croître de manière significative sur nos lacs. » Le message est passé, et l’avenir nous dira si notre navigateur était un oracle.

Loris von Siebenthal

Ultime bébé d’Éric Monnin, le Monofoil Gonet a été conçu pour la vitesse et les records.

En plus de sa conception audacieuse et innovante, le Monofoil Gonet dispose d’un équipage
à la hauteur de ses ambitions.
En lançant le Quant, équipé du système breveté DSS, Michael Aeppli a mis le foiling à la portée de tous.

Les autres

Bien évidemment, la voile de vitesse suisse ne se limite pas à ces quelques protos, mais tous sont représentatifs d’un certain esprit d’innovation très présent sur nos lacs. D’autres acteurs ont bien sûr joué un rôle fondamental dans le monde du foiling et de la vitesse, à l’image de Michael Aeppli. Le Zurichois s’est illustré dans la mise au point du système DSS (Dynamic Stability System) qui équipe les Quant-boat depuis 2009. Le Quant 23, petit foiler accessible, a profité des évolutions de tous les précédents modèles et représente un aboutissement, tant il est réussi. Elu Bateau européen de l’année en 2016, il a inspiré Thomas Jundt et Éric Monnin pour leurs concepts respectifs.

On notera également le concept d’Absolute Wind Record, projet audacieux mené par Bertrand Favre, Sébastien Schmidt et Damien Cardenoso, qui avait pour but de proposer des runs de vitesse à des invités sur un engin high-tech et futuriste. Un défaut de financement a malheureusement mis fin à cette idée qui avait certainement de l’avenir.

Les Moth à foil ne sauraient être oubliés, car ils en ont conquis plusieurs de vitesse. Ils ont séduit de nombreux Suisses, dont les cousins Psarofaghis qui ont tous deux brillé dans la série.

En multi, le chantier Psaros s’est associé un temps avec Christian Favre pour lancer le V2 Factory, un cata à foil abordable. Celui-ci n’a jamais vu le jour, mais il a généré pas mal d’acquis technologiques.

Le Syra 18, conçu par Yves Detrey et Nils Frei, ne saurait finalement être oublié. Issu d’un mariage improbable entre un monocoque et un multicoque, le petit bateau vise comme d’autres, à rendre le vol et la vitesse accessible aux néophytes.

Tous ces projets démontrent que l’innovation ne peut exister sans audace et sans finances, et nous avons la chance de vivre dans un pays qui ne manque d’aucune d’elles. Ces éléments ont favorisé la naissance de nombreux bateaux qui ont interpellé le monde entier. L’avenir nous dira qui a vu juste, et qui s’est fourvoyé. Mais une chose est sûre, la période 2020-2030 s’annonce encore plus passionnante, et riche en nouveaux records.


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