Depuis 48 heures, l’équipage de Groupama 3 s’est mobilisé pour circonscrire l’avarie constatée sur la cloison de bras de liaison. Le maxi trimaran a dû aussi laisser passer la dépression brésilienne qui a soufflé très fort la nuit dernière… Franck Cammas revient sur ces dernières heures au milieu de l’Atlantique Sud.
Quelle est votre situation actuellement ?
« On flirte avec le centre de la grosse dépression qui nous a poussé vers le cap de Bonne-Espérance, mais une dépression secondaire s’est créée sur le front froid, avec des vents qui peuvent atteindre très vite 60 noeuds ! On s’est donc réfugié pas loin du centre de la grosse dépression pour laisser passer tout ça. C’est pour cela qu’on a navigué toute la nuit sous mât seul, direction plein Sud. Depuis 3h00 ce matin, on a renvoyé de la toile car les conditions sont devenues plus maniables. En fin d’après-midi, on devrait empanner et faire route à l’Est vers Cape Town, en restant à l’arrière du plus gros du mauvais temps. Il y aura encore de la houle et une mer forte : il reste un doute sur la façon de manier le bateau sans le faire souffrir. Nous ne prendrons aucun risque, même s’il faut s’arrêter… »
Comment s’organise la vie à bord ?
« Tout le monde s’affaire à sa tâche : les spécialistes de la stratification (Lionel Lemonchois aidé par Thomas Coville) ont travaillé toute la nuit. On est tous déçus, mais on se projette déjà dans l’avenir. On va essayer de ramener Groupama 3 le plus vite possible en Bretagne. Quand on décide d’abandonner, c’est brutal : on passe d’une configuration de performance à un simple convoyage. Ce n’est pas la même vie à bord, ce n’est pas la même ambiance, on trouve que le temps est beaucoup plus long. Heureusement que l’on a des livres à bord pour pouvoir s’évader un peu quand on ne barre pas… »
Avez-vous une explication de cette avarie ?
« On imagine que les efforts et les mouvements du flotteur en sont la cause. Il y a toujours des effets parasites qu’il est très difficile de modéliser sur un ordinateur. Les vagues ne frappent jamais de la même façon et la plateforme est soumise à des comportements désordonnés : il y a des vibrations extrêmement violentes dans une mer chaotique. On pense que le flotteur a pu onduler longitudinalement avec un train de vagues sur l’arrière alors que l’appui au niveau du bras de liaison est très rigide. Or, la charnière, c’est cette cloison qui s’est fendue… »
Quelle est l’ampleur des dégâts ?
« La casse n’est pas spectaculaire, mais on sait que ça peut se dégrader très vite et mettre en cause l’intégrité de Groupama 3. C’est inquiétant et cela nous oblige à un arrêt technique, mais c’est beaucoup moins grave que la dernière fois… La cloison qui prolonge le bras en entrant dans le flotteur s’est cassée en flambant : il a fallu installer deux équerres pour maintenir l’écartement entre ces deux parties de la cloison, puis insérer de la mousse avant de coller. Maintenant, la cloison est rigidifiée. Mais il reste un problème car la cloison a décollé la peau intérieure du flotteur sur environ 400 mm : pour l’instant, on n’a pas réussi à coller le flotteur à la cloison et donc il bouge à chaque vague. Il ne faut pas que les UD (tissus unidirectionnels) qui rigidifient le fond du flotteur, cassent car c’est la colonne vertébrale du flotteur ! Il nous faut donc parvenir à lier toute la périphérie de la cloison avec le flotteur. »
Quels sont vos objectifs désormais ?
« Il faudra que nous renforcions les quatre accroches de bras de liaison. Mais il faudra d’abord faire une analyse fine avec les ingénieurs et les architectes. Il est certain que nous ne pourrons pas repartir pour un tour du monde sans avoir confiance dans la réparation et sans connaître les raisons de cette avarie. Il n’est pas garanti à 100% que nous puissions repartir fin janvier. Mais comme nous sommes partis très tôt de Ouessant, il reste une possibilité de s’élancer de nouveau en fin de saison. C’est jouable ! Mais il faudra d’abord être serein sur la capacité de Groupama 3 à effectuer le tour du monde… »
Quelles options pour les jours à venir ?
« Au plus rapide, on serait le 22 novembre à Cape Town, au plus tard, le 24 novembre. Et il y a une troisième option, c’est de rentrer directement à Lorient si les réparations que l’on fait en mer nous satisfont, ce qui nous ferait gagner beaucoup de temps pour pouvoir repartir sur une nouvelle tentative. Actuellement, le mât ne craint rien car il est fixé sur une autre cloison et nous avons même pu renvoyer la toile pour filer à 17 noeuds sur la bonne allure avec le bon angle de mer… »